Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE VI

CHAPITRE XLIII
NOVAT, SON GENRE DE VIE ET SON HÉRÉSIE

[1] Voilà ce qu'établit à bon droit Denys, dans le discours qu'il fit concernant ceux qui ont faibli lors de la persécution. Alors Novat, prêtre de l'église de Rome, était, en ce qui les regardait, ancré dans l'orgueil et il enseignait qu'il n'était plus pour eux d'espoir de salut, pas même s'ils faisaient tout pour un retour sincère et une confession pure. Il s'établit chef de son hérésie dont les partisans s'appellent dans l'orgueil de leur raison Cathares [les purs].

[2] A son sujet, un très grand concile fut convoqué à Rome ; il se composait de six cents évêques et d'un bien plus grand nombre de prêtres et de diacres ; dans le reste des provinces, les pasteurs de chaque contrée examinèrent en particulier ce qu'il y avait à faire, puis un décret fut établi par tous. Novat, ainsi que tous ceux qui s'étaient levés avec lui et ceux qui décidaient de donner leur assentiment à la doctrine antifraternelle et inhumaine de cet homme, étaient réputés parmi les gens étrangers à l'Église ; quant à ceux des frères qui étaient tombés dans le malheur, il y avait à les soigner et à les guérir par les remèdes de la pénitence.

[3] Il est venu jusqu'à nous des lettres de Corneille, évêque des Romains, à Fabius, évêque de l'église d'Antioche ; elles racontent ce qui concerne le concile de Rome et ce qui a été décidé par les évêques d'Italie, d'Afrique et des pays qui s'y trouvent. Il y a encore, écrites en langue latine, d'autres lettres de Cyprien et de ceux qui se trouvaient auprès de lui en Afrique ; il y est déclaré qu'eux aussi sont de l'avis qu'il faut que ceux qui ont été éprouvés, trouvent des secours et qu'on doit à juste titre bannir de l'église catholique le chef de l'hérésie et pareillement tous ceux qui ont été entraînés par lui. [4] A ces lettres, est jointe une autre de Corneille sur ce qu'il a plu au concile de décider, et une encore, concernant ce qui avait été fait contre Novat ; rien n'empêche d'en citer aussi une partie afin que ceux qui la liront ici sachent ce qui le concerne.

[5] Corneille renseigne donc Fabius sur ce qu'est la conduite de Novat ; il lui écrit ceci : « Afin que tu saches que depuis très longtemps cet étrange personnage désirait l'épiscopat, qu'il cachait en lui l'ardente ambition de l'obtenir sans qu'on s'en aperçût, et que pour voiler sa démence, dès le début, il avait autour de lui des confesseurs, je veux parler. [6] Maxime, prêtre de notre église, et Urbain, qui ont moissonné deux fois la noble gloire de la confession, ainsi que Sidoine et Célérinus, qui a surmonté toutes les tortures grâce à la très puissante miséricorde de Dieu, qui a par l'énergie de sa foi fortifié la faiblesse de la chair et vaincu l'adversaire par la force, ces hommes donc ont observé Novat, ils ont pris sur le fait la méchanceté qui était en lui, ainsi que sa duplicité, ses parjures, ses mensonges, son tempérament insociable, son amitié de loup ; ils sont revenus dans la Sainte Église et ils ont dévoilé toutes ses machinations et ses méfaits qui existaient depuis longtemps et qu'il cachait en lui-même ; ils ont fait cette déclaration en présence d'un assez grand nombre ou d'évêques ou de prêtres et d'une foule de laïcs ; ils gémissaient et regrettaient d'avoir suivi ce monstre astucieux et mauvais, et de s'être séparés un instant de l'Église. »

[7] Et peu après il dit : « En peu de temps, cher frère, quelle inconcevable transformation et quel changement nous avons vu se faire en lui. Car cet homme très distingué avait persuadé par des serments terribles, qu'il ne désirait absolument pas l'épiscopat ; or tout d'un coup, il paraît évêque comme s'il eût été lancé au milieu de nous par un mangoneau. [8] Car ce dogmatiseur, ce protecteur de la science ecclésiastique, lorsqu'il entreprit d'arracher et d'extorquer l'épiscopat qui ne lui était pas donné d'en haut, choisit deux de ses associés qui avaient renoncé à leur salut et les envoya dans une petite localité insignifiante de l'Italie et là il trompa trois évêques, hommes rustiques et très simples, par une argumentation préparée ; il fit affirmer, en insistant avec force, qu'il fallait qu'ils vinssent promptement à Rome, afin que toute cette dissension qui existait, fût terminée avec les autres évêques et par leur arbitrage. [9] Ils arrivèrent, ces hommes, ainsi que nous venons de le dire, trop simples pour les artifices et les ruses de ces méchants ; ils furent enfermés par certaines gens semblables à lui qu'il avait incités à cela et à la dixième heure, alors qu'ils étaient enivrés et alourdis par la boisson, il les contraignit de force à lui donner l'épiscopat, par un vain simulacre d'imposition des mains ; cet épiscopat il le revendique par ruse et par fourberie, il ne lui appartient pas. [10] Peu après, l'un des évêques est revenu à l'Église, se lamentant et confessant sa faute ; nous l'avons même reçu à la communion des laïcs : tout le peuple présent intercédait pour lui ; aux autres évêques nous leur avons ordonné des successeurs et nous les avons envoyés aux lieux où ils étaient.

[11] « Ce vengeur de l'Évangile ne sait-il donc pas qu'il faut qu'il n'y ait qu'un seul évêque dans une église catholique ? Or il n'ignore pas que dans celle-ci — comment l'ignorerait-il ? — il y a quarante-six prêtres, sept diacres, sept sous-diacres, quarante-deux acolytes, cinquante-deux exorcistes, lecteurs et portiers, plus de quinze cents veuves et indigents, et la grâce et la charité du Maître les nourrit tous. [12] Ni cette multitude si grande et si nécessaire dans l'Église, ni le nombre de ceux qui, grâce à la providence de Dieu, sont riches et pourvus de biens, non plus aussi qu'un peuple très grand et innombrable, rien ne l'a détourné d'une semblable désespérance et défaillance, ni ne l'a rappelé dans l'Église. »

[13] Et de nouveau, un peu plus loin il ajoute ceci : « Maintenant disons par quelles œuvres et quel genre de vie il a eu la hardiesse de prétendre à l'épiscopat. Est-ce pour avoir depuis le commencement vécu dans l'Église et avoir soutenu pour celle-ci des luttes nombreuses et avoir été en de nombreux et grands dangers à cause de la religion ? Mais cela n'est pas. [14] Le principe de sa croyance est Satan qui est venu en lui et y a habité un temps assez long ; il a été secouru par les exorcistes, il est tombé dans une dure maladie et pensant presque mourir, sur le lit même où il gisait, il a reçu le baptême par allusion, si du moins il faut dire qu'un tel homme l'a reçu. [15] Il n'a pas obtenu, après en avoir réchappé, le reste qu'il faut recevoir ensuite selon la règle de l'Église et il n'a pas été scellé par l'évêque : n'ayant pas reçu cela, comment a-t-il reçu le Saint-Esprit ? »

[16] Peu après il dit encore : « Par lâcheté et amour de la vie, au temps de la persécution, il a nié qu'il était prêtre. Invité en effet et exhorté par les diacres à sortir du réduit où il s'était emprisonné et à secourir les frères ainsi que le doit, ainsi que le peut un prêtre, lorsque des frères sont dans le danger et demandent le secours d'un réconfort, il a été si loin de céder aux diacres qui le pressaient qu'il est sorti furieux et s'en est allé : il ne voulait en effet plus, disait-il, être prêtre, parce qu'il était épris d'une autre philosophie. »

[17] Passant un peu plus loin, il ajoute encore à cela ces paroles : « Cet homme illustre, qui a abandonné l'Église de Dieu dans laquelle il avait cru, où il avait été jugé digne du sacerdoce par la grâce de l'évêque qui lui imposa la main pour lui donner rang dans le sacerdoce, malgré l'opposition de tout le clergé et même de beaucoup de laïcs, il n'était en effet pas permis après avoir été baptisé dans un lit pendant une maladie, comme lui, de devenir quelqu'un dans le clergé ; mais l'évêque demanda qu'on le laissât ordonner celui-ci seulement. »

[18]. Ensuite il ajoute à cela quelque chose qui est pire que les actions déplacées faites par cet homme ; il parle ainsi : « En effet, lorsqu'il a fait les offrandes eucharistiques et qu'il en distribue la part à chacun et qu'il la lui remet, il oblige les malheureux à jurer au lieu de rendre grâces ; il prend dans ses deux mains celles de celui qui reçoit l'eucharistie, et il ne les lâche pas avant qu'ils n'aient prêté serment en ces termes — je me sers de ses paroles — : « Jure-moi, sur le sang et le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de ne m'abandonner jamais et de ne pas aller à Corneille. » [19] Et le malheureux ne communie pas s'il ne s'est auparavant maudit lui-même, et au lieu de dire amen, en recevant ce pain, il dit : « Je ne retournerai pas à Corneille. »

[20] Après autre chose, il dit encore ceci : « Sache que maintenant il est abandonné et isolé ; les frères le laissent chaque jour et reviennent à l'Église. Moïse, lui aussi, le bienheureux martyr qui tout récemment parmi nous a souffert un beau et admirable martyre, alors qu'il était encore en ce monde, voyant son audace et sa démence, l'excommunia avec les cinq prêtres qui se sont séparés de l'église ainsi que lui. »

[21] Et, vers la fin de sa lettre, il fait la liste des évêques qui furent à Rome et ont condamné la sottise de Novat ; avec leurs noms, il mentionne celui de l'église que chacun d'eux gouvernait. [22] Il cite aussi les noms de ceux qui ne vinrent pas à Rome mais qui donnèrent par lettres leur assentiment au vote des précédents ; il indique également les villes d'où chacun écrivait. Voilà ce qu'exposait Corneille dans sa lettre à Fabius, evêque d'Antioche.

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