Préparation évangélique

LIVRE VII

CHAPITRE XVIII
SENTIMENT DE PHILON SUR L’ÂME

« Les autres prétendent que notre âme est une substance aérienne, qu’il y a entre l’homme et l’air une affinité incontestable. Le grand Moïse ne trouve aucun rapport entre la nature de l’âme intelligente et la nature des choses matérielles ; l’âme est à ses yeux comme l’écusson de cet esprit supérieur qui ne peut se saisir, écusson d’une pureté extrême, marqué d’un cachet divin dont l’empreinte est l’éternelle raison.

« Dieu, » dit-il, « souffla sur la face de l’homme l’esprit de vie, et il devint une âme vivante, »

de manière que celui qui a reçu cet esprit vivifiant est nécessairement l’image de celui qui l’a envoyé, et que c’est à juste titre qu’il est dit que l’homme a été créé à la ressemblance de Dieu, non à la ressemblance d’aucune créature. Une autre conséquence, c’est que l’âme de l’homme ayant été calquée sur la raison primordiale de son auteur, son corps doit être élevé et porter ses regards vers la partie la plus pure de l’univers, vers le ciel ».

Ainsi parle Philon. Donc c’est avec fondement que l’Écriture assure que l’homme n’a pas été formé comme les autres animaux. De ceux-ci, les uns sont sortis de terre à la voix du Tout-Puissant, les autres, à la même voix, se sont envolés du sein des eaux, nous seuls, par une Providence particulière, avons reçu une âme à l’image et à la ressemblance de Dieu. Aussi nous seuls de tous les habitants de la terre, portons-nous sur le front l’empreinte du commandement, une majesté vraiment royale, nous seuls sommes-nous doués de la faculté de raisonner, d’inventer, de juger, de porter des lois, de posséder les arts et les sciences. Inutilement en effet chercheriez-vous ici-bas cette intelligence, cette raison ailleurs que dans l’homme. Tous les animaux reconnaissent son empire et remplissent envers lui l’office de serviteurs ; c’est un maître, c’est un roi qui les dompte, qui les plie à ses volontés : s’ils le surpassent par la force du corps, ils cèdent à l’ascendant de son âme. Oui, elle le rend bien l’image de la Divinité, cette prééminence de l’homme. Voyez-vous comme il s’élève par la pensée jusqu’à la connaissance du Très-Haut, comme il se forme l’idée de sagesse, de justice, de toutes les vertus ; comme il calcule le cours du soleil, de la lune, des astres, le retour périodique des jours et des saisons, en esprit supérieur qui n’a pas d’égal parmi les mortels ! Il est vrai que son enveloppe extérieure est d’une nature moins parfaite, un composé de terre, mais elle est également l’ouvrage de Dieu qui l’a tirée de la poussière. De là il doit avoir pour son corps les soins d’un bon maître pour une bête de somme dépourvue de raison, le conduire avec douceur, le nourrir comme un esclave qui concourt aux fonctions de la vie humaine ; mais son âme, substance plus noble, divine, il faut qu’il l’orne de cette pureté de mœurs dont l’avait ornée le Créateur : car, ajoute l’Écriture, le Tout-Puissant avait fait le premier homme riche des vertus les plus éclatantes, semblable à lui, et l’avait placé dans une demeure digne de tant de perfections, un paradis qu’il partageait avec les esprits bienheureux. Là coulaient sur lui tous les dons que peut prodiguer un tendre père, lorsqu’il se priva volontairement de ce bonheur, et fut relégué dans un séjour mortel, en punition de sa désobéissance. C’est pourquoi il convient que nous préférions la piété à tout, que nous réparions la première faute par une vie sainte, que nous fassions tous nos efforts pour recouvrer la possession des biens que nous avons perdus, nous souvenant que notre fin n’est point dans ce lieu, asile de la misère et de la mort, mais dans cet autre lieu d’où a été chassé notre premier père. Rendre à notre nature spirituelle son innocence primitive, sa ressemblance avec la Divinité, doit être le but constant de quiconque tend au salut et à la perfection. C’est ainsi que les Hébreux ont expliqué la nature de l’homme dès les temps les plus reculés, bien avant l’existence de ces Grecs nés d’hier, vils et orgueilleux compilateurs de la philosophie des Barbares et même de la philosophie hébraïque, comme la suite le prouvera. Cependant ce dogme fondamental d’un Dieu tout-puissant, seul créateur de tout ce qui existe, sans excepter la substance communément appelée matière dont les corps sont composés, des milliers de Barbares et de Grecs l’ont combattu, prétendant, les uns que la matière était la source du mal, qu’elle était incréée ; les autres, que la matière, naturellement dépourvue de toute qualité, de toute figure, avait revêtu sous la main divine les figures, les qualités que nous lui voyons. Notre tâche est donc de montrer qu’on doit admettre l’opinion des Hébreux qui n’appuient leurs assertions que sur des démonstrations incontestables, et renversent par des raisonnements précis les raisonnements de leurs adversaires. Citons les écrivains qui ont traité avant nous cette question importante, et à leur tête Denys qui, dans son premier livre contre les Sabelliens, fait les réflexions suivantes.

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