Préparation évangélique

LIVRE VIII

CHAPITRE VI
DE PHILON SUR LA SORTIE DES JUIFS DE L’ÉGYPTE

« Leur premier ancêtre sortait de la Chaldée ; quant au peuple lui-même, il est venu de l’Égypte, où, dans des temps très anciens, il avait émigré, quittant la Syrie ; s’étant multiplié au point de former d’innombrables myriades, la terre ne pouvait suffire à les contenir : de plus, excités vivement par l’élan de leur sentiment, et en même temps par les révélations particulières de Dieu dans les apparitions et dans les songes, ils résolurent de sortir de l’Égypte. (Dieu avait aussi éveillé en eux le regret de leur ancienne terre natale, d’où leur ancêtre était sorti pour venir s’établir en Égypte), soit par un dessein secret de Dieu, ou parce que la Providence qui voulait assurer leur prospérité au-dessus de celle de tous les peuples, depuis ce temps jusqu’à ce jour, et pour que cette nation se conservât intacte et séparée des autres, l’a rendue prolifique au-delà de toutes les nations. »

Après avoir ajouté peu de paroles, il continue :

« L’homme qui présidait à leur sortie de l’Égypte et à leur marche dans le désert, ne différait en rien, si on le veut, des autres hommes ; mais on l’injuriait en le traitant de sorcier et d’imposteur. C’était certes une noble sorcellerie et une généreuse friponnerie que celle qui arrachait tout un peuple à la famine et à la disette d’eau, qui le dirigeait dans des chemins inconnue et les sauvait de toutes les privations qui les affligeaient, non seulement au point de les faire vivre, maie en les plaçant dans l’abondance de toutes choses et les faisant traverser sains et saufs les peuplades disséminées sur leur route. Il fit plus, il sut les maintenir dans l’accord entre eux, et surtout les rendre dociles à son autorité : et cela ne fut pas l’affaire de peu de temps, mais d’un espace assez prolongé, pour qu’on ne doive pas supposer que la bonne harmonie d’une seule famille puisse durer aussi longtemps.

« Ni la soif, ni la faim, ni la contagion, ni la crainte de l’avenir, ni l’ignorance de ce qui arriverait ne purent soulever ces peuples abusés et décimés par le trépas, contre ce prétendu prestidigitateur. Que voulez-vous, dirons-nous à notre antagoniste ? quel art profond, quelle puissance de paroles, quelle rare intelligence ne reconnaissez-vous pas en cet homme qui a conservé sa domination sur tous ses concitoyens au milieu d’obstacles si grands et si nombreux, qui les arrêtaient au sein des peuples ennemis, acharnés à leur destruction ? Il fallait que cela fut dû ou au caractère d’hommes éloignés d’une grossière ignorance et de rudesse de mœurs, mais disposés à la soumission non sans préoccupation de leur avenir, on bien ce durent être des êtres de la plus grande perversité dont Dieu a su adoucir la violence au point de les gouverner pour le moment et pour le futur : quelle que soit, de ces deux opinions, celle que vous adoptiez, il me semble qu’elle ne peut tourner qu’à la louange, qu’à l’honneur et à l’estime de tous ces fugitifs. Voici ce qui concerne leur évasion de l’Égypte. Lorsqu’ils furent arrivés dans le pays qu’ils souhaitaient, leurs saintes annales nous apprennent comment ils s’y établirent et comment ils gouvernèrent cette terre. Cependant, je ne me propose pas de traiter la question historique ; je ne veux que soumettre au raisonnement les conséquences présumables de cette entreprise. Prétendez-vous que ce soit par le nombre, quoique diminués par les souffrances multipliées qu’ils avaient endurées, et, les armes à la main, qu’ils ont triomphé de leurs ennemis, en occupant le pays de haute lutte, ayant battu et anéanti en quelque sorte les Syriens unis aux Phéniciens, dans leur propre patrie ? ou bien nous les représentez-vous comme des hommes sans courage, sans habitude des armes et d’un nombre très restreint, dépourvus de toutes les machines de guerre, qui ont eu le talent de fléchir des peuples guerriers qui leur ont cédé volontairement leur territoire ? Pensez-vous qu’aussitôt après, et sans différer, ils ont bâti un temple et fondé toutes leurs institution de piété et de sanctification ?

« Mais cela prouve, à ce qu’il me semble, que c’était un peuple très religieux, et ce témoignage leur est rendu par leurs plus grands ennemis, car ils avaient pour ennemis ceux dont ils sont venus envahir subitement le territoire. Si donc ils ont su les fléchir et se faire estimer d’eux, comment ne pas reconnaître que leur prospérité l’emporte sur celle de tous les autres ? dans quel rang placerai-je ce qui me reste à en dire ? Sera-ce d’abord leur parfaite législation et leur soumission aux lois, ou leur sainteté, leur Justice et leur piété ? Ils admiraient à un tel point l’homme qui leur avait donné leurs lois, que tout ce qu’il avait trouvé bon, ils le trouvaient de même. Soit donc qu’il eût employé les formes du raisonnement ou qu’il leur eût parlé au nom de Dieu, qui s’était communiqué à lui, tout ce qu’il leur avait annoncé, ils le considéraient comme émané de Dieu ; en sorte qu’après un laps de plusieurs siècles, dont je ne peux dire au juste le nombre, mais qui excédait deux mille ans, pas un seul mot de ce qu’il avait écrit n’avait été déplacé, et qu’ils auraient souffert mille fois la mort plutôt que de faire un acte défendu par les lois et les usages qu’il avait fondés. »

Après ce préambule, Philon donne une analyse succincte de la constitution politique des Juifs, fondée sur les lois de Moïse, en ces termes :

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