Préparation évangélique

LIVRE VII

CHAPITRE X
DE LA PROVIDENCE GÉNÉRALE, DE LA CRÉATION ET DE L’ARRANGEMENT DU MONDE

Sur sa volonté et sa puissance repose l’essence des choses. Les révolutions des siècles sont soumises aux lois, aux limites, à la route, à l’ordre qu’il a tracés. A sa voix suprême, le ciel le premier se solidifie, la masse pesante de la terre reste, contre sa nature, miraculeusement suspendue au milieu d’éléments plus légers : à sa voix suprême le jour et la nuit se succèdent alternativement et dans une régularité parfaite ; à sa voix suprême, les changements de circonstances, les périodes des temps, le cercle des années, les saisons s’accomplissent au milieu de la plus admirable harmonie de l’univers ; à sa voix suprême l’hiver fait place au printemps, le printemps à l’été et à l’automne, les eaux profondes de la mer, jusque dans leur flux grossi par la tempête, se renferment dans leurs propres abîmes, sans oser franchir les bornes sacrées du rivage ; à sa voix suprême, la terre sèche et aride, arrosée par les pluies et les neiges fondues, produit une infinité de plantes et d’animaux d’espèces diverses ; en un mot, la nature, mère commune de tout ce qui existe, esclave de ses ordres, obéit à ses lois et à sa volonté toute-puissante. Non, il n’est pas possible d’attribuer à une rencontre fortuite, à un mouvement sans dessein tout ce brillant appareil, ni à une cause aveugle ce grand œuvre si remarquable par sa beauté. De même qu’il est sorti des mains du sublime Architecte de l’univers, de même il est gouverné par l’action immédiate de sa Providence.

Tel est le principe d’où part ce grand prophète. Avant de donner des lois aux hommes, il expose les lois de l’univers, afin que nous commencions par nous soumettre à celui qui en est le Roi puissant, et que nous acquiescions à tous ses ordres. En effet, si le soleil lui-même, le ciel, le monde, la terre et tout ce qu’elle contient, tous les ouvrages que l’on attribue à la nature, exécutent tous ses desseins avec une soumission parfaite, à plus forte raison le genre humain, cette portion considérable de l’univers, doit-il les exécuter pleinement et ne point rester au-dessous d’éléments sans union les uns avec les autres. Car au commencement la terre reçut cette loi de la bouche de celui qui dit :

« Que la terre produise de l’herbe verdoyante qui porte de la graine selon son espèce, et des arbres qui portent des fruits » (Gen., I, 11), et à cette parole elle s’empressa d’obéir, et depuis ce temps jusqu’à ce jour elle ne s’est point montrée rebelle. Il en fut de même des eaux : à peine Dieu eut-il dit :

« Que les eaux produisent des reptiles vivants et des oiseaux qui volent sous la voûte des cieux » (Gen., I, 28),

qu’elles se mirent à produire sans avoir jamais cessé depuis. Le soleil, la lune et les astres ne sont pas moins constants à suivre la loi divine qui les détermine à parcourir leur carrière, à servir de signes aux événements futurs, à distinguer les saisons, les jours et les années. Quel pardon mériteriez-vous, ô hommes ! si vous alliez fouler aux pieds ces mêmes lois divines ? C’est par ces instructions préliminaires que cet homme admirable a captivé nos cœurs, et qu’il nous a rendu les émules de sa foi et de sa piété ; d’autant plus que nous n’avons trouvé rien de semblable chez les théologiens des autres nations que nous avons passées en revue.

Ce dogme posé, il passe à un autre à la fois physique et philosophique. De la connaissance de Dieu et de la constitution du monde, il arrive par progression à ce qui est le second dans la nature, à l’homme qui, après avoir connu Dieu, doit nécessairement se connaître lui-même. Aussi enseigne-t-il immédiatement après ce que c’est que l’homme, ce qui le mène à la connaissance et au culte de Dieu, quelle vie lui convient, eu égard à la plus noble portion de lui-même. Distinguant l’âme et le corps, il place dans l’âme l’homme véritable qui, par cette substance intelligente, spirituelle, raisonnable, porte l’empreinte de la Divinité. Pour le corps, il en fait l’enveloppe terrestre de l’âme. Au corps et à l’âme il ajoute un certain esprit vital qui leur sert comme de lien, et a la vertu d’unir la partie formée de la terre à la partie formée à l’image du Très-Haut. Selon lui, le premier séjour donné à l’homme par le Créateur fut un jardin de délices, asile immortel de tous les biens ; mais comme le Seigneur l’avait assujetti à la loi générale qui, dès le commencement, pesait sur tous les autres êtres, sa folle désobéissance à celle loi le priva des avantages d’une vie si désirable.

Voilà donc l’introduction du code sacré de Moïse, la belle philosophie par où il montre combien il nous serait honteux de négliger notre propre dignité et cette ressemblance avec la Divinité, qui est le gage de l’immortalité de notre âme. Il n’est pas permis d’effacer l’image d’un roi : or la principale et véritable image du Roi de l’univers est son Verbe, la sagesse, la vie même, la lumière, la vérité, enfin tout ce qu’on peut imaginer de beau et de bon. Mais l’image de cette image est l’âme de l’homme, qui fait qu’on le dit créé à l’image de Dieu. Moïse crut nécessaire de donner ces notions à ceux qui devaient s’appliquer à l’étude des lois sacrées, et se souvenir que, s’il y avait en eux quelque chose sorti de terre et devant redevenir terre, il y avait aussi quelque chose de plus élevé et de semblable a Dieu ; il leur montra la manière dont ils devaient user de chacune de ces deux substances, leur observant que, loin de souffrir par aucune action flétrissante ou impie, par aucune pratique obscène et perverse, l’homme, qui est l’image de Dieu, ils devaient constamment brûler du désir de rentrer dans cette première demeure, cette première vie si heureuse, et se hâter de recouvrer, par la violence de leurs efforts, leur félicité et leur dignité anciennes. De là il leur fallait se préparer à quitter le pèlerinage d’ici-bas, attendu qu’il n’était pas possible à des hommes profanes et impies d’aborder les lieux sacrés d’où l’orgueil et la désobéissance avaient chassé notre premier père. Et à cette raison puissante, l’interprète des volontés divines ajoute une autre raison non moins puissante :

« Qui de nous ignore, dit-il, que chaque homme a à côté de lui un mauvais démon qui lui tend des pièges, un démon envieux et pervers qui, depuis le commencement du monde, fait tous ses efforts pour nous empêcher de nous sauver : dragon noir et ténébreux, serpent rempli d’un venin mortel qui, dans sa rage contre les serviteurs du Très-Haut, emploie toutes sortes de ruses, tend toutes sortes d’embûches, pour les rendre infidèles à leurs devoirs. Auteur de la disgrâce de nos premiers parents, il nous prépare les mêmes maux, si nous ne veillons sans cesse, si nous ne repoussons avec force ses attaques criminelles. »

Mais à quoi bon tous ces détails, puisque nous devons éclaircir chacun de ces points d’après l’Ecriture même ? Commençons par Dieu, toutefois après avoir imploré l’assistance de l’Esprit saint.

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