Préparation évangélique

LIVRE V

CHAPITRE III
MULTIPLICITÉ ET DIVERSITÉ DES DOCTRINES SUPERSTITIEUSES DES GRECS AU SUJET DE LEURS DIEUX

Tous ces méchants démons, tant ceux qui habitent la terre que ceux qui occupent les régions aériennes, tous ces esprits de malice, que nos divines Écritures appellent les princes de ce monde, les puissances spirituelles du mal, apparaissaient tantôt comme de bons génies, tantôt ils prenaient la forme des dieux célestes, tantôt ils revêtaient celle des héros, quelquefois même ils ne prenaient pas la peine de déguiser leur méchanceté ; ils en donnaient par leurs œuvres des preuves évidentes. Or comment une telle variété de formes n’aurait-elle pas été pour les hommes la source de mille erreurs diverses ? Ainsi, aux yeux des uns, ces puissances spirituelles étaient de véritables dieux ; d’autres ne voulaient voir en eux que des héros et des démons ; et ceux qui en faisaient des démons, les distinguaient en bons et en mauvais ; mais, selon eux, les mauvais ne méritaient pas moins un culte religieux, ne fut-ce que pour détourner les fléaux dont leur courroux menaçait les hommes. De là vient qu’ils imaginèrent des dieux de plusieurs espèces. La première classe était celle des phénomènes célestes : c’étaient les grands dieux ou par excellence les dieux, nom qui leur vint, ou d’un mot grec qui signifie courir (theein) ou d’un autre qui signifie voir (thôrein), parce que c’est par leur moyen que les objets visibles frappent nos yeux. La seconde classe était celle ces hommes qui avaient été divinisés à cause des bienfaits que leur devait l’humanité : on les appelait les héros : c’était Hercule, les Dioscures, Bacchus et une foule d’autres du même genre, honorés parmi les nations barbares. Mais cette classe se subdivisa en deux : car parmi ces héros, ceux dont l’histoire racontait le plus d’infamies, formèrent une classe à part sous le nom de dieux fabuleux. Toutefois, comme ils ne pouvaient s’empêcher de rougir de semblables dieux, bien que ce fût la classe la plus réelle et la plus ancienne, ils en firent de pures divinités allégoriques, et imaginèrent, pour sauver un peu l’honneur de la morale, de magnifiques théories où ces dieux étaient représentés comme de simples emblèmes des lois physiques : telle était la troisième classe des dieux. Mais ce n’était pas encore assez d’erreurs à leur gré. Il leur fallut aller jusqu’à prostituer l’auguste et adorable nom de Dieu à leurs propres passions : ce fut une quatrième classe de dieux, que nous ne voulons pas même combattre, parce qu’ils ont dans leur origine un caractère assez frappant d’opprobre et d’infamie : ainsi ils divinisèrent leurs inclinations les plus honteuses et les plus brutales sous les noms de l’Amour, Vénus. Cupidon. Ils ont aussi personnifié l’éloquence sous le nom de Mercure, la logique sous celui de Minerve, faisant ainsi, dans leur théologie, une cinquième classe de dieux, des diverses actions humaines : c’est ainsi qu’ils divinisèrent l’art militaire et les autres arts usuels, en attribuant à Mars et à Minerve l’art de la guerre, à Vulcain et à quelques autres dieux, les arts mécaniques. Outre ces cinq premières classes, ils en imaginèrent une sixième et une septième, celle des démons ou génies : classe infiniment variée, qui prend tantôt la forme des dieux, tantôt celle des mânes des morts, qui n’est point faite pour inspirer aux hommes la vertu, mais pour les précipiter dans un abîme d’erreurs et de superstitions. Cette classe ne renfermait que des puissances du mal ; cependant ils y distinguèrent des êtres bienfaisants et des êtres malfaisants : ils donnèrent aux uns le nom de bons génies, et aux autres celui de mauvais génies.

Maintenant sans entrer dans la réfutation de tous ces systèmes, qui tombent d’eux-mêmes, reprenons la suite de notre dissertation sur les opérations des démons : nous en avons déjà touché quelque chose au livre précédent, complétons maintenant la matière. Venons-en donc aux démonstrations qui nous restent à donner. Je m’appuierai principalement sur l’autorité de Plutarque, dans l’ouvrage qu’il a composé sur la défection des oracles. Dans cet ouvrage, il attribue aux mauvais démons toutes les divinations et tous les oracles des païens. Voici comment il s’exprime.

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