Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE IX

CHAPITRE IX
LA FIN TRAGIQUE DE LA VIE DES TYRANS ET DE QUELLES PAROLES ILS SE SERVIRENT AVANT LEUR MORT

[1] C'est assurément de la sorte que Constantin, que nous avons dit plus haut empereur fils d'empereur, homme pieux né d'un père très pieux et très sage en tout, fut suscité par le roi souverain, Dieu de l'univers et Sauveur, contre les tyrans très impies ; quand il eut rangé ses troupes selon la loi de la guerre, Dieu combattit avec lui d'une façon très miraculeuse. D'une part, à Rome, Maxence tombe sous les coups de Constantin ; d'autre part, en Orient, Maximin ne lui survit pas longtemps et il succombe lui aussi dans une mort très honteuse sous les coups de Licinius, qui n'était pas encore frappé de démence.

[2] Tout d'abord, Constantin, le premier des deux empereurs par la dignité et le rang, prend pitié de ceux qui à Rome subissaient la tyrannie. Après avoir appelé dans ses prières comme allié le Dieu du ciel et son Verbe, Jésus-Christ lui-même, le Sauveur de tous, il s'avance avec toute son armée, promettant aux Romains la liberté de leurs ancêtres. [3] Pour Maxence, c'était plutôt dans les opérations de magie que dans la loyauté de ses sujets qu'il mettait sa confiance ; il n'osait pas sortir hors des portes de la ville. Mais la multitude sans nombre de ses soldats et les milliers de bataillons de ses armées couvraient tout le pays, les campagnes et les villes aux environs de Rome et dans toute l'Italie qui servait sous son autorité. L'empereur qui s'était concilié l'alliance de Dieu arrive ; dans une première, une seconde et une troisième rencontre avec le tyran, il remporte très facilement la victoire ; puis il s'avance à travers toute l'Italie et arrive tout proche de Rome. [4] Alors afin qu'il ne soit pas forcé à cause du tyran de combattre les Romains, Dieu lui-même, comme avec des chaînes, traîne le tyran très loin des portes, et ce qui s'est autrefois réalisé contre les impies, ce que la plupart rejettent comme faisant partie d'un récit fabuleux, quoiqu'il soit, pour les croyants, raconté comme digne de foi dans les Saintes Écritures, s'est imposé par sa propre évidence, pour parler sans détour, à tous, croyants et incroyants, qui ont vu ces merveilles de leurs yeux. [5] De même que sous Moïse et la race des Hébreux, à l'antique piété, « les chars de Pharaon et sa puissance furent jetés par lui dans la mer, élite de ses cavaliers et capitaines ; ils furent engloutis dans la mer Rouge et le flot les recouvrit » : ce fut ainsi que Maxence lui aussi et les soldats et les gardes qui l'entouraient : « s'enfoncèrent dans l'abîme comme une pierre », lorsque tournant le dos à la force de Dieu qui était avec Constantin, il traversait dans sa marche le fleuve dont il avait lui-même réuni les rives par des barques et sur lequel il avait eu le soin de jeter un pont se préparant à lui-même un instrument de mort. [6] De lui on peut dire : « Il a creusé un piège et il l'a fait profond, et il tombera dans le gouffre qu'il a fabriqué. Son labeur tournera contre sa tête et sa malice rejaillira sur son front. » [7] C'est bien ainsi que le pont de bateaux établi sur le fleuve s'est rompu, le chemin s'est affaissé et, en masse, avec tous les hommes, les barques se sont enfoncées dans le gouffre ; lui-même le premier, le prince très impie, puis les gardes qui l'entouraient, selon que l'annonçaient les divines paroles, « descendirent comme du plomb dans l'eau profonde ». [8] C'était donc à bon droit que, sinon par leurs discours, du moins par leurs actions, de la même manière que ceux qui accompagnaient Moïse le grand serviteur [de Dieu], ceux qui grâce à Dieu avaient remporté la victoire pouvaient en quelque sorte chanter les mêmes choses contre l'ancien tyran impie et dire : « Chantons au Seigneur ; car il est merveilleusement glorifié ; le cheval et son cavalier il les a jetés dans la mer. Mon secours et ma protection, c'est le Seigneur ; il a été pour moi le salut. Qui est semblable à toi parmi les dieux, ô Seigneur, qui est semblable à toi ? glorifié dans les saints, admirable dans la gloire, artisan de prodige. » [9] Ce sont ces paroles et d'autres, sœurs de celles-ci ou analogues, que Constantin a chantées dans ses œuvres, à Dieu, chef suprême et auteur de la victoire ; puis il est entré à Rome avec les hymnes de triomphe. Tous en masse, avec les enfants en bas âge, les femmes, les membres du Sénat et de leur côté les perfectissimes, ainsi que tout le peuple des Romains, le recevaient avec des regards brillants de bonheur et de toute leur âme, comme leur libérateur, leur sauveur et leur bienfaiteur, au milieu des acclamations et d'une insatiable joie. [10] Mais lui possédait comme une chose naturelle la religion de Dieu, il ne se laisse pas tout à fait ébranler par ces cris, ni exalter par ces louanges ; il a absolument conscience du secours qu'il a reçu de Dieu ; il ordonne donc sur-le-champ d'élever le trophée de la passion salutaire dans la main de sa propre statue ; et il commande à ceux qui le plaçaient lui-même dans l'endroit de Rome le plus fréquenté, ayant dans sa main droite le signe sauveur, de mettre dans la langue des Romains l'inscription suivante en ces termes mêmes : [11] « C'est par ce signe de salut, cette véritable preuve du courage, que votre ville a été par moi sauvée et délivrée du joug du tyran et qu'en outre le sénat et le peuple des Romains ont été affranchis et rétablis par moi dans leur ancienne illustration et splendeur ».

[12] A la suite de ces événements, Constantin personnellement et avec lui Licinius, qui alors n'avait pas orienté son esprit vers la démence où il tomba plus tard, se conciliaient Dieu, pour eux, l'auteur de tous ces biens. Tous deux, dans un accord de volonté et de pensée, établissent sur les chrétiens une loi très complètement parfaite et ils envoient le récit des merveilles opérées par Dieu en leur faveur, les circonstances de la victoire sur le tyran ainsi que la loi elle-même à Maximin qui gouvernait encore les peuples d'Orient et qui caressait leur amitié.

[13] Le tyran fut très affligé de ce qu'il apprit, mais ensuite ne voulut ni paraître rester en arrière des autres ni supprimer ce qui était ordonné. Par crainte de ceux qui avaient légiféré, comme de son propre mouvement, il écrit par contrainte aux gouverneurs qui étaient sous ses ordres, en faveur des chrétiens, ce premier rescrit, où il imagine ce qu'il n'avait jamais fait et se ment à lui-même.

Copie de la traduction de la lettre du tyran.

« [1] Jovius Maximin Auguste à Sabinus. Il est évident pour ta Dévotion et pour tous les homme, j'en suis persuadé, que ce sont nos maîtres, Dioclétien et Maximien, nos pères, qui, quand ils constatèrent que tous les hommes désertaient la religion des dieux et se mêlaient au peuple des chrétiens, ont justement disposé que tous ceux qui s'étaient éloignés du culte des dieux immortels eux-mêmes, seraient par châtiment et punition éclatante rappelés à les honorer. [2] Mais lorsque je vins heureusement en Orient et que j'appris qu'un grand nombre de gens qui pouvaient être utiles à l'État étaient bannis en certains lieux par les juges pour le motif ci-dessus indiqué, j'ai donné des ordres à chaque juge pour qu'aucun à l'avenir ne se laissât aller à être cruel contre les habitants des provinces, mais que plutôt par des gracieusetés et des exhortations ils les rappelassent au culte des dieux. [3] Alors cela étant, lorsque conformément à mes ordres, les juges ont gardé mes décisions, il n'est arrivé à personne d'être exilé des contrées de l'Orient ni d'être maltraité ; mais au contraire, comme on n'agissait pas durement contre eux, ils étaient rappelés à la religion des dieux.

« [4] Plus tard, lorsque l'année dernière j'arrivais heureusement à Nicomédie et que j'y prolongeais mon séjour, des citoyens de cette ville vinrent à moi avec les statues des dieux pour demander avec instance que de toute manière il ne fût jamais permis à un pareil peuple d'habiter leur patrie. [5] Cependant comme je savais qu'un grand nombre de sectateurs de cette religion habitaient ces contrées, je répondis à leur requête que leur demande me causait bien de la joie, mais que je ne voyais pas que cela fût réclamé par tous ; que, si certains persévéraient dans celte superstition, dans ce cas ils gardassent chacun sa préférence, et que, s'ils le voulaient, ils reconnussent le culte des dieux. [6] Mais aux habitants de la ville de Nicomédie et aux autres villes, qui, elles aussi, pour le même but, m'avaient fait la même demande avec beaucoup d'empressement, à savoir qu'aucun chrétien n'habitât les villes, je fus dans la nécessité de répondre avec bienveillance, parce que tous les anciens empereurs avaient observé la même conduite et qu'aux dieux eux-mêmes par qui subsistent tous les hommes et le gouvernement lui-même des affaires publiques, il me plaisait que je confirmasse une telle requête qu'ils m'apportaient en faveur du culte de leur divinité.

« [7] Aussi bien, quoique très souvent auparavant il ait été envoyé des rescrits à ta Dévotion et qu'il t'ait été pareillement enjoint par des ordonnances qu'on ne se porte contre les habitants des provinces qui tiennent à garder une telle coutume, à rien de déplaisant, mais qu'on sache être indulgent et modéré, néanmoins afin que de la part ni des béneficiaires ni de qui que ce soit, ils n'aient à supporter ni violences ni tracasseries, j'ai décidé en conséquence de rappeler à la Gravité par les présentes que ce sera plutôt par les gracieusetés et les exhortations que tu feras agréer le soin des dieux à nos sujets de provinces. [8] Par suite, si quelqu'un, par son propre choix, préfère le culte des dieux qu'on doit reconnaître, il convient de l'accueillir ; mais si certains veulent suivre leur religion à eux, laisse-les à ce qui leur est permis. [9] C'est pourquoi ta Dévotion doit observer ce qui t'est prescrit, et qu'à personne il ne soit accordé de vexer nos sujets des provinces par des violences et des tracasseries, quand, selon ce qui est écrit ci-dessus, c'est par les exhortations bien plutôt et les gracieusetés qu'il convient de ramener nos sujets des provinces au culte des dieux. Et afin que cet ordre de nous parvienne à la connaissance de tous nos sujets des provinces, tu devras, par un décret que tu dresseras, publier ce qui a été ordonné. »

[10] Voilà ce qu'il écrivit contraint par la nécessité, mais non pas pour obéir à sa conviction ; il n'était pas non plus véridique, ni digne d'être cru par personne, parce qu'après une concession semblable faite précédemment, son esprit s'était révélé inconstant et trompeur. [11] Pas un des nôtres n'osa donc convoquer une assemblée ni s'exposer soi-même en public, parce que la lettre ne le lui permettait pas. Il n'y avait de garanti que la sécurité contre les outrages, mais il n'était pas octroyé de faire des assemblées non plus que de bâtir des églises, ni de pratiquer quoi que ce soit de ce que nous avons coutume. [12] Cependant les défenseurs de la paix et de la religion lui avaient écrit d'autoriser cela, et les édits et les lois l'avaient accordé à tous leurs sujets ; mais cet homme très impie avait préféré ne point s'accorder ainsi, mais seulement lorsque, acculé par la divine justice, il y serait contraint malgré lui.

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