Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE IV

CHAPITRE VII
QUEL FURENT À CETTE ÉPOQUE LES PREMIERS AUTEURS D'UNE SCIENCE QUI PORTE UN NOM MENSONGER

[1] Déjà, comme des astres étincelants, les Églises brillaient dans l'univers, et sur le genre humain entier s'épanouissait la foi en notre Sauveur et maître, Jésus-Christ. De son côté, le démon jaloux de tout bien, ennemi de la vérité, adversaire permanent et irréductible du salut des hommes, se mit à ourdir toutes ses machinations contre l'Église. Il l'avait attaquée autrefois par les persécutions du dehors ; [2] maintenant cette voie lui étant fermée, il recourut à des hommes pervers et à des magiciens, comme à de pernicieux instruments pour la ruine des âmes et à des serviteurs de perdition ; et il usa ainsi d'une autre tactique. Il ne négligea rien. Ses magiciens et ses imposteurs usurpaient le nom de notre croyance, et, à la fois, ils attiraient ainsi à eux les fidèles qu'ils précipitaient ensuite dans l'abîme de la damnation, tandis qu'ils agissaient par leurs actions sur ceux qui ignoraient notre foi, et les détournaient du chemin qui conduit à la parole du salut.

[3] De Ménandre, que nous avons dit plus haut être le successeur de Simon, sort une puissance, comme un monstrueux serpent à deux gueules et à deux têtes, les chefs des deux hérésies différentes, Saturnin, originaire d'Antioche, et Basilide d'Alexandrie. Ils établirent, l'un en Syrie et l'autre en Égypte, des écoles d'hérésies haïes de Dieu. [4] Irénée nous apprend que Saturnin répétait la plupart des mensonges de Ménandre et que Basilide, sous prétexte de profonds mystères, débitait sans fin ses inventions et s'égarait lui-même dans les fictions monstrueuses d'une hérésie impie.

[5] Un grand nombre de membres de l'Église défendirent la vérité en cette circonstance et luttèrent avec beaucoup d'éloquence pour le triomphe de la croyance des apôtres et de l'Église. Plusieurs voulurent même, dès cette époque, fournir dans leurs écrits, à ceux qui devaient venir après eux des méthodes préventives contre ces hérésies que nous avons citées. [6] De ces œuvres, une est venue jusqu'à nous : due à un écrivain alors de très grand renom, Agrippa Castor, elle eut une réfutation parfaite de Basilide, et la malice de ce sorcier y est mise à jour. [7] II révèle ses artifices secrets et dit que cet homme avait composé vingt-quatre livres sur l'Évangile ; il inventait des prophètes qu'il appelait Barcabbas et Barcoph, et d'autres encore qui n'ont jamais existé, auxquels il donnait des noms barbares pour frapper ceux qui se laissaient prendre à de pareils procédés. Il enseignait qu'il était indifférent de manger de la viande immolée aux idoles et qu'on pouvait sans y regarder parjurer sa foi dans les temps de persécution. Comme Pythagore, il imposait à ses disciples un silence de cinq ans. [8] Le même écrivain rapporte encore d'autres choses analogues à celles-ci concernant Basilide et il montre ainsi admirablement l'erreur flagrante de ladite hérésie.

[9] Irénée écrit aussi que Carpocrate vivait en même temps que ceux-ci. Il était le père d'une autre hérésie, celle qui porte le nom des Gnostiques. Ces derniers s'adonnaient également à la magie de Simon, non plus en secret comme celui-ci, mais bien publiquement, comme s'il se fût agi de quelque chose de grand. Ils étaient presque pleins de vénération pour les philtres qu'ils composaient avec un soin extrême, pour certains démons qui envoient les songes, pour ceux qui sont familiers et pour cent autres merveilles de ce genre. Comme conséquence de cela, à ceux qui devaient aller jusqu'au bout dans leurs mystères ou plutôt dans leur infamie, ils enseignaient qu'il fallait se permettre tout ce qu'il y a de plus honteux ; il n'y avait pas d'autres moyens d'échapper aux princes du monde, comme ils disaient, que de leur accorder à tous satisfaction par une conduite infâme.

[10] Il arriva que le démon, qui se réjouit du mal, se servît de ces auxiliaires, soit pour asservir et perdre ensuite ceux qu'ils avaient misérablement trompés, soit pour fournir aux nations infidèles, dans les écarts de ceux-ci un ample prétexte de dénigrement contre la parole divine ; leur renommée se répandait en effet au détriment de tout le peuple chrétien. [11] C'est ainsi, en grande partie, qu'est née cette légende impie et absurde, qui circulait à notre sujet parmi les incroyants d'alors, et dans laquelle on racontait que nous commettions des incestes monstrueux avec nos mères ou nos sœurs et que nous nous livrions à d'abominables festins. [12] Tout cela du reste ne servit pas longtemps au démon ; la vérité se leva bientôt et en vint, avec le temps, à briller d'une vive lumière. [13] Les machinations des ennemis disparurent aussitôt, confondues par leur propre activité. Les hérésies s'entassaient les unes sur les autres ; les premières s'évanouissaient successivement et se perdaient, de diverses manières, en des sectes multiples et des formes variées. Au contraire, toujours semblable à lui-même, l'éclat de l'Église catholique et seule véritable croissait et se développait ; ce qu'il y a de vénérable, de loyal, de libre, de sage, de pur dans son gouvernement divin et sa philosophie, rayonnait sur la race entière des Grecs et des barbares. [14] Avec le temps, s'éteignit donc la calomnie qui s'était exercée contre toute notre croyance. Notre enseignement demeura seul victorieux auprès de tous et on reconnut qu'il l'emportait hautement par la gravité et la prudence, ainsi que par ses doctrines divines et philosophiques. Aussi bien, maintenant personne n'ose plus insulter notre foi par une appellation méprisante ni par la calomnie, comme celle dont usaient avec plaisir auparavant, ceux qui s'étaient autrefois conjurés contre nous.

[15] Du reste, à l'époque dont nous parlons, la vérité se suscita encore à elle-même des défenseurs nombreux, qui combattirent les hérésies athées, non seulement en des discussions orales, mais encore en des dissertations écrites.

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