Préparation évangélique

LIVRE I

CHAPITRE X
THÉOLOGIE DES PHÉNICIENS

« Il suppose que le principe de l’universalité des êtres consiste dans un air épais et venteux, ou dans un vent d’air épais, et dans un chaos obscur comme l’Erèbe. Cet air et ce chaos, dit-il, s’étendent à l’infini, et ce ne fut qu’après une longue série de siècles qu’ils ont trouvé des bornes. Car, lorsque l’esprit conçut de l’amour pour ses propres principes, et qu’il se fit entre eux un mélange, celle union reçut le nom de désir, et ce désir fut le principe de la création de tous les êtres ; l’esprit n’a point connu sa propre origine. De l’union de cet esprit avec ses propres principes fut formé Mot. Les uns disent que c’est un limon, d’autres une corruption d’un mélange aqueux, de laquelle résultèrent toute semence de création et la production de tous les êtres. Il y avait certains animaux insensibles desquels naquirent des animaux intelligents : on les appelait zophasemin, c’est-à-dire contemplateurs du ciel. Ils étaient formés sur un même modèle. On vit briller en même temps que Mot le soleil, la lune, les étoiles et les grands astres. »

Telle est la cosmogonie des Phéniciens, qui introduit évidemment l’athéisme. Voyons maintenant de quelle manière ils entendent la création des animaux ; voici en quels termes s’explique Sanchoniaton.

« Aussitôt que l’air eut brillé d’un vif éclat, l’échauffement de la mer et de la terre fit naître les vents, les nuages et les pluies qui tombèrent du ciel en abondance. Ensuite lorsque ces éléments, séparés l’un de l’autre et chassés de leur propre demeure par l’ardeur du soleil se rencontrèrent de nouveau dans l’espace, et vinrent à se heurter, il en résulta des tonnerres et des éclairs au bruit des tonnerres, les animaux dont nous avons parlé s’éveillèrent ; le fracas les remplit d’épouvante ; les mâles et les femelles commencèrent alors à se mouvoir, tant sur la terre que dans la mer. »

C’est ainsi qu’il explique la création des animaux. Le même historien fait ensuite ces observations :

« Voilà ce que l’on a trouvé écrit dans les mémoires de Taaut sur l’origine du monde ; toute sa cosmogonie est fondée sur les preuves et les conjectures que la pénétration de son esprit lui avait fait apercevoir ; il a fait ensuite briller à nos yeux le flambeau de ses découvertes. »

Puis, après avoir donné le nom à l’auster, à borée et aux autres vents, il poursuit en ces termes :

« Mais ces hommes furent les premiers qui consacrèrent les productions de la terre, les regardèrent comme des dieux, et rendirent les honneurs divins aux substances dont eux, leurs descendants et leurs aïeux soutenaient leur vie, les premiers qui firent des libations et des sacrifices ».

Il ajoute : « Telles étaient leurs pensées sur le culte religieux, conformes à la faiblesse et à la timidité de leur esprit. Il observe ensuite que du vent nommé Colpia et de sa femme nommée Baan, nom qui veut dire nuit, naquirent deux hommes que l’on appelle Eon et Protogone ; Eon découvrit dans les arbres des moyens de subsistance. Ceux qui naquirent de ces deux hommes furent appelés Race et Famille ; ils habitèrent la Phénicie. De vives chaleurs étant survenues, ils élevèrent les mains vers le ciel et vers le soleil ; car, dit l’auteur, ils le regardent comme un dieu, seul souverain du ciel ; ils l’appellent Beelsamen, qui, en phénicien, signifie souverain du ciel ; c’est le même que les Grecs appellent Jupiter. »

Après cela, il accuse l’erreur des Grecs, en disant : « Ce n’est pas en vain que nous avons expliqué ces choses de plusieurs manières différentes, et que nous nous sommes attachés aux divers sens des noms donnés aux choses dans cette matière. Comme les Grecs ignoraient ces divers sens, ils leur en ont substitué de faux, trompés en cela par la double signification que l’interprétation présentait. »

Il ajoute : « De la race d’Éon et de Protogone provinrent encore des enfants sujets à la mort, nommés Lumière, Feu et Flamme. En frottant des morceaux de bois l’un contre l’autre, ils trouvèrent le feu, et en enseignèrent l’usage. Ils engendrèrent des fils d’une grosseur et d’une grandeur extraordinaires qui donnèrent leurs noms aux montagnes dont ils s’étaient emparés. C’est d’eux que tirèrent leurs noms les monts Cassius, Liban, Antiliban et Brathyus. C’est aussi d’eux que naquirent Memrumus et Hypsuranius ; ceux-ci reçurent leurs dénominations de leurs mères, femmes impudiques, qui se prostituaient alors aux premiers venus. »

Il ajoute : « Hypsuranius habita Tyr, et il inventa l’art de construire des cabanes avec des roseaux, des joncs et du papyrus ; il vécut en discorde avec son frère Usoüs, qui, le premier, trouva le moyen de se couvrir le corps avec les peaux des bêtes qu’il avait prises. Des vents épouvantables et des pluies abondantes étant survenus, le feu prit aux arbres situés à Туr, qui s’étaient embrasés paг le frottement, et consuma la forêt qui se trouvait dans le même lieu. Usoüs ayant saisi un arbre, en ôta les branches, en forma une espèce de navire, et osa ainsi le premier se mettre en mer. Il érigea deux colonnes en l’honneur du feu et du vent ; il se prosterna devant elles, et leur offrit le sang des bêtes qu’il avait prises à la chasse. Aussitôt que ces hommes furent morts, ceux qui leur avaient survécu leur consacrèrent des branches d’arbres, adorèrent leurs colonnes, et célébrèrent des fêtes annuelles en leur honneur. Longtemps après, de la race d’Hypsuranius, naquirent Chasseur et Pécheur : ce sont eux qui inventèrent la pêche et la chasse, et qui donnèrent leurs noms aux chasseurs et aux pêcheurs ; d’eux naquirent deux frères qui firent la découverte du fer et des moyens de le travailler ; l’un d’eux, nommé Chrysor, s’adonna à l’éloquence, à l’art des enchantements et à la divination : c’est lui qu’on appelle Vulcain ; il inventa aussi l’hameçon, l’amorce, la ligne et le filet. Il fut le premier de tous les hommes qui se livra à la navigation ; c’est pourquoi, après sa mort, ses compatriotes l’honorèrent comme un dieu, on lui donna le nom de Diamichius. On dit que ses frères découvrirent la manière de construire des murailles avec des briques. Plus tard, de leur race naquirent deux jeunes gens dont l’un fut nommé Artisan, et l’autre Terrestre Autochtone ; ils trouvèrent l’art de faire du mortier avec de la boue de brique, de le sécher au soleil, et d’élever des toits sur les maisons. Ces deux hommes en engendrèrent deux autres dont l’un se nommait Champ, et l’autre Rustique ou Agricole ; on lui érigea, en Phénicie, une statue très révérée, et un temple traîné par deux bœufs. Dans les livres, il est désigné par excellence comme le plus grand des dieux. Les deux frères inventèrent l’art de garnir les maisons de cours, d’enceintes et de réduits souterrains ; c’est d’eux que proviennent les agriculteurs et les chasseurs qui se servent de chiens. On les appelle aussi Errants et Titans. Ils donnèrent naissance à Amynus et à Magus, qui apprirent à construire des villages et à nourrir des troupeaux. De ces derniers naquirent Misor et Sydec, c’est-à-dire, facile à délier et juste. Ils trouvèrent l’usage du sel. De Misor provint Taaut qui inventa les premiers éléments de l’écriture : c’est lui que les Égyptiens ont nommé Thoor, les habitants d’Alexandrie Thoyt, et les Grecs Mercure. De Sydec naquirent les Dioscures, autrement dits Cabires, ou Corybantes, ou Samothraces. Les deux frères, dit l’historien, furent les premiers inventeurs de la navigation : ils donnèrent naissance à d’autres individus qui découvrirent la vertu des plantes, la guérison des morsures et les enchantements. De leur temps naquit un certain Elian, nommé Très-Haut, et une femme nommée Beruth ; ils habitèrent aux environs de Нуblos, ils donnèrent naissance à Épigée ou Autochtone, qu’ils appelèrent ensuite Uranus, c’est de son nom qu’on donna celui d’Uranus (ciel) à l’élément qui est au-dessus de nous, en raison de l’excellence de sa beauté ; il eut des deux parents prémentionnés une sœur qu’on appela Terre : c’est en raison de la beauté de cette femme que la terre fut appelée du même nom. Leur père, appelé Très-Haut, ayant péri dans un combat contre des bêtes féroces, reçut les honneurs de l’apothéose : ses enfante l’honorèrent par des libations et des sacrifices. Uranus (le ciel) ayant succédé à l’empire de son père, épousa la Terre, sa sœur, et il en eut quatre enfants, savoir : Ilus, appelé aussi Saturne, Betylus, Dagon, appelé aussi Siton, et Atlas. Uranus eut encore d’autres femmes une nombreuse progéniture. C’est pourquoi Terre, indignée et emportée par la jalousie, accabla Uranus de reproches, et ils se séparèrent ; Uranus qui l’avait quittée, la violait encore toutes les fois qu’il en avait le désir, et après l’avoir approchée, il s’en éloignait de nouveau ; il essaya de faire périr les enfants qu’il avait eus d’elle, mais Terre s’étant environnée d’auxiliaires, repoussa souvent ses attentats. Saturne parvenu à l’âge viril, et aidé par les conseils et l’assistance de Mercure Trismégiste, qui était son secrétaire, résista à Uranus, son père, pour venger l’outrage fait à sa mère. Saturne eut pour enfants Proserpine et Minerve : la première mourut vierge, d’après les conseils de Minerve et de Mercure, il fabriqua une faux et une lance avec du fer ; ensuite, Mercure, ayant employé les secours de la magie à l’égard des auxiliaires de Saturne, leur inspira la plus vive ardeur pour combattre contre Uranus en faveur de Terre. Saturne en étant ainsi venu aux prises avec Uranus, le dépouilla de l’empire dont il s’empara pour son propre compte ; une concubine qu’Uranus aimait passionnément fut prise dans le combat ; elle était enceinte, Saturne la donna pour épouse à Dagon qui en reçut un fils dont Uranus était l’auteur, et qui fut nommé Demaroon. Ensuite Saturne entoura de murailles son habitation, et il bâtit la ville principale de la Phénicie, qu’on appelle Byblos ; puis Saturne ayant conçu des soupçons contre son frère Atlas, l’enfouit dans la terre à une grande profondeur, d’après le conseil de Mercure. Vers celle époque, les descendants des Dioscures ayant construit des radeaux et des navires, se livrèrent à la navigation ; jetés contre le mont Cassius, ils y consacrèrent un temple. Les alliés d’Ilus ou Saturne furent appelés Eloïm ou Saturniens, parce qu’ils étaient contemporains de Saturne. Ce dernier avait un fils nommé Sadid ; ayant conçu des soupçons contre lui, il lui plongea un glaive dans la gorge et lui arracha ainsi la vie ; il trancha également la tête à sa propre fille, de manière que tous les dieux furent étonnés de celle résolution de Saturne. Au bout de quelque temps, Uranus qui avait été contraint de prendre la fuite, chargea Astarté, sa fille, vierge encore, et ses deux autres sœurs, Rhéa et Dioné, de tuer Saturne en trahison ; mais celui-ci ayant trouvé le moyen de les séduire, épousa ses propres sœurs. Uranus informé de cette circonstance, envoya Destinée et Beauté faire la guerre à Saturne avec d’autres auxiliaires ; mais Saturne les ayant amadouées les retint également auprès de lui. Ce fut alors qu’Uranus inventa les Bétyles, sorte de pierres animées qu’il trouva moyen de créer. Saturne eut d’Astarté sept filles appelées Titanides ou Artémides (Dianes), et il eut encore de Rhéa sept enfants mâles, dont le plus jeune fut consacré dès sa naissance ; il eut aussi des filles de Dioné ; il eut encore d’Astarté deux fils, Désir et Amour. Dagon, après avoir découvert le blé et inventé la charrue, fut nommé Jupiter Agricole. Une des Titanides ayant eu commerce avec Sydec surnommé le Juste, donna naissance à Esculape. Saturne eut encore trois enfants à Pérée, savoir : Saturne du même nom que lui, Jupiter-Belus et Apollon. De leur temps naquirent aussi Pontus, Typhon et Nérée, père de Pontus ; de Pontus naquirent Neptune et Sidon : le dernier chantait d’une manière si ravissante qu’il passe pour avoir inventé la mélodie. De Demaroon naquit Mélicarthe, appelé aussi Hercule. Ensuite Uranus s’étant séparé de Pontus, lui fit de nouveau la guerre, et s’attacha au parti de Demaroon ; celui-ci fit une irruption contre Pontus, qui le mit en déroule ; Demaroon voulant au moins être heureux dans sa fuite, fit vœu d’offrir un sacrifice. Après avoir exercé pendant trente-deux ans le pouvoir suprême, Ilus, c’est-à-dire Saturne, ayant tendu des embûches à Uranus, son père, dans un certain endroit placé au milieu de la terre, se saisit de sa personne, et lui coupa les parties honteuses, dans ce même endroit entouré de fontaines et de fleuves ; c’est là qu’Uranus fut honoré plus tard, son esprit se dissipa et le sang de ses blessures s’écoula dans les fontaines et dans les eaux des fleuves : on montre encore aujourd’hui l’endroit qui fut le théâtre de cet événement. »

Telles sont les actions merveilleuses de ce Saturne si vanté par les Grecs, et de ceux qui vécurent avec lui, dans cet âge tant chanté par les Grecs ; « car c’est au temps de cette première race d’hommes qu’ils assignent l’époque de l’âge d’or, » le type de la félicité chez les anciens. L’auteur ajoute de nouveaux détails à ceux qui précèdent, en disant : « Astarté-la-Grande, Jupiter Démaroon et Adod, roi des dieux, régnèrent dans le pays du consentement de Saturne. Astarté plaça sur sa tête une tête de taureau comme insigne de la royauté ; elle trouva une étoile tombée du ciel ; s’en étant emparée, elle la consacra dans la sainte île de Туг : les Phéniciens prétendent que cette Astarté n’est autre que Vénus. Saturne, partant pour faire le tour du monde, remit à Minerve, sa fille, le royaume d’Athènes. La peste et la mort avant désolé le pays, Saturne sacrifia son fils unique à son père Uranus, il se coupa les parties génitales et força ses compagnons à en faire autant. Peu de temps après, il divinisa un autre de ses enfants nommé Muth, qu’il avait eu de Rhéa, et qui était mort. Les Phéniciens lui donnent indistinctement les noms de Mort et de Pluton. Ensuite, Saturne donna la ville de Byblos à la déesse Baallis, qu’on appelle aussi Dioné ; il donna aussi celle de Béryle à Neptune et aux Cabires, agriculteurs et pécheurs, qui consacrèrent dans la même ville les restes de Pontus. Avant ces événements, le dieu Taaut, qui avait dessiné le portrait d’Uranus, dessina aussi ceux des dieux Saturne et Dagon, ainsi que les sacrés caractères des éléments. Il inventa aussi pour Saturne un insigne de royauté : c’étaient quatre yeux placés devant et derrière la figure ; deux étaient immobiles et fermés ; quatre ailes étaient attachées aux épaules : deux prenaient leur vol, les deux autres étaient abaissées. Il faisait entendre par ce symbole, que Saturne voyait en dormant, et dormait en veillant ; et quant aux ailes, ce symbole signifiait également que Saturne volait en se reposant, et se reposait en volant. Quant aux autres dieux, il leur avait attaché à chacun deux ailes aux épaules, attendu qu’ils devaient suivre Saturne dans son vol. Il avait encore placé deux ailes sur la tête de Saturne : l’une indiquait l’âme qui gouverne, et l’autre la sensibilité. Saturne s’étant rendu dans les contrées méridionales, accorda toute l’Égypte au dieu Taaut, qui devait en être le roi. Voilà les faits que les sept enfants de Sydec, nommés Cabires, et le huitième, qui était leur frère, nommé Esculape, ont consigné dans des mémoires, ainsi que le dieu Taaut le leur avait ordonné. Le fils de Thabiou, qui, de mémoire d’homme, fut le premier hiérophante chez les Phéniciens, donna à tous ces faits des formes allégoriques, et les réduisant aux phénomènes physiques qui ont lieu dans l’univers, il transmit ses Allégories aux prophètes qui célébraient les orgies et présidaient aux sacrifices. Ces derniers ayant pris beaucoup de peine pour amplifier ces vaines et pompeuses allégories, les transmirent à leurs successeurs et à leurs initiés. L’un d’eux fut Isiris, qui inventa trois lettres. Il était frère de Chnès, qui le premier reçut le nom de Phénicien. »

L’auteur ajoute ensuite : « Les Grecs, qui l’emportaient sur toutes les autres nations par la fécondité de leur génie, commencèrent par s’approprier la plupart de ces fables ; ils les diversifièrent à l’infini par les additions qu’ils y firent, voulant captiver les hommes par les charmes de leurs fictions : leur exagération en ce genre ne connut pas de bornes. Il arriva de là qu’Hésiode et les autres poètes cycliques composèrent à leur tour des théogonies, des combats de géants et de Titans, et d’autres fictions particulières ; en les répandant partout, ils parvinrent à étouffer la vérité. Nos oreilles, bercées de ces fables et séduites depuis un grand nombre de siècles, conservent comme un dépôt ces œuvres de mensonge qui leur ont été transmises, ainsi que je l’ai dit, dans le commencement ; affermies par le temps, il est très difficile de les faire disparaître, de manière qu’aujourd’hui la vérité paraît une rêverie, et la fable semble avoir revêtu tous les caractères de la vérité. »

Contentons-nous de ces extraits des ouvrages de Sanchoniaton, traduits par Philon de Byblos, et dont les récits sont attestés comme véritables par le philosophe Porphyre, qui, dans un écrit sur les Juifs, s’exprime ainsi à l’égard de ce qui concerne Saturne : « Taaut, renommé chez les Phéniciens par sa sagesse, fut le premier qui, vengeant la religion de l’ignorance des hommes vulgaires, l’arrangea en corps de doctrine. Plusieurs générations s’étant écoulées après lui, le dieu Surmubel et la déesse Thuro, qui changea son nom pour celui de Chusartis, marchant sur ses traces, jetèrent du jour sur la théorie de Taaut, qui était couverte du voile de l’allégorie. »

Il dit un peu plus bas : « Il existait une coutume chez les anciens, en vertu de laquelle, dans les grandes calamités et les grands périls, pour empêcher la destruction générale, les chefs d’une ville ou d’une nation égorgeaient leur enfant le plus chéri, et le sacrifiaient aux génies vengeurs comme victime expiatoire. Ceux qui étaient destinés à subir ce sort étaient égorgés au milieu de cérémonies mystérieuses. Or il arriva que Saturne, que les Phéniciens appellent Israël, et qui après sa mort fut divinisé et devint l’étoile du même nom, régna dans le pays : il eut un fils unique d’une nymphe indigène appelée Anobret ; cet enfant reçut le nom de Ieoud, qui, chez les Phéniciens, signifie encore aujourd’hui fils unique. Comme une guerre menaçait le pays des plus grands dangers, après avoir revêtu son fils d’ornements royaux, il le sacrifia sur un autel qu’il avait érigé lui-même. »

Voyons maintenant ce que dit Philon, en traduisant l’ouvrage que Sanchoniaton a écrit sur la nature des reptiles venimeux, qui, au sentiment du philosophe phénicien, loin d’être de quelque utilité pour l’homme, portent au contraire la destruction et la mort dans son sein, lorsqu’ils y répandent leur poison meurtrier. Voici en quels termes il s’exprime à ce sujet : « Taaut lui-même a attribué un caractère divin à la nature du dragon et des serpents ; après lui, les Phéniciens et les Égyptiens pensèrent de même. En effet, cette espèce l’emporte sur tous les autres reptiles sous le rapport de l’abondance des esprits animaux et de sa nature ignée. C’est à raison de ces esprits animaux que son agilité est incomparable, quoique ce reptile soit dépourvu de pieds, de mains et de tout autre membre extérieur au moyen desquels les autres animaux exécutent leurs mouvements. Il se multiplie sous les formes les plus variées, et, au moyen de ses replis sinueux, il s’élance dans sa marche avec toute la rapidité qu’il lui plaît. Il vit très long temps ; non seulement il rajeunit en se dépouillant de sa vieille peau, mais il en reçoit encore de nouvelles forces et un accroissement nouveau ; et quand le terme de son existence est accompli, il se détruit lui-même, ainsi que Taaut l’a également observé dans les monuments sacrés. C’est pour cela que cet animal a été employé dans les sacrifices et dans la célébration des mystères. Nous en avons parlé amplement dans nos commentaires intitulés Ethothies, où nous avons démontré qu’il était immortel, et qu’il se détruit lui-même, comme on vient de le dire ; car cet animal ne périt jamais d’une mort naturelle, à moins qu’il n’ait reçu un coup violent. Les Phéniciens l’appellent bon génie ; les Égyptiens lui donnent également le nom de Cneph, ils lui appliquent une tête d’épervier, en raison de la vivacité de ce volatile. Epeïs, renommé chez eux comme hiérophante suprême et scribe sacré, dont Arius d’Héracléopolis a traduit l’ouvrage en grec, s’exprime ainsi, mais dans une forme allégorique : Le serpent le plus divin est celui à la tête de Milan, l’aspect en est très agréable : aussitôt qu’il ouvrait les yeux, il répandait la lumière dans le lieu de sa naissance ; s’il venait à les fermer, les ténèbres succédaient.

Epéis lui donne évidemment la nature du feu : car il se sert du mot διηύγασε (il éclaira) : or le propre de la lumière est d’éclairer. Phérécyde, saisissant l’occasion de parler de ce serpent en parlant des Phéniciens, a débité ses opinions théologiques au sujet du dieu qu’il appelle Ophion, et des Ophionides : nous en parlerons plus tard. Les Égyptiens, peignant le monde d’après cette idée, ont représenté un cercle aérien et enflammé au milieu duquel est placé un serpent qui a la forme d’un épervier ; toute la figure ressemble à notre Θ (thêta) ; le cercle signifie la forme circulaire du monde, et le serpent qui est au milieu indique un génie bienfaisant.

Le mage Zoroastre s’exprime ainsi dans son Commentaire sur les doctrines sacrées des Perses : Dieu porte une tête d’épervier ; il est le premier des êtres, incorruptible, éternel, incréé, indivisible, n’ayant personne qui lui ressemble, auteur de tout bien, très intègre, le meilleur de tous les êtres bons, le plus prudent des prudents ; il est le père de l’équité et de la justice ; il s’est instruit lui-même ; il est parfait, sage et conforme à la nature dont il a seul inventé les saintes lois.

Ostanes s’exprime de même au sujet de ce serpent, dans son ouvrage intitulé Octateuque. Tous ceux qui ont eu les occasions d’en parler ont énoncé leurs opinions philosophiques dans le sens que l’on vient d’indiquer. Ils représentèrent les premiers éléments sous des formes de serpents ; ils leur dédièrent des temples, leur offrirent des sacrifices, célébrèrent des fêtes et des orgies en leur honneur, les regardant comme les plus grands des dieux, et les modérateurs de l’univers. Mais nous en avons dit assez au sujet des serpents. »

Tels sont les points dans lesquels est renfermée la théologie des Phéniciens, théologie absurde que la voix salutaire de l’Évangile est venue nous apprendre à abandonner sans retour, en nous présentant la guérison de toutes ces folies des anciens peuples. Et qu’on ne dise pas que ce sont là des fables qu’on leur prête, ou des fictions imaginées par les poètes, cachant la vérité sous le voile de l’allégorie : car ce sont les doctrines authentiques des plus anciens et des plus graves auteurs qui ont traité les matières religieuses et que l’on appelait théologiens ; doctrines antérieures à tous les poètes et à tous les historiens ; et ce qui est une preuve irrécusable de leur authenticité, c’est que ces doctrines sur les mœurs et l’histoire des dieux dominent encore aujourd’hui dans les villes et les villages de la Phénicie, et qu’elles sont le fondement des mystères qui y sont célébrés. C’est donc là une chose tellement évidente qu’il n’en faut pas chercher des explications forcées dans la nature, puisque les faits portent en eux-mêmes la preuve la plus convaincante. Telle est la théologie des Phéniciens ; passons maintenant à celle des Égyptiens.

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