Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE VI

CHAPITRE IX
LES MIRACLES DE NARCISSE

[1] Cependant les fidèles de cette église rapportent beaucoup d'autres miracles de Narcisse qu'ils ont appris par tradition des frères, de génération en génération parmi ces faits, ils racontent le prodige suivant qu'il a opéré. [2] Un jour, pendant la grande veille de la nuit de Pâques, l'huile, dit-on, manqua aux diacres ; tout le peuple en conçut une vive inquiétude ; Narcisse ordonna à ceux qui préparaient les lampes, de tirer de l'eau avec une courroie et de l'apporter près de lui. [3] Cela fut exécuté sur-le-champ, il pria sur l'eau et commanda avec une foi véritable au Seigneur de la verser dans les lampes. On fit encore cela, et par une puissance au-dessus de tout discours, miraculeuse et divine, il transforma la nature de l'eau et l'amena à être de l'huile. Beaucoup de frères de ce pays ont, pendant très longtemps, depuis cette époque et même jusqu'à notre temps, gardé un peu de cette huile comme preuve du prodige d'alors.

[4] On énumère encore, de la vie de cet homme, beaucoup d'autres faits dignes de mémoire, parmi lesquels celui-ci. Sa droiture et la fermeté de sa vie étaient insupportables à certains individus méchants ; par crainte qu'une fois pris, ils ne subissent un châtiment, car ils avaient conscience de leurs très nombreux méfaits, ceux-ci prennent les devants, ourdissent ensemble contre lui une machination et lancent sur lui une calomnie terrible. [5] Ensuite, pour donner une garantie à ceux qui les entendaient, ils corroborent leurs dires par des serments ; l'un jure de périr par le feu, l'autre de voir son corps dévoré par une maladie funeste et le troisième de perdre la vue. Mais même avec cela, quoiqu'ils eussent juré, personne parmi les fidèles ne fut de leur avis, à cause de la modestie de Narcisse qui avait toujours brillé aux yeux de tous et de sa vie tout à fait vertueuse. [6] Lui cependant ne supporta pas la malice de ces allégations ; d'ailleurs depuis longtemps il recherchait avec amour la vie philosophique. Il laissa donc tout à fait le peuple de l'église, alla se cacher dans les déserts et des lieux inconnus, et y passa de nombreuses années.

[7] Mais l'œil puissant de la justice ne resta pas, lui non plus, oisif sur ce qui avait été accompli et celle-ci abandonna très rapidement les impies aux imprécations qu'ils avaient prononcées avec serment contre eux-mêmes. En ce qui concerne le premier, une petite étincelle tomba, sans cause aucune, purement et simplement, sur la maison qu'il habitait, la brûla entièrement pendant la nuit et lui-même fut entièrement consumé. Le second fut subitement, du bout des pieds à la tête, rempli du mal auquel il s'était condamné. [8] Le troisième, voyant l'accomplissement des premières imprécations et tremblant devant l'inéluctable justice du Dieu qui voit tout, avoua à tous les machinations ourdies entre eux. Dans son repentir il s'épuisa tellement en gémissements et ne cessa de pleurer avec une telle abondance qu'il perdit les deux yeux ; et voilà quel châtiment ils reçurent de leur mensonge.

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