Préparation évangélique

LIVRE VIII

CHAPITRE VIII
DE JOSÈPHE, SUR LA CIVILISATION INTRODUITE PAR MOÏSE

« On peut juger en comparant les lois de Moïse avec celles des autres législateurs, quel est celui qui a le mieux réussi dans leur rédaction et qui a donné une notion plus juste de Dieu. C’est ce dont il convient que nous parlions maintenant.

« En ne considérant ces choses que d’une manière vague, on pourrait dire que les différences dans le détail des usages et des lois de tous les peuples sont infinies : les uns, ayant confié le pouvoir de gouverner à des monarques ; les autres, à quelques familles puissantes, d’autres à la multitude ; mais notre législateur ne s’est nullement conformé à ceux-ci, et l’on pourrait dire en forçant le langage que son gouvernement est une théocratie ; ayant placé en Dieu le commandement et la force, et ayant persuadé à son peuple de ne voir qu’en lui la cause de tous les biens qui arrivent en commun à tous les hommes et à chacun en particulier et de tous ceux que, dans des circonstances désespérées, on obtient par des prières.

« Échapper à la pénétration divine, est une chose impossible, tant pour les actes extérieurs que pour les pensées que nous concevons en nous-mêmes. Moïse a défini Dieu comme n’ayant pas eu de commencement, étant immuable de toute éternité, supérieur en beauté à toutes les substances mortelles, n’étant accessible à notre connaissance que par sa puissance ; quant à son essence, elle nous est complètement inconnue. Je ne me propose pas de montrer ici que si les plus sages d’entre les Grecs ont émis les mêmes opinions sur Dieu, c’est de lui qu’ils l’ont appris, puisqu’il a sur eux la priorité. Mais je me bornerai à dire qu’ils ont témoigné hautement que ses pensées sont nobles et parfaitement en harmonie avec la nature et la majesté divine. Pythagore, Anaxagore, Platon et les philosophes du Portique après lui, tous à un petit nombre près, paraissent avoir eu des sentiments semblables sur la nature de Dieu ; mais se contentant de les professer au milieu d’un cercle borné de disciples, ils n’ont pas osé démontrer la vérité de ces dogmes, parmi les multitudes infatuées de leurs propres opinions. Tandis que notre législateur, en raison de ce que les faits étaient d’accord avec ses lois, a non seulement convaincu ses contemporains de ces vérités, mais a inspiré une foi inébranlable en Dieu à toutes les générations qui devaient en naître. La cause pour laquelle la marche de sa législation l’emporte de beaucoup sur toutes les autres par son utilité, c’est que la piété ne fait pas pour lui partie de la vertu ; mais que toutes les autres vertus ne sont que des parties de la piété, par la manière dont il les a enchaînées et distribuées entre elles, savoir : la justice, la tempérance, la persévérance, l’accord entre eux de tous les citoyens ; et en toute chose, toutes les actions, toutes les habitudes et tous les discours se rapportant aux pratiques de piété envers Dieu, il n’en a laissé aucune sans examen et indéfinie. Il existe deux modes d’éducation quelconque et de règlement des mœurs. L’une se fait par l’instruction orale, l’autre par l’exercice et l’usage. Les autres législateurs ont été partagés d’opinion, et adoptant de préférence l’une de ces méthodes, ont dédaigné l’autre. Ainsi les Lacédémoniens et les Crétois ont fait consister toute l’éducation en pratiques et non en discours. Les Athéniens et presque tous les autres Grecs se bornant à prescrire par les lois ce qu’on doit faire et ce qu’on doit éviter, se sont peu souciés d’y joindre l’habitude des actes. Notre législateur a su combiner avec soin ces deux moyens, il s’est donc gardé de laisser muette la pratique des rites prescrits : il n’a pas permis qu’on séparât l’action des paroles de la loi ; mais dès la première éducation et dans l’intérieur même des familles, il n’a eu garde d’abandonner à la volonté de ceux qui y commandent, le choix des plus simples règlements. A l’égard des aliments, il indique ceux dont on doit s’abstenir et ceux dont il est permis de faire usage, aussi bien que ceux qui peuvent être admis dans les repas en commun. Quant à la prolongation des travaux et leur cessation, il y a mis une limite : c’est la règle contenue dans la loi, afin que, vivant tous sous le même père et le même maître, nous ne l’offensions ni de dessein prémédité ni par ignorance ; ne nous ayant pas laissé l’excuse de l’ignorance, mais nous ayant donné l’instruction la plus belle et la plus complète dans l’audition de la loi, non pas une fois, ni deux, ni plus souvent, mais chaque semaine, le jour où il nous a interdit tout autre travail et nous a obligés de nous réunir, pour en entendre la lecture et en acquérir une connaissance approfondie. Voilà ce que tous les autres législateurs paraissent avoir négligé.

« La plus grande partie des hommes ne manquent autant à vivre en conformité avec les lois qui les régissent, que parce que généralement ils les ignorent, et ce n’est que lorsqu’ils ont commis les fautes, qu’ils apprennent des autres qu’ils ont transgressé la loi. On voit même ceux qui occupent les plus grandes et les plus importantes places de l’état avouer leur ignorance ; aussi cherchent-ils des chefs de tribunaux qui se recommandent par une longue expérience des lois pour les aider à administrer la chose publique.

« Au lieu de cela, interrogez celui d’entre nous que vous voudrez, il lui sera plus facile de vous faire connaître les lois que de dire son propre nom. En effet, à peine avons-nous le premier sentiment de l’existence, que nous les apprenons et que nous les gravons, pour ainsi dire, dans notre âme ; ce qui fait que les violateurs de la loi sont si rares parmi nous et que les supplications pour se soustraire au châtiment sont impuissantes. C’est à cela plus qu’à toute chose au monde que nous sommes redevables de notre merveilleuse union. Avoir une seule et même croyance en Dieu, n’avoir aucun dissentiment dans la manière de vivre et dans les habitudes ; c’est le moyen infaillible de maintenir dans les caractères le plus parfait accord. Nous sommes les seuls chez lesquels on n’entende point de discours contradictoires sur la divinité, comme on en entend beaucoup parmi les autres nations ; et ce ne sont pas les gens du commun seulement qui hasardent de proférer des discours irréfléchis à ce sujet, mais on a vu des philosophes même porter l’audace à ce point, que quelques-uns ont essayé, par leurs discours, d’anéantir toute nature divine ; les autres ont nié la Providence envers les hommes. On ne voit pas non plus chez nous de différence dans les manières de vivre ; mais tous les travaux étant communs, notre langage est le même ; c’est celui qui est d’accord avec notre loi, laquelle proclame que Dieu surveille toutes choses : dans l’économie de notre vie, elle nous montre la piété comme le but unique vers lequel doivent tendre toutes nos actions. Voilà ce que des femmes, des esclaves même pourraient vous apprendre.

« D’où vient donc cette accusation insensée contre nous, que nous n’avons rien découvert de nouveau, soit en actions, soit en paroles ? En voici la cause : les autres hommes ne conservent aucun attachement aux institutions de leurs pères, n’y mettent aucun prix, et considèrent comme la preuve d’une grande sagesse d’oser s’en affranchir. Chez nous, c’est tout le contraire ; nous ne reconnaissons qu’une prudence et qu’une vertu, qui est de ne faire aucun acte, de ne former aucune pensée qui s’éloigne le moins du monde des lois que nous avons reçues dans l’origine : ce qui peut sembler une preuve que les lois qui nous ont été données sont les meilleures possibles : au lieu que les tentatives de corrections prouvent qu’il n’en est pas ainsi, et que les lois ont besoin qu’on y retouche. Dans la persuasion où nous sommes que les nôtres nous ont été données originairement par la volonté de Dieu, ce serait une impiété de ne pas continuer à les observer. Qui y porterait atteinte, soit parce qu’il aurait trouvé mieux, ou parce qu’il y apporterait d’ailleurs des améliorations réelles ? Serait-ce quant à l’ensemble de la constitution politique ? Mais quel gouvernement plus beau et plus juste que celui qui reconnaît Dieu pour son chef suprême, qui confie aux prêtres en commun l’administration des plus grands intérêts, et qui attribue au grand-prêtre l’autorité du commandement sur les autres ? Ce n’est pas à ceux qui remportaient par la richesse on par les autres avantages que, dans l’origine, le législateur a confié cet honneur, mais à ceux qui l’emportaient sur les autres par l’éloquence et par une conduite modérée. Voilà quels sont ceux auxquels il a remis les soins du culte divin. C’était, en effet, le plus sûr moyen de préserver de toute atteinte la loi et les institutions ; les prêtres étant à la fois chargés d’initier aux choses saintes, de juger les contestations, d’exécuter les châtiments prononcés. Quelle autorité plus sainte ? Quel honneur plus digne de Dieu ? La population entière étant consacrée à la piété, les prêtres étant institués comme ses surveillants par excellence, on peut considérer comme un mystère pieux toute cette hiérarchie de pouvoirs. Mais tandis que les autres peuples peuvent à peine observer pendant quelques jours les rites de ce qu’ils nomment mystères et initiations, nous les pratiquons sans interruption avec une joie ineffable et une invariable détermination.

« Quels sont les commandements, quelles sont les défenses les plus simples et les plus faciles à retenir ? Le premier concerne Dieu, c’est celui qui dit que Dieu occupe tout, qu’il est parfait, qu’il est heureux, qu’il se suffit à lui-même et suffit à tout ce qui existe, qu’il est le commencement, le milieu et la fin de toute chose, qu’il se manifeste par ses œuvres et par ses bienfaits, que son évidence est plus certaine que celle de tout ce qui est au monde ; mais que sa forme et sa grandeur échappent à nos sens. Toute matière, en comparaison de son image, quelque riche qu’elle soit, étant sans prix, tout art qui cherche à imiter ses œuvres étant sans génie, nous ne voyons et ne concevons rien qui lui soit semblable. C’est donc un sacrilège que de vouloir lui donner une figure. Nous voyons ses œuvres, la lumière, le ciel, la terre, le soleil, la lune, les fleuves et la mer, la génération des animaux, la reproduction des fruits. Voilà ce que Dieu a fait, non par ses mains ni par ses travaux, mais sans réclamer le concours de personne, par sa volonté qui s’étant proposée de produire de belles choses, aussitôt les choses ont été produites, éclatantes de beauté. Nous devons le servir en pratiquant la vertu, car, de tous les cultes qu’on peut lui rendre, c’est celui qui est le plus saint ; il n’y a qu’un seul temple pour un seul Dieu, car on affectionne toujours ce qui nous ressemble. Ce temple est commun pour tous, comme Dieu est commun pour tous ; les prêtres lui rendent un culte perpétuel, et celui qui les commande est le premier suivant l’ordre de primogéniture. C’est lui qui, avec ses collègues, immolera à Dieu, en observant les lois, jugera les différends, châtiera les hommes convaincus de crimes ; et celui qui refusera de lui obéir subira la peine réservée aux coupables d’impiété envers Dieu.

« Nous immolerons des victimes, mais non pour nous en repaître et nous enivrer, ce qui est contraire à la volonté de Dieu. Les sacrifices ainsi ne seraient qu’une occasion de débauche et de profusion, tandis qu’ils doivent être entourés de sobriété, de décence et de gravité : la modestie étant surtout requise dans le moment du sacrifice. Nous prions en premier lieu pour le salut du peuple entier, ensuite pour nous-mêmes ; nous sommes nés pour la société, et l’homme qui la préfère à son propre avantage sera surtout agréable à Dieu. Notre invocation et notre demande à Dieu par la prière doit être non pour qu’il nous donne des biens, il nous les a donnés de plein gré et les a placés au milieu de nous ; mais pour que nous soyons en état de les recevoir, et que nous les conservions après les avoir reçus. La loi a déterminé les purifications en vue des sacrifices, savoir, après les funérailles, après les couches, la cohabitation et beaucoup d’autres actes qu’il serait trop long d’énumérer. Tels sont les enseignements, concernant Dieu et son culte, qui font partie de notre loi.

« Quels sont ceux sur le mariage ?

« La loi ne connaît qu’une union, celle naturelle de l’homme et de la femme, et ce dans la vue de procréer des enfants ; elle a en horreur le commerce des hommes entre eux, et la mort est le châtiment de quiconque tenterait une action pareille. Elle ordonne de se marier sans s’attacher à la dot, sans user de violence, sans séduire par duplicité et par ruse. Mais on doit s’offrir comme prétendant, à celui qui a le droit de donner la fille, en raison de sa parenté. La femme est inférieure à l’homme en toutes choses, dit l’Écriture, elle doit donc lui être soumise, non pour être traitée durement, mais pour être commandée. Dieu a donné la force à l’homme ; il dort n’avoir de commerce qu’avec la femme qu’il a épousée ; il est impie d’attenter à celle d’un autre : si quelqu’un le faisait, rien ne pourrait le sauver de la mort ; ni s’il voulait faire violence à une fille fiancée à un autre homme, ni s’il la séduisait étant mariée. La loi prescrit d’élever tous les enfants ; elle interdit à la femme de faire avorter ou de détruire le germe conçu dans son sein ; si elle paraissait l’avoir fait, elle serait infanticide, ayant détruit une âme et porté atteinte à la race humaine. L’homme qui, dans l’union criminelle, transgresserait le vœu de la nature, ne serait pas pur, puisque, même dans le rapprochement légitime du mari et de la femme, la loi ordonne des purifications ; il aurait forcé une âme à te séparer pour aller en d’autres lieux, car c’est l’âme qui est unie au corps qui devient victime dans ce cas. La loi a donc prononcé la mort pour l’un et pour l’autre, parce qu’elle a imposé la plus grande pureté dans tous les actes de cette nature.

« La loi n’a pas même permis l’usage des festins à la naissance des enfants, pour que ce ne fût pas une occasion d’ivresse. Mais elle a voulu que le premier pas dans l’éducation fut marqué par la tempérance. Elle a ordonné qu’on leur fit étudier les lettres dans lesquelles les lois sont écrites, et qu’ils acquissent la connaissance des histoires de nos ancêtres, pour imiter les uns, et pour qu’ayant connu dans leur enseignement le mal des autres, ils ne commissent pas de transgressions, en n’ayant pas le prétexte de l’ignorance. Elle a prévu les soins pieux dus aux morts, en écartant la profusion des pompes funèbres et l’érection des monuments fastueux ; mais elle a réglé ce que les plus proches parents doivent faire dans les funérailles : elle a voulu que tous ceux qui passent près d’un mort qu’on ensevelit, s’en approchassent et prissent part au deuil. Après les obsèques, elle a ordonné qu’on purifiât la maison et tous ceux qui l’habitent, afin que celui qui aurait commis un meurtre fût bien loin de se considérer comme pur. Elle a placé immédiatement après les hommages rendus à Dieu, ceux qu’on doit aux parents ; et elle livre pour être lapidé celui qui non seulement s’est montré ingrat envers eux, mais a omis un de ces devoirs. Elle dit que les jeunes gens doivent tous respect aux vieillards, parce que Dieu est l’ancien par excellence. Elle ne permet pas de rien cacher à ses amis ; car l’amitié qui ne confie pas tout n’est pas une véritable amitié. Si une inimitié survient, elle défend de révéler les confidences qu’on a reçues. Si un juge reçoit des présents, la mort est son châtiment. Celui qui, pouvant secourir un suppliant, le dédaigne, est coupable. On n’enlèvera pas ce qu’on n’a pas déposé ; on ne touchera pas au bien d’autrui ; le prêteur ne demandera pas d’intérêts. Il y a encore beaucoup d’autres lois semblables, qui tendent à resserrer les liens de la société entre nous. Il est également à propos de dire comment le législateur a réglé la conduite envers les étrangers. On verra qu’il a prévu mieux qu’aucun autre comment, sans nuire à notre nationalité, nous n’envierons pas aux étrangers les communications qu’ils désirent. Tons ceux qui veulent vivre sous nos lois en les acceptant, nous devons les recevoir avec cordialité, croyant que la nationalité, n’est pas due seulement à ceux du pays, mais à ceux qui en désirent les mœurs. Quant à ceux qui se rapprochent de nous de mauvaise grâce, elle n’a pas voulu que nous contractassions >de relations avec eux, si ce n’est pour les choses dont la participation est indispensable : le feu, l’eau, les aliments, l’indication du chemin, la sépulture à donner à un mort : nous devons cela à tous ceux qui en ont besoin. Nous devons garder les bienséances même envers des ennemis, lorsque nous sommes appelés en justice ; nous ne pouvons ni incendier leurs récoltes, ni couper leurs arbres à fruits ; la loi nous a défendu de les dépouiller lorsqu’ils tombent à la guerre. Elle a pris soin des prisonniers pour les défendre d’insultes, surtout les femmes. C’est ainsi qu’elle nous a enseigné la mansuétude et la philanthropie ; elle n’a pas même négligé la soin des animaux irraisonnables, elle n’en a permis romans qu’un usage légitime, et interdit tout ce qui dépasse ces bornes. Elle a prohibé le droit de tuer ceux des animaux qui viennent comme suppliants chercher un refuge dans les maisons, ou de priver les oiseaux de leurs petits. On doit respecter les bêtes de travail, même en pays ennemi, et ne jamais les tuer. C’est ainsi qu’elle a pourvu en tout point à ce que demandait la mansuétude et l’humanité, dans l’usage des lois qui s’appellent didascaliques, ou de conduite. Quant aux lois pénales, dirigées contre les prévaricateurs, elle prononce le plus souvent et sans détour la peine capitale : si on est adultère, si on a violé une fille, si l’on a osé attenter à la pudeur d’un homme, ou si celui-ci s’est prêté à ce qu’on désirait de lui. Il y a aussi des lois inexorables à l’égard des esclaves, sur les mesures si l’on cherche à frauder, sur les poids, sur les ventes frauduleuses ou injustes ; si l’on a pris le bien d’autrui, si l’on emporte ce qu’on n’avait pas déposé ; pour tout cela il y a des punitions non telles qu’en d’autres pays, mais plus fortes. Pour ce qui est des injustices envers les parents, des impiétés envers Dieu, pour peu qu’on en ait la velléité, la mort est prononcée sur le champ.

« La récompense de ceux qui ont une conduite en tout point d’accord avec la loi, ne consiste pas en argent ni en or ; ce n’est pas non plus en couronne d’olivier sauvage, ou de persil ou toute autre. Ce n’est pas par telle proclamation, mais par le témoignage que chacun se : rend à soi-même, et par la foi aux prophéties du législateur, que Dieu a confirmées de la manière la plus solennelle : foi par laquelle ceux qui ont gardé fidèlement les lois, dussent-ils même mourir pour elles, en acceptant cette mort avec résignation, reçoivent en échange une vie beaucoup meilleure que celle-ci, lorsque Dieu les rappellera à l’existence. J’aurais hésité d’écrire maintenant ces choses, s’il n’était évident par les faits à tous les esprits, qu’un grand nombre des nôtres avait déjà plusieurs fois préféré de supporter courageusement les plus cruels traitements, plutôt que de proférer une parole contre la loi.

« Tandis que si, par l’effet des circonstances, notre peuple n’eût pas été connu universellement comme il l’est, et que notre attachement volontaire à notre loi ne fût pas parvenu au degré de publicité qu’il a, un homme qui aurait dit, de lui-même aux Grecs, des choses qu’il aurait vues tout seul, savoir, qu’en dehors des limites connues de la terre, il s’était certainement trouvé parmi des hommes qui avaient de Dieu une opinion aussi sublime, et qui restaient fidèles depuis un temps immémorial à leurs lois, tels enfin que nous sommes ; ils refuseraient tous d’y croire, à cause des changements si fréquents qui ont lieu chez eux ; par la même raison qui les fait accuser ceux qui, en politique et en législation, essayent d’écrire dans le même système, de s’être plus à composer des fables, disant que tout ce qu’on leur raconte lâ sont des suppositions impossibles. Pour laisser de côté les autres philosophes qui ont rédigé quelque chose d’analogue dans leurs ouvrages, prenons Platon pour exemple. Il est admiré par tous les Grecs comme supérieur à tous ceux qui ont pris le nom de philosophes, tant par la gravité de ses mœurs que par la puissance de sa parole et l’entraînement de son éloquence. Eh bien, il ne cesse d’être en quelque sorte bafoué et tourné en dérision par ceux qui se prétendent habiles en politique, et cependant en étudiant avec soin ses écrits, on y découvrira beaucoup de points de rapprochement avec nos institutions.. Ce même Platon a avoué qu’il n’était pas sûr de confier à la déraison de la populace la véritable notion de Dieu. On voit néanmoins des gens qui regardent les dialogues de Platon comme des discours futiles, écrits avec une grande liberté de pensée. Parmi les législateurs, on admire surtout Lycurgue, et on célèbre à l’envi la gloire de Sparte, parce que ses habitants ont persévéré le plus possible dans les lots qu’il leur avait données. Qu’on convienne donc que l’obéissance aux lois est une preuve de vertu. Toutefois, les admirateurs de Lacédémone devraient comparer la durée de leur république avec les deux mille et plus d’années de la nôtre. Qu’ils pensent aussi que tant que les Lacédémoniens ont conservé la liberté, ils ont été attentifs à garder leurs lois ; tandis que depuis que les revers de fortune leur sont arrivés, ils ont, peu s’en faut, complètement oublié ces mêmes lois. Au lieu que nous, dont la fortune a éprouvé des vicissitudes infinies par les changements successifs des monarchies de l’Asie, nous n’ayons jamais déserté nos lois, même dans les plus grandes calamités. »

C’est ainsi que Josèphe s’exprime sur les institutions politiques des Juifs par Moïse. J’aurais encore beaucoup à dire sur les doctrines allégoriques et figurées, dissimulées dans les lois ; mais je crois suffisant de citer les explications d’Eléazar et d’Aristobule, tous deux Hébreux d’ancienne origine, et ayant vécu du temps de Ptolémée. Eléazar, revêtu de la dignité de grand-prêtre, ainsi que nous l’avons fait connaître précédemment, a esquissé le mode d’allégorie contenue dans les saintes lois, en s’adressant aux envoyés du roi, venus vers lui pour la traduction en langue grecque des livres hébreux.

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