Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE III

CHAPITRE XXIV
L'ORDRE DES ÉVANGILES

[1] J'ai placé ici ce passage de Clément à la fois pour l'information et pour l'utilité de ceux qui le rencontreront.

Maintenant indiquons les écrits incontestés de l'apôtre Jean. [2] On doit d'abord recevoir comme authentique son évangile ; il est reconnu tel par toutes les églises qui sont sous le ciel. C'est à bon droit que les anciens l'ont placé au quatrième rang après les trois autres ; en voici le motif. [3] Les hommes inspirés et vraiment dignes de Dieu, je dis les apôtres du Christ, purifiaient leur vie avec un soin extrême, ornant leur âme de toute vertu. Mais ils connaissaient peu la langue ; la puissance divine qu'ils tenaient du Sauveur et qui opérait des merveilles était leur assurance. Exposer les enseignements du maître avec l'habileté insinuante et l'art des discours leur était inconnu et ils ne l'entreprenaient pas. Ils se contentaient de la manifestation de l'Esprit Saint qui les assistait et de la seule puissance du Christ qui agissait avec eux et faisait des miracles. Ils annonçaient à l'univers entier la connaissance du royaume des cieux sans le moindre souci d'écrire des ouvrages. [4] Ils faisaient cela pour accomplir un ministère sublime et au-dessus de l'homme. Paul, le plus puissant d'ailleurs dans l'art de tout discours et le plus habile dans les pensées, ne confia rien autre à l'écriture que de fort courtes épîtres. Il avait pourtant à dire des choses très nombreuses et mystérieuses, puisqu'il avait touché aux merveilles qui sont jusqu'au troisième ciel et, ravi au paradis même de Dieu, il avait été jugé digne d'entendre là des paroles ineffables. [5] Ils n'étaient pas aussi sans éprouver les mêmes choses, les disciples de notre Sauveur, les douze apôtres, les soixante-dix disciples, et bien d'autres avec ceux-ci. Cependant d'eux tous, Matthieu et Jean, seuls, nous ont laissé des mémoires des entretiens du Seigneur ; encore ils n'en vinrent à les composer que poussés, dit-on, par la nécessité.

[6] Matthieu prêcha d'abord aux Hébreux. Comme il dut ensuite aller en d'autres pays, il leur donna son évangile dans sa langue maternelle ; il suppléait à sa présence, auprès de ceux qu'il quittait, par un écrit. [7] Tandis que déjà Marc et Luc avaient fait paraître leurs évangiles, Jean, dit-on, n'avait constamment prêché que de vive voix. Enfin, il en vint à écrire ; voici pour quel motif on raconte que l'apôtre reçut les trois évangiles composés précédemment ; tous les avaient déjà et il les accepta, leur rendant le témoignage qu'ils contenaient la vérité. Seulement il manquait à leur récit l'exposé de ce qu'avait fait le Christ tout d'abord au commencement de sa prédication. [8] Et cette parole est vraie. On peut voir en effet que ces trois évangélistes ont raconté seulement les faits postérieurs à l'emprisonnement de Jean-Baptiste et accomplis par le Sauveur dans l'espace d'une année. Ils le disent du reste au début de leur narration. [9] Le jeûne de quarante jours et la tentation qui eut lieu à ce propos marquent le temps indiqué par Matthieu. Il dit : « Ayant appris que Jean avait été livré, il laissa la Judée et revint en Galilée ». [10] Marc débute de même : « Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée ». Quant à Luc, avant de commencer le récit des actions de Jésus, il fait à peu près la même remarque en disant qu'Hérode ajouta aux méfaits qu'il avait commis, celui de « mettre Jean en prison ». [11] L'apôtre Jean fut, dit-on, prié, pour ce motif, de donner dans son évangile la période passée sous silence par les précédents évangélistes et les faits accomplis par le Sauveur en ce temps, c'est-à-dire ce qui s'était produit avant l'incarcération du baptiste. Il indique cela même, soit quand il dit : « Tel fut le début des miracles que fit Jésus », soit quand il fait mention de Jean, au milieu de l'histoire de Jésus, comme baptisant encore en ce moment à Enon, près de Salem. Il le montre clairement aussi par ces paroles : « Car Jean n'était pas encore jeté en prison ». [12] Ainsi donc l'apôtre Jean dans son évangile rapporte ce que fit le Christ quand le baptiste n'était pas encore incarcéré ; les trois autres évangélistes au contraire racontent ce qui suivit son emprisonnement. [13] Quiconque remarque ces choses, ne peut plus penser que les évangélistes soient en désaccord les uns avec les autres. Car l'évangile de Jean comprend l'histoire des premières œuvres du Christ, les autres évangélistes nous donnent le récit de ce qu'il a fait à la fin de sa vie. Vraisemblablement Jean a passé sous silence la génération de notre Sauveur selon la chair, parce qu'elle avait été écrite auparavant par Matthieu et Luc ; il a commencé par sa divinité. Cet honneur lui avait, pour ainsi dire, été réservé par l'Esprit divin comme au plus digne.

[14] Voilà ce que nous avions à dire sur la composition de l'évangile de Jean ; le motif qui a poussé Marc à écrire a été expliqué plus haut. [15] Luc, au début de son récit, expose lui-même ce qui l'a déterminé à entreprendre son œuvre. Il nous déclare que beaucoup d'autres se sont mêlés de raconter inconsidérément des choses qu'il a examinées à fond. Aussi bien, juge-t-il nécessaire de nous débarrasser des conjectures douteuses qu'ils enseignent, et de nous donner, en son évangile, le récit fidèle des événements dont il a acquis une connaissance certaine, dans la compagnie et la fréquentation de Paul, ainsi que dans les entretiens qu'il a eus avec les autres apôtres. [16] Voilà ce que nous avons à dire sur ce sujet ; nous serons plus à l'aise à l'occasion en citant le témoignage des anciens pour essayer de montrer ce qui a été dit par les autres au sujet de ces évangiles.

[17] Pour ce qui est des écrits de Jean, en dehors de l'Évangile, la première de ses épîtres est aussi reconnue par nos contemporains et par les anciens comme hors de toute contestation ; les deux autres sont discutées. [18] L'autorité de l'Apocalypse est mise en doute par beaucoup encore aujourd'hui. Mais cette question sera résolue également en son lieu à l'aide du témoignage des anciens.

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