Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE III

CHAPITRE VII
LES PRÉDICTIONS DU CHRIST

[1] Il est à propos de leur mettre sous les yeux les prédictions si vraies de notre Sauveur où toutes ces calamités étaient annoncées en ces termes : « Malheur aux femmes enceintes et à celles qui allaitent en ces jours. Priez pour que votre fuite n'ait pas lieu en hiver ou un jour de sabbat. Car il y aura alors une grande affliction, telle qu'il n'y en a pas eu depuis le commencement du monde et telle qu'il n'y en aura plus ensuite. » [2] L'écrivain, supputant le chiffre total des morts, dit qu il périt onze cent mille personnes par la faim et le glaive. Les factieux et les brigands qui survécurent, se dénoncèrent mutuellement après la prise de la ville et furent mis à mort. Les jeunes gens les plus grands et les plus distingués par leur beauté furent réservés pour le triomphe. Quant au reste de la multitude, ceux qui avaient plus de dix-sept ans furent, les uns enchaînés et envoyés aux travaux d'Egypte, les autres en plus grand nombre, distribués aux provinces pour mourir dans les amphithéâtres par le fer ou les bêtes. Ceux qui n'avaient pas dix-sept ans furent emmenés prisonniers pour être vendus. Ces derniers à eux seuls étaient à peu près quatre-vingt-dix mille. [3] Ainsi s'accomplirent ces événements dans la seconde année du règne de Vespasien [70 après J.-C.], selon les paroles prophétiques de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Grâce à son pouvoir divin, il les avait contemplés d'avance comme des réalités présentes. Il avait pleuré et sangloté, suivant le texte des saints évangiles, qui nous rapportent ses propres paroles, quand il s'adressait pour ainsi dire à Jérusalem elle-même : [4] « Si du moins, tu connaisssais en ce jour, ce qui peut t'apporter la paix ! Mais maintenant cela est caché à tes yeux ! Des jours viendront sur toi, où tes ennemis t'entoureront de retranchements, t'investiront, te presseront de toutes parts et te renverseront à terre toi et tes enfants. » [5] Et maintenant au sujet du peuple : « Il y aura une grande détresse sur la terre et la colère sera sur ce peuple. Ils tomberont dévorés par le glaive, ils seront emmenés en captivité dans toutes les nations. Et Jérusalem sera foulée aux pieds par les Gentils jusqu'à ce que leurs temps soient accomplis. » Et encore : « Lorsque vous verrez Jérusalem assiégée par une armée, sachez que sa désolation est proche ». [6] Si on compare les paroles du Sauveur avec les récits de l'historien où il retrace toute cette guerre, comment ne serait-on pas étonné et n'avouerait-on pas que cette prescience et cette prédiction de l'avenir étaient, chez le Sauveur, véritablement divines et extraordinaires.

[7] Pour ce qui est arrivé à tout le peuple après la passion du Sauveur, après les cris par lesquels la multitude des Juifs demandait la grâce d'un voleur et d'un assassin et suppliait qu'on fît disparaître de son sein l'auteur de la vie, il n'y a rien à ajouter aux histoires. [8] Il est cependant juste de joindre une remarque qui montre bien la miséricorde de là toute bonne Providence. Après le crime audacieux commis contre le Christ, elle attendit quarante années entières pour détruire les coupables ; pendant ce laps de temps, le plus grand nombre des apôtres et des disciples, ainsi que Jacques lui-même, le premier évêque de ce pays, appelé le frère du Seigneur, étaient encore de ce monde et vivaient dans la ville de Jérusalem ; ils étaient pour elle comme un très puissant rempart. [9] La vigilance de Dieu avait été jusqu'alors patiente ; peut-être ces gens se repentiraient-ils de ce qu'ils avaient fait et obtiendraient-ils le pardon et le salut. En outre de cette longanimité, le ciel leur envoya des signes extraordinaires de ce qui allait leur arriver, s'ils persévéraient dans leur endurcissement. Ces présages ont été jugés dignes de mémoire par l'historien cité plus haut ; le mieux est de les rapporter ici pour ceux qui liront cet ouvrage.

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