Préparation évangélique

LIVRE II

CHAPITRE VII
SENTIMENTS DE PLATON SUR LA THÉOLOGIE DES ANCIENS

« Quant aux autres dieux, dit-il, et à leur origine, c’est là un sujet qui dépasse notre intelligence : il faut sur ces matières se borner à croire ce qu’en ont enseigné nos ancêtres ; parce qu’étant, comme ils le disent eux-mêmes, les descendants des dieux, ils doivent être instruits de tout ce qui a rapport à leurs pères. Loin de nous donc de ne pas croire à la parole des enfants des dieux, quoique ce qu’ils enseignent ne soit pas toujours appuyé sur des démonstrations logiques et rigoureuses : mais la loi nous fait un devoir de nous y soumettre, parce qu’ils parlent de choses qui sont de leur compétence. Suivons donc exactement la généalogie des dieux, telle qu’ils nous l’ont transmise. Le Ciel et la Terre eurent deux enfants, l’Océan et Thétis, qui engendrèrent Phorcys, Saturne et Rhéa, et tous les autres enfants qu’on leur donne. De Saturne et de Rhéa, naquirent Jupiter et Junon, avec tous les frères que nous leur connaissons. Jupiter et Junon eurent aussi un grand nombre d’enfants. »

Ainsi c’est pour obéir aux lois qu’il faut, d’après Platon, souscrire à ces croyances, bien qu’elles ne reposent pas toujours sur des raisonnements clairs et rigoureux : et ce qu’il importe d’observer ici, c’est qu’il enseigne formellement que dans ces dénominations et ces généalogies des dieux, il n’y a point à chercher des allégories tirées des choses naturelles. Mais ailleurs, ce même philosophe confesse naïvement ses opinions personnelles et voici en quels termes : « Hésiode, ou quelque autre que ce soit, a menti impudemment, mais il a fait surtout un bien dangereux mensonge, lorsqu’il a dit que le Ciel a commis les horreurs qu’il lui reproche, et lorsqu’il a révélé le châtiment que Saturne fit subir à son père : car ces prétendus crimes de Saturne et les châtiments que lui infligea son fils, fussent-ils réels, je ne voudrais pas qu’on les révélât ainsi devant des hommes d’un esprit borné, et devant des jeunes gens. Il faudrait jeter un voile sur ces choses-là : et s’il y a quelquefois nécessité indispensable d’en parler, il faut que ce soit en secret, devant un petit nombre d’hommes, non pas quand on immole un porc, mais lorsqu’on offre quelque solennel et mystérieux sacrifice, afin qu’il s’y trouve moins d’auditeurs ; car ce sont là des discours dangereux et qu’on ne devrait jamais entendre dans notre république, mon cher Adimante. Car il ne faudrait jamais qu’un jeune homme entendît dire, qu’un homme qui se livre aux derniers excès, qui fait subir à son père les traitements les plus barbares, ne fait en cela rien d’extraordinaire, rien qui ne soit vu parmi les dieux du premier ordre : ce ne sont point là, je crois, des choses à dire. En un mot, je ne voudrais point que l’on parlât de dieux qui se font mutuellement la guerre, qui se tendent des pièges les uns aux autres, qui s’entre-livrent des combats : car d’abord tout cela n’est point vrai ; puis il faut que ceux qui sont chargés du soin de la république sachent bien tout ce qu’il y a de honteux à s’abandonner ainsi à des haines mutuelles. Il faut bien se garder aussi de nourrir leurs oreilles de ces récits fabuleux, comme les combats des géants, les querelles et les haines des dieux et des héros contre leurs proches et leurs parents : car si nous voulons persuader à nos citoyens, que c’est une chose infâme de se haïr les uns les autres, il faut que ces principes soient inculqués aux enfants, non seulement par les vieillards, les mères, les hommes avancés en âge, mais aussi par les poètes, auxquels il ne devra jamais échapper un mot qui ne soit conforme à cette morale. Mais Jupiter qui met Junon dans les fers, Vulcain qui est précipité du ciel par son père, pour avoir voulu venger les injures de sa mère, et toutes ces guerres des dieux rapportées par Homère, tout cela ne doit jamais avoir entrée dans notre république, soit qu’on doive y attacher un sens allégorique, soit qu’il faille le prendre dans un sens naturel. »

Ce court extrait suffit pour faire voir évidemment que la pensée du philosophe est d’exclure de sa république, non seulement les fables des anciens, mais encore les allégories physiques que l’on prétendrait y trouver. Je demande maintenant si ce n’est pas avec raison, que l’Évangile de notre Sauveur nous prêche l’abjuration de semblables doctrines, quand nous voyons leurs défenseurs naturels les réprouver eux-mêmes. Aussi je ne saurais voir sans admiration les anciens Romains exclure de leur théologie, non seulement les fables grecques sur la nature des dieux, mais même le sens allégorique qu’ils veulent y donner, parce qu’ils avaient remarqué combien ces interprétations sont dénuées de fondement et d’utilité ou plutôt combien elles sont forcées et sans consistance. C’est ce que nous apprendra Denys d’Halicarnasse dans ses Antiquités romaines. Dans son second livre qui contient l’histoire de Romulus, après avoir rapporté les utiles institutions que la ville doit à son fondateur, il ajoute ce qui suit, par rapport aux fables grecques.

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