Préparation évangélique

LIVRE VIII

CHAPITRE X
TIRÉ D’ARISTOBULE SUR CE QU’ON NOMME LES MEMBRES DE DIEU

« Les précédentes questions que vous m’avez adressées, ô Prince, ayant été complètement résolues par ce qui a été dit, vous vous êtes récrié sur ce que dans notre loi, on désigne les mains, les bras, le visage, les pieds, la démarche, en parlant de la puissance divine. Cette difficulté trouve ici sa place et ne contredira en rien ce qui a été expliqué précédemment. Je veux d’abord vous prémunir contre l’acception de ces termes dans un sens naturel, et pour que vous conserviez de Dieu l’opinion qu’on doit en avoir, afin de ne pas tomber dans la fable, en donnant à Dieu une configuration d’homme. Il arrive souvent que notre législateur Moïse emploie des dénominations d’autres choses pour indiquer ce qu’il veut dire : ainsi, pour la plus grande clarté, il fait usage des positions physiques pour exprimer l’exécution des plus grandes choses.

Ceux qui ont le don d’une intelligence supérieure admirent la sagesse de Moïse et l’esprit divin dont il est animé, qui l’a fait proclamer prophète. Dans leur nombre sont les philosophes que j’ai cités, et beaucoup d’autres poètes qui ont puisé chez lui les sublimes conceptions qui leur ont mérité les suffrages universels. Quant à ceux qui n’ont pas cette force d’entendement, et qui ne s’en tiennent qu’à l’expression écrite, pour ceux-là ils ne découvrent rien de grand dans Moïse. Je vais prendre, autant que j’en serai capable, des exemples de chaque signification, et si je ne réussis pas à démontrer cette vérité, ce n’est pas au législateur que vous devrez imputer la faute, mais à moi seul qui n’aurai pas su vous faire discerner leurs différentes acceptions.

« Les mains sont prises clairement et habituellement dans le même sens parmi vous. Lorsque vous envoyez des troupes comme roi, pour l’exécution de quelque projet que vous avez conçu, on dit : le roi a μεγάλην χεῖρα, une grande armée ; et ceux qui entendent cette expression, la comprennent des gens de guerre, sous vos ordres. Eh bien ! Moise dans sa législation fait un usage semblable du même mot en disant :

« D’une main, puissante Dieu vous a tiré de l’Égypte, »

et

« j’enverrai ma main, dit le Seigneur, et je frapperai les Égyptiens ».

Et lors de la destruction des animaux domestiques, Moïse dit à Pharaon :

« Voici que la main du Seigneur sera sur vos animaux : il y aura une grande mortalité dans tous vos champs. »

Dans ces exemples les mains de Dieu représentent la puissance divine, par la raison qu’on considère toute la force des hommes et toute leur sphère d’activité, dans l’usage qu’ils font de leurs mains. Le législateur a donc eu raison de transporter cette locution pour exprimer la majesté, en nommant les mains de Dieu, l’exécution de ses volontés.

« La στάσις θεία, l’assiette de Dieu, est une expression relevée qui rend bien l’idée de la manière dont Dieu a assis et disposé l’univers, car Dieu est au-dessus de tout, tout lui est soumis et a pris en lui son point d’appui. C’est un moyen de faire comprendre aux hommes à quoi tient la stabilité du monde, et pourquoi le ciel ne devient pas terre, la terre ne devient pas ciel ; pourquoi le soleil ne brille pas comme la lune, ni la lune comme le soleil ; pourquoi les fleuves et les mers restent dans leurs limites. Le même raisonnement s’applique aux animaux. L’homme n’est pas une bête, ni la bête un homme ; en suivant, la même règle s’observe à l’égard des plantes et des autres substances : elles sont invariables dans leur espèce, prenant naissance de même, éprouvant les mêmes modifications et les mêmes dissolutions. La στάσις θεια d’après ce, se dira donc de tout sujet qui repose en Dieu.

« La κατάβασις, ou descente divine sur la montagne, est citée dans le livre de la loi à l’époque où Dieu donnait ses lois, afin que tous reconnussent que c’était l’œuvre de la divinité. Cette descente est évidente ; mais on pourrait l’interpréter, si on voulait continuer la même manière dont on a parlé de Dieu ; car il est clair que la montagne était tout en feu, ainsi que dit le législateur, parce que Dieu y était descendu. Or, le son des trompettes et le feu qui brûlait se faisaient sans instruments et sans combustible ἀνυποστάτως. La multitude, qui entourait la montagne, ne comportait pas moins d’un million d’individus, sans compter les enfants, et était répandue tout autour de cette montagne, dans l’attitude d’un peuple assemblé pour traiter les affaires de la communauté : elle ne resta pas moins de cinq jours dans la même attente. Or, comme ils étaient campés tout autour de ce pic, ils le voyaient également enflammé de tous les points de l’horizon, en sorte que la descente ne pouvait être en un seul lieu ; car Dieu est partout. L’activité du feu, qui a cela de merveilleux au-dessus de toutes les autres substances, qu’il détruit tout ce qu’il envahit, n’aurait pas pu se montrer toujours flamboyant sans combustible, par conséquent sans rien consumer, s’il n’avait tenu cette vertu de Dieu lui-même.

« Et tandis que de toutes les plantes qui couvraient la montagne, aucune n’aurait dû échapper à la destruction, aucune ne fut détruite, mais leur verdure demeura intacte sous l’action apparente du feu. Les sons des clairons étaient entendus avec une grande force au milieu de ce vaste incendie, sans qu’aucun instrument existât dans ce lieu, non plus que ceux qui les auraient fait résonner : le tout n’étant que l’effet de l’énergie divine. En sorte qu’on peut conclure avec certitude que la descente de Dieu n’avait de réalité que par la perception fantastique de tous ceux qui étaient témoins de ce spectacle, sans, comme nous l’avons dit, qu’il y eût de feu allumé ni d’instruments de musique mis en mouvement, soit par un effort humain, soit par une disposition quelconque de ces mêmes instruments ; Dieu seul, sans aucun secours, ayant voulu faire éclater ainsi sa grandeur suprême, »

Aristobule est l’autour de ce que nous venons de citer. Et, puisque nous sommes occupés de la promulgation des saintes lois et de leur interprétation allégorique, c’est une conséquence nécessaire de faire connaître que le peuple juif se partage en deux sectes, dont une, formée du bas peuple, ne s’attache qu’au sens verbal des lois telles qu’elles lui ont été données ; l’autre, appartenant à la classe dans l’aisance, se sépare de la première et croit devoir se livrer à une philosophie plus divine et plus relevée, en recherchant théoriquement le sens intellectuel signifié par ces mêmes lois. Il existait, en effet, une secte de philosophes juifs dont la vie ascétique a excité l’étonnement de milliers d’hommes, étrangers à leur croyance, et à laquelle les plus éminents de leurs compatriotes ont consacré les souvenirs immortels de leur admiration ineffaçable, savoir, Josèphe, Philon et plusieurs autres. Écartant beaucoup de choses que je pourrais en dire, je me bornerai à donner un aperçu de ce qu’ils sont, en empruntant pour le moment le témoignage de Philon, témoignage qu’il a consigné dans différents mémoires qui roulent, en général, sur les intérêts de sa nation. Je prends dans son apologie des Juifs l’extrait que vous allez lire :

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