Préparation évangélique

LIVRE V

CHAPITRE XXV
RÉPONSE DE L’ORACLE AUX LACÉDÉMONIENS

« Mais, diras-tu, il ne fallait pas faire la même réponse aux Lacédémoniens. C’est vrai ; car tu ne savais pas, impudent sophiste, si Sparte aurait le même sort qu’Athènes, et tu craignais qu’en leur ordonnant de fuir, ils ne suivissent ton conseil, et qu’ensuite les Perses ne vinssent pas. Cependant, comme il fallait faire une réponse quelconque, voici ce que tu leur répondis :

« Habitants de la grande Sparte, ou votre glorieuse ville tombera sous les coups des Perses ou bien Lacédémone pleurera la mort de son roi issu du sang d’Hercule. »

Nouvelle alternative bien digne d’un oracle ! Mais n’en parlons pas, de peur qu’en te faisant deux fois la guerre sur le même sujet, nous ne finissions par devenir importuns et paraître manquer de raison. Venons au fond de la réponse. Dans ce péril extrême, tous les yeux se portent vers toi ; de toi seul ils attendaient la connaissance de l’avenir et un conseil qui leur apprît ce qu’ils avaient à faire. Mais pendant qu’ils te croyaient digne de leur confiance, tu te plaisais à en faire des dupes ; tu comprenais que l’occasion était favorable pour asservir ces hommes crédules, non seulement aux oracles énigmatiques de Dodone et de Delphes, mais même aux divinations par la farine, aux réponses des ventriloques. En effet, en de semblables occasions on ne se contente pas d’ajouter foi aux oracles des dieux, on va jusqu’à tirer des présages des chats, des corneilles, des songes. Or n’était-il pas évident que les Lacédémoniens préféreraient encourir l’un de ces malheurs plutôt que de les supporter tous les deux à la fois, et que dans l’alternative de ces deux maux ils choisiraient le moindre de préférence au plus grand ? Et le moindre mal pour eux, c’était que le roi seul pérît pour toute la nation. D’un autre côté il n’était pas moins clair que, la ville une fois renversée, il ne restait au roi lui-même aucun refuge, tandis que s’il était envoyé quelque part ailleurs, l’événement pouvait tromper leur attente. Ces raisonnements devaient donc nécessairement les conduire à envoyer leur roi combattre à la tête de l’armée, tandis qu’eux-mêmes, loin du danger, attendraient l’événement dans la ville. Il était facile de voir que le roi, exposé aux traits d’une innombrable multitude d’ennemis, ne pouvait attendre qu’une mort prochaine ; et Sparte faisait trêve à ses frayeurs et se livrait à des espérances extraordinaires. Mais soit que la ville soit sauvée, soit qu’elle périsse, la fourberie de l’oracle n’en est pas moins frappante. Pourquoi ? parce qu’il n’avait certes pas dit que, si le roi seul périssait, la ville serait sauvée ; mais il avait dit : Ou le roi seul, ou la ville entière périra ; mettant ainsi sa responsabilité à couvert, quel que fût l’événement, soit que le roi pérît seul, soit qu’il ne pérît pas seul. Telle fut l’œuvre de la vanité et de l’ignorance. »

Mais arrêtons-nous là pour celui-ci, et voyons la réponse que le même dieu fit aux habitants de Cnide, qui avaient recours à lui et imploraient son assistance.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant