Préparation évangélique

LIVRE V

CHAPITRE V
TOUT CE QUE LA FABLE ATTRIBUE AUX DIEUX N’EST QUE L’HISTOIRE MYSTÉRIEUSE DES DÉMONS

« Il est donc plus raisonnable de penser que tout ce qu’on raconte de Typhon, d’Osiris et d’Isis, ne doit point être attribué à des dieux ou à des hommes, mais aux principaux d’entre les démons ; c’est le sentiment de Platon, de Pythagore, de Xénocrate, de Chrysippe, qui, suivant les anciens théologiens, enseignent que ces génies étaient d’une force bien supérieure à celle de l’homme, et que leur puissance surpassait beaucoup celle de notre nature. La divinité qu’ils ont en partage n’est pas entièrement pure et sans mélange ; mais participant tout à la fois de la nature de l’âme et de la sensibilité du corps, elle est susceptible de plaisir et de peine, de telle sorte cependant que les uns sont plus vivement affectés, et les autres moins des diverses vicissitudes qu’ils éprouvent : car chez eux comme chez les hommes, il y a différents degrés de vertu et de malice. Tout ce que les Grecs racontent des Géants et des Titans, comme toutes ces actions criminelles ou bien les combats de Python contre Apollon, la fuite de Bacchus, les courses errantes de Cérès, ont un rapport évident avec les faits attribués à Osiris et à Typhon, que la fable publie impudemment aux oreilles de tout le monde, et dont les traces sont conservées dans les sacrifices sous le voile du mystère : car tous ces rites, que l’on ne peut raconter ni même voir, s’appliquent également aux dieux.

« Empédocle, continue Plutarque, enseigne même que les démons eurent à subir des châtiments pour leurs crimes et leurs forfaits : L’éther en courroux, dit-il, les précipita dans les flots de la mer : les flots les vomirent sur le rivage ; la terre les exposa aux rayons d’un soleil brûlant ; le soleil les livra aux tourbillons des vents. Ainsi ballottés tour à tour par les divers éléments, repoussés successivement par tous, ils subissent ce châtiment jusqu’à ce que leur rang et leur séjour naturel leur soient rendus. Tel est le sort que l’on attribue également à Typhon : ainsi il se souilla de meurtres et de crimes de toute espèce ; il mit le désordre partout, remplit de maux la terre et la mer ; mais enfin vint pour lui le châtiment. »

Voilà ce que nous trouvons, mais traité beaucoup plus au long dans l’ouvrage de Plutarque que nous avons cité. Il continue encore le même sujet dans son traité sur la défection des oracles, où il s’exprime ainsi :

« Le même philosophe attribue aux démons l’art divinatoire ; il place au premier rang parmi les oracles celui de Delphes. Il a entendu tout ce qu’on raconte de Bacchus, il a été instruit des sacrifices qu’on offre en son honneur ; mais il dit que ce sont là autant de souffrances qu’ont eu à supporter les démons. Il en dit autant de Python et de ses aventures : selon lui, celui qui tua ce serpent, ne fut point exilé pendant neuf années entières, ni relégué dans la vallée de Tempé ; mais il fut précipité dans un autre monde : puis après s’y être purifié pendant la révolution entière de neuf années, il reparut, brillant Phébus, comme auparavant, et rentra en possession de l’oracle que lui avait conservé Thémis. Il porte le même jugement sur les combats des Géants et des Titans : Ce sont, dit-il, des combats de démons contre des démons, à la suite desquels les vaincus prenaient la fuite, et les coupables recevaient de Dieu le juste châtiment de leurs crimes, comme il arriva à Typhon pour le meurtre d’Osiris, et à Saturne pour ses attentats contre Uranus : si leur culte s’est tellement affaibli ou même s’il a entièrement disparu chez nous, c’est que ces génies eux-mêmes sont passés dans un autre monde. En effet nous voyons les Solymes, peuple voisin de la Lycie, honorer Saturne d’un culte spécial ; mais ensuite, comme il fit périr trois de leurs chefs, Arsale, Arite et Tosibis, il fut contraint de fuir, et il se réfugia on ne sait où ; car eux-mêmes ne sauraient le dire. De ce moment son culte fut abandonné, et les Lyciens rangèrent Arsale et les deux autres victimes de Saturne parmi les dieux, sous le nom de dieu Scires : ils emploient leur nom avec des imprécations dans les serments tant publics que privés. La fable fournirait une foule d’autres faits du même genre. Maintenant que nous donnions, dit le philosophe étranger, à certains démons le nom de dieux, il n’y a rien en cela qui doive surprendre ; car chacun d’eux aime à porter le nom du dieu auquel il est attache et dont il partage la puissance. Ainsi chez nous il est tel ou tel qui joint à son nom celui de Jupiter, un autre, celui de Minerve ou d’Apollon ou de Bacchus ou de Mercure. Et il arrive quelquefois par hasard que ces noms ont une application juste et raisonnable ; mais le plus souvent ces noms de dieux ne conviennent nullement à ceux qui en sont décorés. »

Telles sont les opinions de Plutarque, que nous trouvons dans son excellent traité sur la défection des oracles. Il y enseigne aussi entre autres choses, que les démons sont sujets à la mort : nous traiterons ce sujet en son lieu. Mais recueillons d’abord ce qu’il dit de la puissance et de l’action des bons démons comme il les appelle, l’auteur d’un ouvrage composé contre nous : voyons ce qu’en dit Porphyre, dans son livre de la philosophie fondée sur les oracles. Comme j’ai eu déjà souvent occasion de le faire, je me sortirai de son propre témoignage pour combattre ceux que, dans leur erreur, les païens appellent des dieux. Peut-être que battus par leurs propres armes, percés de leurs propres traits, ils rougiront enfin de leurs superstitions. Nos raisons, empruntées à un ami des dieux, à un homme dont la piété envers eux n’est point suspecte, à un homme qui a sondé avec le plus grand soin toutes les bases de ses doctrines, nos raisons, dis-je, puisées chez un tel homme, en auront plus de force et formeront une démonstration irréfragable. Or dans ce traité de la philosophie fondée sur les oracles, Porphyre commence par conjurer ses lecteurs de ne point trahir les secrets des dieux ; et il exige comme par serment qu’ils ne porteront pas aux yeux de la multitude profane, mais qu’ils garderont religieusement le secret de ces mystères. Et de quels mystères ! En voici un par exemple : Pan était serviteur de Bacchus : or comme il était un des bons démons, il apparut un jour à des laboureurs qui cultivaient les champs. Certes, quand un dieu bon daigne favoriser des hommes de sa divine présence, il n’y a pas de biens sur lesquels ces heureux mortels ne doivent compter. Eh bien ! ceux qui avaient été favorisés de cette divine apparition, purent bientôt juger par leur propre expérience si c’était un bon ou un mauvais démon qui leur était apparu : ces heureux spectateurs de cette bonne divinité furent tous à l’instant frappés de mort. C’est notre admirable philosophe qui nous l’apprend lui-même : écoutons-le.

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