Préparation évangélique

LIVRE IV

CHAPITRE II
COMBIEN IL EST FACILE DE DÉMONTRER QUE TOUTES CES RÉPONSES NE SONT QU’UN TISSU DE FABLES ET D’IMPOSTURES, ŒUVRE DE LA FRAUDE ET DE LA FOURBERIE

S’il est quelqu’un de ces oracles auquel on ne puisse reprocher de s’être enveloppé dans l’ambiguïté des termes, ce n’est pas à la prescience de l’avenir qu’il le faut attribuer : ils sont dus uniquement à certaines conjectures lancées au hasard. Aussi parmi tous ces oracles, vous en trouverez la plus grande partie, pour ne pas dire la presque totalité, qui manquent des premiers caractères d’une prophétie, c’est-à-dire que les événements ont eu une issue contraire à la prédiction, à l’exception peut-être d’une sur mille qui, par pur hasard ou parce qu’elle était fondée sur une conjecture probable, aura obtenu un accomplissement qui a conquis à l’oracle le crédit dont il est en possession ; car c’est cette prédiction qui est dans toutes les bouches, c’est elle que vous voyez gravée sur toutes les colonnes, dont le récit remplit l’univers. Cette multitude de prédictions privées de leur effet, on n’en veut pas tenir compte ; mais arrive-t-il qu’une sur mille vienne à s’accomplir, il n’est bruit de tous côtés que de celle-là, à peu près comme sur dix mille hommes qui tirent au sort, lorsqu’il arrive par hasard que deux remontrent le même nombre, il fallait en être émerveillé et attribuer cette coïncidence à une divination et secrète connaissance de l’avenir : car il n’est pas plus étonnant que sur des milliers d’oracles il s’en trouve un par hasard qui rencontre juste. Et cependant aux yeux de l’homme peu éclairé cet oracle devient une merveille, tandis qu’il devrait trouver à guérir sa folle admiration, en pensant de combien de morts, de dissensions, de guerres, les mêmes devins ont été la cause : un coup d’œil sur l’histoire des temps anciens suffirait pour lui démontrer clairement qu’on n’eut jamais à admirer dans ces oracles le plus petit acte de vertu qui fût digue de la Divinité, pas même à l’époque la plus florissante de la Grèce, alors que régnaient dans toute leur splendeur ces oracles si fameux, dont aujourd’hui on chercherait en vain la trace, dans ces siècles, dis-je, où ils étaient l’objet du culte et de la vénération des peuples ; et où les lois nationales leur avaient consacré des mystères et des honneurs religieux. Mais il n’y a pas de circonstance où paraisse avec plus d’éclat la vanité de ses oracles, que dans les périls extrêmes de la guerre. Dans leur impuissance à donner aucun conseil salutaire, les plus illustres devins sont convaincus d’avoir eu recours à des réponses amphibologiques, pour tromper leurs suppliants. Nous en donnerons la preuve en son lieu, lorsque nous les montrerons, ces oracles, armant les uns contre les autres les peuples qui les consultaient, refusant de répondre à des consultations qui touchaient à des intérêts de première importance, ou bien jouant dans leurs réponses de la crédulité de leurs clients, ou bien enveloppant leur ignorance sous le voile du mystère. Mais recueillez plutôt vous-mêmes vos souvenirs, et voyez combien de fois se donnant pour des dieux, ils ont promis à des infirmes la guérison et la vigueur de la santé, pour extorquer d’abondantes rétributions, faisant ainsi de leur prétendue inspiration divine, comme une marchandise de laquelle ils trafiquaient, mais bientôt il devenait impossible de se méprendre sur leur compte, le triste sort de leurs dupes les faisant aisément reconnaître ce qu’ils étaient véritablement, des imposteurs et non des dieux. Est-il besoin d’ajouter que la puissance de ces merveilleux devins ne s’étend pas même jusqu’à leurs compatriotes, jusqu’à ceux qui habitent leurs villes où ils font leur séjour, puisque là comme ailleurs vous rencontrez des milliers de malades, des boiteux, des estropiés de tout genre. D’où vient donc qu’ils savent si bien repaître des plus belles espérances des clients qui viennent des régions lointaines, tandis qu’ils sont impuissants en faveur de leurs compatriotes, auxquels cependant les droits de l’amitié et de la patrie devraient donner la première part dans le bienfait de la présence des dieux ? Ah ! c’est que les étrangers, ignorant tous les artifices de l’imposture, se laissaient aisément duper, au lieu que les indigènes étaient trop au fait de toutes ces manœuvres de la supercherie, et trop familiers avec les tours ridicules qu’elle mettait en œuvre. La Divinité n’était donc évidemment pour rien dans tous ces prodiges ; ils n’allaient point au-delà de l’industrie humaine. Aussi au milieu de ces terribles calamités que lançait contre les impies le bras tout-puissant du Dieu de l’univers, les temples de ces fameuses divinités n’ont point été épargnés : on les a vus mille fois devenir, ces temples avec leurs richesses et leurs statues, la proie d’un fléau dévastateur. Ainsi montrez-moi maintenant ce fameux temple de Delphes, cette merveille tant célébrée par les Grecs. Cherchez le temple d’Apollon Pythien ; où est maintenant votre oracle de Claros, de Dodone ? La renommée publie que ce temple de Delphes a été trois fois incendié par les Thraces, sans qu’il ait été au pouvoir du dieu Pythien de dérober aux flammes, ni un sanctuaire pour y prédire l’avenir, ni un temple pour y habiter. L’histoire nous apprend que celui du Capitole de Rome eut le même sort, au temps des Ptolémées : c’est aussi vers ce même temps que le temple de Vesta à Rome devint la proie des flammes. Sous Jules César, la foudre réduisit en cendre le fameux temple de Jupiter Olympien, cette merveille de la Grèce dont s’enorgueillissait la ville d’Olympie. Un incendie dévora le temple de Jupiter Capitolin : la foudre frappa aussi le Panthéon et le temple de Sérapis à Alexandrie. Et ce sont les Grecs eux-mêmes qui nous fournissent les témoignages de ces événements. Je ne finirais pas si je voulais citer et énumérer tous les temples que n’ont pu préserver de la destruction les devins fameux auxquels ils servaient d’asile. Or s’ils n’ont pu se défendre eux-mêmes, quel secours les autres devaient-ils en attendre ? Enfin il ne manquera rien à l’évidence de cette démonstration, si à tout ce que nous venons de dire nous ajoutons cet unique fait, que tous ces hommes inspirés, ces grands interprètes des choses sacrées, ces devins, ces prophètes, non seulement ceux des temps anciens, mais encore ceux qui de nos jours prétendent à cette science divine, cités devant les tribunaux romains, n’ont pu s’empêcher d’avouer dans les tortures de la question, que tout cela n’était qu’imposture, prestiges et artifices inventés pour tromper les hommes. Les écrits qu’ils ont laissés contiennent en toutes lettres toutes les manœuvres et toutes les voies par lesquelles ils en imposaient à la multitude. Condamnés à porter la juste peine de leur art pernicieux, ils ont dévoilé tout le mystère, appuyant de leur témoignage irrécusable la vérité des faits que nous soutenons. Mais qu’étaient-ce que ces hommes ? peut-être n’étaient-ils que de misérables jongleurs, des hommes vils et obscurs ? Erreur : ils comptaient parmi eux des adeptes de cette fameuse philosophie tant vantée, de ces hommes qui marchent le front haut, sous le manteau de philosophes, de ces magistrats de la ville d’Antioche, auxquels les maux qu’ils nous ont faits au temps de nos persécutions, ont acquis un nom si fameux. Nous savons en effet un philosophe qui était aussi prophète, qui a subi à Milet le sort que nous venons de dire. Maintenant en réunissant toutes ces preuves et beaucoup d’autres encore qu’il serait facile d’y ajouter, est-il possible de ne pas avouer que les oracles dont s’enorgueillissent certaines villes, n’étaient dus ni aux dieux ni même aux démons, mais à la fraude et aux artifices de quelques imposteurs. Et cette opinion compte parmi ses défenseurs des sectes entières de philosophes grecs et non pas des moins illustres ; car ce sont les disciples d’Aristote, et tous ceux qui furent connus plus tard sous le nom de péripatéticiens, les cyniques, et les épicuriens. Je n’ai jamais pu voir sans étonnement que tous ces hommes, qui avaient pour ainsi dire sucé avec le lait les superstitions grecques, qui avaient été nourris dans l’idée que tous ces oracles étaient vraiment des dieux, ne s’y soient cependant pas laissé prendre ; mais qu’ils aient au contraire combattu avec force ces oracles célèbres que consultaient à l’envi tous les peuples, et démontré qu’il n’y fallait pas chercher la vérité, et que loin d’être utiles à quelque chose, ils pouvaient au contraire causer les plus grands malheurs. Comme une foule de ces philosophes ont démontré d’une manière irréfragable la vanité de ces oracles, je n’aurai besoin, pour confirmer ce que je viens de dire, que de citer présentement l’un deux dans la réponse où il réfute Chrysippe, auteur d’un écrit sur le destin, où les arguments sont tirés des prédictions des oracles. Notre philosophe lui démontre que c’est à tort qu’il appuie la destinée sur les oracles, que le plus souvent les oracles de la Grèce étaient convaincus d’erreur, que s’il arrivait quelquefois que l’événement répondît à leur prédiction, c’était purement par hasard ; qu’enfin ces prédictions étaient inutiles, quelquefois même dangereuses. Écoutez-le parler lui-même, je cite ses propres expressions.

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