Préparation évangélique

LIVRE I

CHAPITRE IV
QUE CE N’EST POINT INCONSIDÉRÉMENT QUE NOUS AVONS EMBRASSÉ LA CROYANCE DES VÉRITÉS LES PLUS SALUTAIRES, LORSQU’ELLES NOUS ONT ÉTÉ PRÉSENTÉES

Toutes ces circonstances relatives à nos institutions font foi que leur plan n’est dû à aucune invention de l’imagination humaine, mais qu’il a été divinement prévu et divinement annoncé d’avance par les oracles écrits, et surtout qu’il a été divinement offert à tous les hommes par l’entremise de notre Sauveur. En outre, la religion a de plus été fortifiée et soutenue par Dieu, lorsque, pendant tant d’années, elle était persécutée par les démons invisibles et par ceux qui, de temps à autre, apparaissaient sous la forme de princes visibles ; elle n’a fait que briller chaque jour d’un plus vif éclat, qu’acquérir plus de gloire et d’accroissement et se répandre encore davantage. Il est donc évident que c’est à un secours du ciel, à la coopération du Dieu de l’univers, que le nom et la doctrine de notre Sauveur doivent cette force toujours victorieuse et toujours invincible. Et par cela qu’elle porte tous les hommes à bien vivre, non seulement par ses discours positifs, mais encore par une vertu secrète, comment n’apercevrait-on pas clairement en elle les effets de la puissance divine ? On remarquait effectivement les effets d’une puissance divine et ineffable, tant dans ses discours que dans la doctrine qu’elle enseignerait sur le pouvoir suprême du Dieu de l’univers, et lorsqu’elle annonçait que le genre humain serait affranchi de l’action qu’exerçaient sur lui l’erreur et les démons, ainsi que de tous les genres de domination auxquels les nations l’avaient soumis ; car il y avait jadis, dans chaque nation, des milliers de rois et de gouverneurs qui exerçaient un pouvoir absolu sur les villes et sur les provinces ; les peuples étaient régis, les uns par un gouvernement démocratique, les autres par un gouvernement despotique, les troisièmes enfin par un gouvernement aristocratique. Il était inévitable que des guerres de tout genre résultassent de cet état de choses : des nations se trouvant en collision entre elles, et continuellement en insurrection contre d’autres nations voisines, commettant et éprouvant des dévastations, et s’assiégeant les unes les autres, il résultait de là qu’en général, tous ceux qui habitaient les villes, et ceux qui, dans les campagnes, étaient employés aux travaux de l’agriculture, apprenaient le métier de la guerre dès leur enfance, et qu’on les voyait armés d’un glaive sur les voies publiques, dans les bourgades et dans les plaines. Mais après l’avènement du Christ, au sujet duquel les prophètes s’exprimèrent jadis en ces termes : Dans ces jours se lèveront la justice et la plénitude de la paix, et ils briseront leurs glaives, pour les convertir en charrues, et leurs lances, pour en faire des faux, et une nation ne prendra plus le glaive contre une autre nation, elles n’apprendront plus à faire la guerre (Is., II, 4), ces prophéties furent justifiées par la suite des événements ; car la multitude des gouverneurs romains disparut à l’époque où notre Sauveur apparut sur la terre : Auguste avait fondé une monarchie universelle. Depuis ce temps jusqu’aujourd’hui vous ne voyez pas, comme auparavant, des villes en guerre contre des villes, une nation aux prises avec une autre nation, ni enfin la vie entière passée dans une affreuse confusion. Qui ne serait donc frappé d’étonnement en examinant comment, lorsque toutes les nations étaient sous le joug des démons, les hommes qui s’étaient entièrement dévoués à leur culte, se faisaient la guerre avec fureur ; de manière que les Grecs étaient sans cesse aux prises avec les Grecs, les Égyptiens avec les Égyptiens, les Syriens avec les Syriens, les Romains avec les Romains, se réduisaient réciproquement en servitude, ou s’épuisaient par des sièges, comme on peut s’en convaincre en lisant les histoires des anciens qui traitent de ces guerres ; tandis que la doctrine religieuse et éminemment pacifique de notre Sauveur, détruisit de fond en comble l’erreur du polythéisme et mit fin aux anciennes calamités dont la discorde avait accablé les nations ? Je regarde cette particularité comme la preuve la plus éclatante de la divine et ineffable puissance de notre Sauveur. Quant aux avantages évidents qui résultèrent de la prédication de sa doctrine, vous en trouverez un exemple bien, frappant, tel qu’il n’en existe point de mémoire d’homme, et tel que n’en a jamais offert aucun des hommes qui se sont jadis le plus distingués : c’est que par la vertu de ces seules paroles, et aussitôt que sa doctrine eut été répandue dans tout l’univers, les mœurs des nations auparavant féroces et barbares se sont adoucies. Ainsi les Perses, instruits dans cette doctrine, n’ont plus épousé leurs mères, et l’on n’a plus vu les Scythes se repaître de chair humaine, depuis que la parole du Christ est parvenue jusqu’à eux. D’autres nations barbares ne se sont plus souillées par un commerce incestueux entre le père et la fille, le frère et la sœur ; les mâles ne se sont plus épris d’une passion furieuse pour d’autres mâles, et ne se sont plus abandonnés à des voluptés contre nature. On n’a plus vu, comme autrefois, les hommes jeter en proie aux chiens et aux oiseaux les cadavres de leurs proches, ni étrangler ceux sur lesquels pesait le poids des années ; ils ne se sont plus repus, suivant l’ancienne coutume, de la chair de leurs meilleurs amis, après leur mort ; ils n’ont plus, comme leurs ancêtres, immolé des hommes aux démons, qu’ils regardaient comme des dieux ; et, sous prétexte de piété, ils n’ont plus égorgé les personnes qui leur étaient les plus chères. Ces pratiques et une infinité d’autres de la même nature déshonoraient la vie des hommes de l’antiquité.

On rapporte que les Massagètes et les Derbices regardaient comme très malheureux ceux de leurs proches dont la mort était naturelle : c’est pour cela qu’ils les tuaient d’avance, et qu’ils mangeaient ceux de leurs plus chers amis qui étaient épuisés par la vieillesse. Les Tibaréens précipitaient vivants les vieillards qui les touchaient de plus près ; les Hyrcaniens les livraient tout vivants aux oiseaux et aux chiens ; les habitants de la mer Caspienne faisaient la même chose, quand ils étaient morts. Les Scythes les enterraient vivants, et ils égorgeaient sur des bûchers ceux pour lesquels ils avaient le plus d’affection. Les Bactriens jetaient aux chiens les vieillards encore vivants. Telles sont les horreurs auxquelles on se livrait jadis ; mais il n’en est plus de même aujourd’hui. La seule force de la loi salutaire et évangélique a suffi pour anéantir cette rage, cette férocité et toutes ces pratiques si contraires à l’humanité ; on ne regarde plus aujourd’hui comme des dieux, ni des simulacres sourds et inanimés, ni les démons pervers qui s’en servaient pour opérer leurs prestiges, ni les parties du monde visible, ni les âmes des personnes mortes depuis longtemps, ni les bêtes féroces les plus dangereuses. A la place de toutes ces horreurs, au moyen de la seule doctrine évangélique de notre Sauveur, les Grecs et les Barbares qui ont reçu sa parole avec sincérité et sans fard, sont parvenus à une philosophie si relevée, qu’ils honorent, célèbrent et proclament comme Divinité, le seul Dieu Très-Haut, qui surpasse les bornes de l’univers, le Roi suprême et le Maître du ciel et de la terre et le Créateur du soleil, des étoiles et du monde entier. Ils apprennent ainsi à régler si bien leur vie, qu’ils s’étudient à mettre de l’ordre jusque dans leurs regards, de manière à ne les jamais jeter avec convoitise sur des objets capables d’alarmer la pudeur ; ils s’attachent même à extirper radicalement de leur âme toute passion honteuse : comment tout cela ne contribuerait-il pas à amener tous les hommes à une bonne vie ? En outre, ils n’ont jamais besoin de la foi du serment, à plus forte raison n’ont-ils point recourt au parjure, parce qu’ils ont appris de l’Évangile à ne pas jurer de tout, à ne jamais mentir, mais à dire en tout la vérité, de manière que oui et non leur suffisent, et que leur affirmation est plus sûre que toute espèce de serment. Ils ne négligent point les moindres expressions et ne se comportent pas avec indifférence dans les conversations communes, mais ils poussent à cet égard l’attention au point qu’il ne leur échappe jamais aucune expression mensongère, outrageante, honteuse, indécente, d’après l’avertissement que notre Sauveur a donné à ce sujet, en disant : Vous rendrez raison de toute vaine parole au jour du jugement (Matth., XII, 36).

N’est-ce point là l’extrême perfection de la vie philosophique ? En un mot, on voit des multitudes innombrables d’hommes, de femmes, d’enfants, d’esclaves, d’hommes libres, de personnes obscures, distinguées et même de Barbares et de Grecs à la fois, en tout lieu, dans toutes les villes et les provinces, enfin parmi toutes les nations que le soleil éclaire, se réunir pour acquérir la connaissance des préceptes dont nous avons été instruits depuis peu de temps ; ils prêtent une oreille attentive aux discours qui n’ont pas seulement pour objet de détourner des actions impudiques, mais encore des pensées honteuses qui peuvent naître dans l’esprit, et de réfréner les passions qui ont leur siège dans le ventre et dans les parties inférieures. Le genre humain tout entier reçoit les faveurs d’un enseignement divin et religieux. Il apprend à supporter avec autant de générosité que de grandeur d’âme les injures des ennemis qui l’attaquent, et à ne pas combattre les hommes pervers avec leurs propres armes, à triompher de l’emportement, de la colère et de toute passion désordonnée, et même à partager sa fortune avec les pauvres et les indigents, à regarder tous les hommes comme ayant une origine commune, à ne voir dans celui qui est réputé étranger, qu’un proche parent et un frère, par la loi de la nature.

Quiconque rassemblera tous ces préceptes, ne sera-t-il pas obligé de convenir que notre doctrine annonce à tous les hommes, les plus grands et seuls véritables biens, et leur procure ce qui est essentiel pour mener une bonne vie ? Que pensez-vous encore en voyant toutes les espèces d’hommes, non seulement les Grecs, mais encore les Barbares les plus féroces et les habitants des extrémités de la terre, abjurer leur démence et leur brutalité et embrasser des idées plus humaines et plus sages, telles que l’immortalité de l’âme et la vie qui attend, après leur mort, les fidèles amis de Dieu qui se sont attachés à mépriser cette vie temporelle, de manière à démontrer que ceux qui se faisaient jadis un nom dans la philosophie n’étaient que des enfants, et que la mort dont tous les philosophes avaient fait tant de bruit, n’était au fond qu’une bagatelle ? Nos jeunes filles et nos jeunes garçons, des hommes qu’on aurait pris pour des barbares et des gens de rien, ont, grâce à la puissance et à la coopération de notre Sauveur, parfaitement démontré, plutôt par des œuvres que par des paroles, la vérité de la doctrine de l’immortalité de l’âme. Que pensez-vous encore en voyant généralement tous les hommes de toutes les nations, apprendre, d’après les préceptes de notre Sauveur, à se faire une idée saine et constante de la providence de Dieu qui gouverne l’univers, et à pénétrer leur âme de la doctrine qui roule sur la justice et le jugement de Dieu, à mener une vie réglée et à se prémunir soigneusement contre les entreprises de la perversité ?

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant