Préparation évangélique

LIVRE III

CHAPITRE III
DE LA THÉOLOGIE ALLÉGORIQUE DES ÉGYPTIENS

« Ces deux divinités, dit-il, le soleil et la lune, que les Égyptiens appellent des noms d’Osiris et d’Isis, régissent tout l’univers, et dispensent à tous les êtres la nourriture et l’accroissement. Leur action est modifiée de trois manières, qui forment les trois saisons : le printemps, l’été et l’hiver ; et ces trois saisons accomplissent leur cours par une succession réelle, mais insensible. Quoique d’une nature différente l’une de l’autre, elles forment par leur concours cette admirable harmonie dont se compose l’année. La plus puissante influence de ces deux divinités se manifeste dans la fécondité des animaux : dans le soleil, c’est l’élément igné combiné avec le vent ; dans la lune, c’est l’élément humide combiné avec une substance solide ; l’un et l’autre contiennent de l’air : c’est d’eux que toutes choses reçoivent la naissance et l’aliment. Ainsi, toute la masse des corps qui composent l’univers, subsiste par le soleil et la lune, et tout cet univers se réduit aux cinq éléments que nous venons de reconnaître, savoir : le vent, le feu, l’élément solide, l’élément humide et l’air. De même que le corps humain se compose de la tête, des mains, des pieds et d’autres membres que nous y voyons, de même l’universalité des êtres est le résultat de ces cinq éléments. Or, les premiers habitants de l’Égypte qui eurent un langage articulé, firent de chacun de ces éléments une divinité à laquelle ils donnèrent une dénomination particulière, d’après ses propriétés essentielles. Ainsi, le vent ou le souffle fut appelé Jupiter, parce que, d’après son étymologie, ce mot signifie père. Or, le souffle étant le principe de la respiration chez les animaux, cet élément fut à leurs yeux le principe de tous les êtres. Le plus renommé des poètes de la Grèce paraît avoir partagé ce sentiment, puisqu’il appelle ce dieu le père des dieux et des hommes. Ensuite ils ont personnifié le feu en lui donnant le nom de Vulcain, parce qu’il était à leurs yeux un dieu puissant, dont l’action contribuait le plus puissamment à la production et à l’entier développement des êtres. Pour la terre, comme elle était à leurs yeux une sorte de vase où prenaient naissance tous les végétaux, ils lui donnèrent le nom de mère, et par un léger changement introduit par la succession du temps, les Grecs en ont fait Déméter ou Cérès : dénomination évidemment dérivée de celle qui lui était donnée dans le principe ; car on l’appelait la terre mère, ou Ghê mêtêr, comme on le voit dans ce vers d’Orphée : La terre, mère de toutes choses, ou Déméter, source des richesses. L’élément humide, les anciens l’appelèrent Océan, mot qui signifie mère de la nourriture. Quelques Grecs lui ont aussi donné ce nom, car nous lisons dans un poète : L’Océan, père des dieux et Téthys, leur mère. Or, pour les Égyptiens, l’Océan, c’était leur fleuve du Nil, duquel ils faisaient venir tous les autres dieux. En effet, de toutes les parties de la terre, l’Égypte est celle qui compte le plus grand nombre de villes bâties par les anciens dieux : ainsi, elle a les villes de Jupiter, du Soleil, de Mercure, d’Apollon, de Pan, de Lucine, et de plusieurs autres dieux. L’étymologie du mot Minerve leur fit donner ce nom à l’air ; ils l’ont faite vierge et fille de Jupiter, parce que, de sa nature, l’air est impérissable et occupe les régions les plus élevées du monde. C’est aussi ce qui explique pourquoi la fable la fait naître du cerveau de Jupiter. On lui donne aussi le nom de Trigène, parce que l’air prend un aspect différent à chacune des trois saisons de l’année, au printemps, dans l’été, et dans l’hiver. On l’appelle encore Glaucopée, non pas comme l’ont entendu quelques Grecs, parce qu’elle a des yeux bleus, sens qui serait d’une excessive simplicité, mais parce que l’air paraît à nos yeux sous une couleur azurée. Les Égyptiens racontent que les cinq dieux parcourent la terre, apparaissant aux hommes sous diverses formes d’animaux ; quelquefois aussi, ils empruntent une forme humaine ou quelque autre apparence : et ce n’est point là, disent-ils, une assertion fabuleuse, mais très vraisemblable, puisqu’ils sont en réalité les principes de tous les êtres. Aussi le poète ayant abordé en Égypte, fut initié à ces doctrines par les prêtres du pays ; et pour cela qu’il raconte dans un endroit de ses poésies, ce fait comme authentique :

Les dieux révèlent mille formes diverses, et, sous ces formes empruntées, ils ont coutume de parcourir nos villes pour s’assurer par leurs yeux des vices et des vertus des hommes.

Telles sont les croyances des Égyptiens au sujet des dieux célestes, c’est-à-dire des dieux auxquels ils attribuent une existence éternelle. Ils prétendent qu’ensuite ces dieux primitifs donnèrent naissance aux dieux terrestres. Ceux-ci furent d’abord de simples mortels ; mais le bon usage qu’ils firent de leur intelligence, et les bienfaits dont le genre humain leur fut redevable, leur méritèrent les honneurs de l’immortalité. Plusieurs de ces dieux du second ordre régnèrent en Égypte. En remontant à l’étymologie de leurs noms, on voit que plusieurs portèrent les mêmes que les dieux célestes ; les autres, au contraire, reçurent des dénominations particulières : le Soleil, Saturne, Rhéa. Jupiter quelquefois aussi nommé Ammon ; Junon, Vulcain, Vesta et Mercure. Le premier qui régna sur l’Egypte, fut le Soleil, ainsi appelé du nom de l’astre du jour. »

Nous ne continuerons pas d’avantage de citer notre auteur ; mais voyons ce que dit Plutarque dans son ouvrage sur Isis :

« Parmi ceux, dit-il, qui prétendent avoir imaginé une philosophie plus subtile, examinons le sentiment de ceux qui donnent des interprétations plus simples. De même qu’il y a chez les Grecs des philosophes qui enseignent que Saturne est un personnage allégorique qui représente le temps, et que la naissance de Vulcain est simplement l’inflammation de l’air ; de même aussi chez les Égyptiens, les philosophes dont nous parlons disent qu’Osiris est le Nil qui s’unit à Isis, c’est-à-dire à la terre, que Typhon, c’est la mer au sein de laquelle le Nil va se perdre. »

Voilà ce que nous trouvons dans Plutarque, avec plusieurs choses de ce genre. Puis il applique aux démons les fables de tous ces dieux, donnant tantôt une allégorie, tantôt une autre. Mais cette explication nous met en droit de demander à tous ces philosophes, partisans du sens allégorique dans les fables, de quels dieux ils prétendent conserver les images. Sont-ce les images des démons, ou bien, celles du feu, de l’air, de la terre, de l’eau, ou ces simulacres représentent-ils des hommes ou des animaux sans raison ? Car ils avouent que leurs dieux sont des mortels qui portèrent le nom du soleil ou de quelqu’un des éléments, et qui ont été divinisés. De quel nom faudra-t-il donc appeler ces images et ces figures représentées par les idoles inanimées ? Sera-ce les idoles des éléments, ou bien, comme leur forme le témoigne clairement, les idoles d’hommes que la tombe a engloutis ? Qu’ils nous le disent. Mais quelle que soit leur réponse, la vérité est là qui semble emprunter une voix pour crier et proclamer bien haut que les dieux qu’ils honorent furent de misérables mortels ; et Plutarque ne nous laisse aucun doute à ce sujet, lorsque, dans son ouvrage sur Isis et les divinités égyptiennes, il nous trace ainsi en passant le portrait de leurs corps :

« Les Égyptiens racontent, dit-il, que Mercure avait un bras plus court que l’autre, que le teint de Typhon était fauve, celui de Mars blanc, celui d’Osiris noir : preuve qu’ils furent hommes. »

Ce sont les expressions de Plutarque. De là il résulte que tout le culte des Égyptiens consiste à honorer des hommes divinisés après leur mort ; et que les allégories qu’ils veulent nous faire voir dans ce culte sont purement imaginaires et inventées gratuitement. A quoi bon, en effet, des statues d’hommes et de femmes, pour honorer le soleil, la lune et tous les éléments, quand on a sous les yeux ces éléments eux-mêmes, pour leur offrir un culte. Puis, nous diront-ils, lesquels les hommes ou les éléments, ont eu la priorité dans ses dénominations. Ainsi, Vulcain, Minerve, Jupiter, Neptune, Junon ont-ils été dans le principe des noms d’éléments, appliqués plus tard aux hommes que nous en voyons revêtus ? Ou bien, sont-ce des hommes ainsi appelés qui ont ensuite prêté leurs noms à ces éléments ? et d’ailleurs à quoi bon ces dénominations d’hommes mortels, données aux éléments du monde ? Ce n’est pas tout encore ; ces mystères particuliers à chaque divinité, ces chants, ces hymnes, ces initiations mystérieuses, en l’honneur de qui tout cela fut-il institué dans le principe ? Est-ce en l’honneur des éléments divinisés, ou en l’honneur des mortels qui portent les noms de ces divinités ? Mais ces courses errantes, ces débauches, ces amours impudiques, ces violences dont les femmes furent les victimes, ces pièges tendus aux hommes, et mille autres horreurs de ce genre, aussi honteuses qu’abominables, de quel front irait-on les imputer aux éléments, quand elles portent si évidemment les caractères des passions humaines ? C’est donc une chose incontestable que toute cette théologie allégorique, dont on élève si haut les graves et admirables enseignements, n’a pas même pour elle la vraisemblance, loin d’être fondée sur la vérité et de présenter quelque chose de divin ; et qu’elle ne repose que sur des interprétations forcées et mensongères.

Voyons maintenant ce qu’écrivait à ce sujet Porphyre à un Égyptien nommé Ambon.

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