Préparation évangélique

LIVRE VII

CHAPITRE XII
THÉOLOGIE DES HÉBREUX SUR LE SECOND PRINCIPE

Thalès de Milet croyait que le principe de l’univers était l’eau, Anaximène l’air, Héraclite, le feu, Pythagore les nombres, Épicure et Démocrite des corpuscules indivisibles, Empédocle les quatre éléments. Voyons ce qu’en pensent les Hébreux.

Après l’essence de Dieu, qui n’a eu ni commencement ni origine, essence sans mélange et qui surpasse toute conception, ils admettent une seconde essence, une vertu divine, principe de toutes les choses créées, qui existait avant elles, qui est le produit de la première cause à laquelle ils donnent les noms de Verbe, sagesse, vertu de Dieu. C’est ce que Job a enseigné le premier, quand il a dit :

« D’où la sagesse a-t-elle été tirée ? Et quel est le lieu de la science ? l’homme ne connaît pas sa voie, et elle n’a pas été trouvée parmi les hommes. Nous avons entendu parler de sa gloire. C’est le Seigneur qui a établi sa voie et qui connaît le lieu où elle réside ».

David, dans ses Psaumes, donnant à cette sagesse un autre nom, s’écrie :

« Les cieux se sont affermis par le Verbe du Seigneur » (Ps. XXXIII, 6),

célébrant par ces paroles le Verbe de Dieu, créateur de l’univers. Salomon, son fils personnifie à son tour la Sagesse, en disant :

« Je suis la sagesse qui habite dans le conseil et dans la science : J’ai appelé l’intelligence, c’est par moi que les rois règnent et que les hommes puissants décernent la justice » (Prov., VIII, 13).

Et encore :

« Le Seigneur m’a destinée à être le commencement de ses voies pour ses œuvres, et il me fonda avant les siècles : au commencement, avant de former la terre, avant l’origine des abîmes, avant que les montagnes fussent établies, avant toutes les collines, il m’a engendrée. Quand il préparait le ciel, j’étais présente à ses côtés ; quand il plaçait les fontaines pures qui existent sous le ciel, j’étais avec lui pour les arranger. J’étais celui qui chaque jour travaillais d’allégresse, d’une perpétuelle allégresse devant lui, lorsque je le voyais se complaire à former le globe de la terre » (Prov. VIII, 22).

Ainsi s’exprime Salomon dans les Proverbes : ailleurs il lui met dans la bouche ces autres paroles :

« J’annoncerai ce qu’est la Sagesse et comment elle est née. Je ne vous cacherai point ses mystères, mais je ferai remonter mes recherches au commencement de sa génération » (Sag., VI, 21).

Puis il ajoute :

« La sagesse est un esprit intelligent, saint, seul engendré, multiple, subtil, mobile, disert, sans tache, tout puissant, voyant tout et répandu dans tous les esprits intelligents, purs et subtils. La Sagesse par sa mobilité est au-dessus de tout mouvement, elle s’insinue partout et se fixe partout, à raison de sa pureté. C’est une vapeur de la vertu de Dieu, et une émanation de la gloire du Tout-Puissant. C’est pour cela que rien d’impur ne tombe sur elle ; car elle est la splendeur de la lumière éternelle, le miroir immaculé de l’action de Dieu, et l’image de sa bonté ; elle vole rapidement d’une extrémité de l’univers à l’autre, et gouverne tout avec douceur » (Ibid. VII, 25 ; VIII, 1).

Or ce Verbe divin envoyé par son Père pour sauver les hommes, l’Écriture le peint de diverses manières. Tantôt elle rapporte qu’il apparut à Abraham, à Moïse et aux autres saints prophètes, qu’il leur enseigna une infinité de choses inconnues et leur révéla les événements futurs : car c’est à lui que s’appliquent tous ces passages où elle nous montre Dieu le Seigneur se manifestant aux prophètes et conversant avec eux. Tantôt elle dit qu’il nous est venu la connaissance des hommes, envoyé par un être supérieur à lui pour être le sauveur des infirmes et le médecin des âmes.

« Il a envoyé son Verbe, et les a guéris, et il les a arrachés à la ruine qui les menaçait ».

Et ailleurs :

« Son Verbe court avec rapidité ».

De là l’Évangile renouvelant ce dogme révélé aux prophètes et aux anciens Hébreux l’explique en ces termes.

« Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. » (Jean, I, 1).

On ne sera donc pas étonné que le sage Moïse inspiré par l’Esprit saint, en commençant à décrire la formation du monde, représente Dieu, au moment de créer le ciel et la terre, se concertant en ces termes avec son propre Verbe, son premier né, pour faire l’homme.

« Et Dieu dit : Faisons l’homme à notre image et ressemblance » (Gen., I, 26).

A quoi le psalmiste faisant allusion, lorsque parlant du premier principe, il s’exprime ainsi :

« Il dit et elles furent faites, il ordonna et elles furent créées », paroles qui indiquent clairement une exhortation, un ordre du premier principe au second, comme d’un père à son fils. N’est-il pas évident en effet que, lorsqu’on parle, on parle à un autre, que lorsqu’on commande, on commande à un autre distinct de soi ? Il n’est pas moins évident que Moïse faisait mention de deux Seigneurs, le Père et le Fils, lorsque racontant le châtiment de villes impies, il disait :

« Le Seigneur fit pleuvoir par le Seigneur sur Sodome et Gomorrhe, du soufre et du feu » (Gen., XIX, 24).

On trouve la même pensée dans un des psaumes de David :

« Le Seigneur dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied » (Ps. CX, 1).

Le psalmiste va plus loin encore, et donne mieux à entendre cette génération mystérieuse, inexplicable :

« Je vous ai engendré de mon sein avant l’aurore »

Mais dans la crainte que vous ne pensiez que je m’appuie sur des sophismes, je vous donnerai pour interprète du sens de l’Écriture un hébreu qui connaît parfaitement les doctrines reçues dans sa nation, qui a appris l’explication de ce dogme des docteurs eux-mêmes, Philon, dont on ne peut contester l’autorité. Ecoutez donc de quelle manière il interprète les passages que nous venons de citer.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant