Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE III

CHAPITRE XXXIX
LES ÉCRITS DE PAPIAS

[1] On montre de Papias cinq livres qui ont pour titre : Explication des sentences du Seigneur. Irénée en fait mention comme des seuls qu'il ait écrits :

« Papias, dit-il, disciple de Jean, familier de Polycarpe, homme antique, l'atteste par écrit dans son quatrième livre ; car il en a composé cinq. »

Telles sont les paroles d'Irénée. [2] Cependant Papias, dans la préface de son ouvrage, ne paraît nullement avoir entendu ni vu les saints apôtres ; mais il apprend qu'il a reçu les leçons de la foi de ceux qui les avaient connus, et voici les termes dont il se sert :

« [3] Pour toi, je n'hésiterai pas à ajouter ce que j'ai appris des presbytres et dont j'ai fort bien conservé le souvenir, pour confirmer la vérité de mes explications. Car ce n'était pas auprès des beaux parleurs que je me plaisais, comme le font la plupart, mais auprès de ceux qui enseignaient le vrai ; je n'aimais pas ceux qui rapportaient des préceptes étrangers, mais ceux qui transmettaient les commandements imposés par le Seigneur à notre foi et nés de la vérité elle-même. [4] Quand quelque part, je rencontrais ceux qui avaient été dans la compagnie des presbytres, je cherchais à savoir les propos des presbytres ; ce qu'avait dit André ou Pierre ou Philippe ou Thomas ou Jacques ou Jean ou Matthieu ou quelqu'autre des disciples du Seigneur ; ce que disaient Aristion et Jean le presbytre, disciples du Seigneur. Je ne croyais pas que ce qu'il y a dans les livres me fût aussi profitable que d'entendre les choses exprimées par une parole demeurée vivante. »

[5] Il est bon de remarquer que Papias mentionna deux personnages appelés Jean. Il place le premier avec Pierre, Jacques, Matthieu et le reste des Apôtres ; c'est clairement l'évangéliste qu'il indique. Il introduit ensuite une distinction dans son énumération et range le second Jean parmi d'autres qui sont en dehors du nombre des Apôtres ; il le place après Aristion et le désigne positivement sous le nom de presbytre. [6] Ainsi se trouverait confirmée l'assertion de ceux qui affirment qu'il y aurait eu deux hommes de ce nom en Asie et qu'il existe aussi à Éphèse deux tombeaux portant encore maintenant le nom de Jean. Il est indispensable de faire attention à ceci ; car, si l'on refuse de l'admettre du premier, il serait vraisemblable que ce soit le second qui ait contemplé la révélation attribuée à Jean.

[7] Papias, dont il est question actuellement, reconnaît donc avoir reçu la doctrine des apôtres par ceux qui les ont fréquentés. D'autre part, il dit avoir été l'auditeur direct d'Aristion et de Jean le presbytre : il cite en effet souvent leurs noms dans ses écrits et il y rapporte ce qu'ils ont transmis. [8] Il n'était pas hors de propos de rapporter ceci, non plus qu'à ses dires exposés plus haut, d'en ajouter d'autres encore dans lesquels l'auteur nous apprend certaines choses miraculeuses qui lui seraient venues de la tradition. [9] Il a déjà été établi antérieurement que l'apôtre Philippe et ses filles avaient séjourné à Hiérapolis. Il faut maintenant indiquer comment Papias, qui vivait en ces mêmes temps, nous dit avoir entendu d'elles une histoire merveilleuse. Il raconte la résurrection d'un mort, arrivée à cette époque-là ; puis, un autre miracle concernant Juste surnommé Barsabas, qui but un poison mortel et par la grâce du Seigneur n'en éprouva aucun mal. [10] Ce Juste est celui qu'après l'ascension du sauveur, les saints Apôtres avaient présenté avec Matthias, après avoir prié, pour que le sort désignât lequel des deux devait, à la place de Judas, compléter leur nombre. Le livre des Actes relate ainsi le fait : « Ils présentèrent deux hommes, Joseph appelé Barsabas, surnommé Juste, et Matthias, et ils prièrent en ces termes... »

[11] Le même Papias ajoute d'autres éléments qui lui seraient venus, dit-il, par une tradition orale, telles que certaines paraboles étranges et certains enseignements du sauveur ainsi que d'autres récits tout à fait fabuleux. [12] Il dit, notamment, qu'il y aura mille ans après la résurrection des morts, que le règne du Christ sera matériel et aura lieu sur la terre. Je pense que cette conception vient de ce qu'il a mal compris les récits des apôtres et n'a pas vu qu'ils se servaient de figures et s'exprimaient dans un langage symbolique. [13] Il paraît avoir été du reste d'un esprit fort médiocre, comme on peut le conjecturer d'après ses écrits. Cependant il fut cause qu'un très grand nombre d'auteurs ecclésiastiques après lui adoptèrent le même avis que lui ; son antiquité leur était une garantie. C'est ainsi qu'Irénée et quelques autres ont embrassé son sentiment. [14] Dans son ouvrage, il nous donne encore d'autres récits d'Aristion dont nous avons parlé plus haut, sur les discours du Seigneur, ainsi que des traditions de Jean le presbytre auxquelles nous renvoyons les lecteurs désireux de s'instruire. Pour le moment, il est utile que nous ajoutions à tout ce que nous avons rapporté de lui la tradition qu'il nous transmet au sujet de Marc qui a écrit l'évangile, voici en quels termes :

« [15] Et le presbytre disait ceci : « Marc, étant l'interprète de Pierre, écrivit exactement, mais sans ordre, tout ce qu'il se rappelait des paroles ou des actions du Christ ; car il n'a ni entendu ni accompagné le Sauveur. Plus tard, ainsi que je l'ai rappelé, il a suivi Pierre. Or celui-ci donnait son enseignement selon les besoins et sans nul souci d'établir une liaison entre les sentences du Seigneur. » Marc ne se trompe donc pas en écrivant selon qu'il se souvient ; il n'a eu qu'un souci, ne rien laisser de ce qu'il avait entendu et ne rien dire de mensonger. »

Voilà ce que Papias raconte de Marc. [16] Il dit d'autre part ceci de Matthieu :

« Matthieu réunit les sentences (de Jésus) en langue hébraïque et chacun les traduisit comme il put. »

[17] Papias se sert de témoignages tirés de la première épître de Jean et de la première de Pierre. Il raconte encore une autre histoire, au sujet de la femme accusée de beaucoup de péchés devant le Sauveur que renferme l'Évangile aux Hébreux. Cela, ajouté à ce que nous avons exposé, n'a pas été marqué sans utilité.

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