Préparation évangélique

LIVRE X

CHAPITRE II
DE CLÉMENT SUR LE PLAGIAT DES ÉCRIVAINS GRECS

« Ayant porté jusqu’à l’évidence, la preuve que le génie les Grecs s’est éclairé des lumières de la vérité, qui brille dans les écritures qui nous ont été données ; ce qui irait jusqu’au point de pouvoir dire d’eux, si le terme n’était pas injurieux, qu’ils sont convaincus du vol de la vérité ; continuons cette démonstration, en citant les Grecs eux-mêmes, en témoignage des larcins qu’ils se sont faits. Car, ceux qui ouvertement se pillent entre eux, justifient l’opinion qu’ils sont des voleurs ; et qu’ayant reçu de nous la vérité, ils ont dû se l’approprier, pour la répandre furtivement parmi leurs compatriotes. Si, en effet, ils n’ont pas respecté les leurs, à combien plus forte raison n’auront-ils pu s’abstenir de porter la main sur notre bien. Je garderai le silence sur ce qui est des dogmes de philosophie, puisque ceux qui se sont érigés en chefs de sectes confessent, dans leurs écrits, qu’ils se rendraient coupables d’ingratitude, s’ils ne rapportaient pas à Socrate l’honneur des dogmes principaux qu’ils avouent tenir de lui. Me contentant donc d’un petit nombre de témoignages, empruntés à des auteurs souvent cités, et jouissant parmi les Grecs d’une estime générale, je ferai ressortir l’espèce de leurs larcins, en puisant indifféremment dans les différentes époques de leur histoire, puis je retournerai à l’accomplissement du plan que je me suis tracé. »

S’étant exprimé en ces termes, comme dans une sorte de préambule, Clément ajoute immédiatement les preuves de ce qu’il avance, preuves tirées d’une foule d’exemples, d’abord de ceux des poètes qui ont dérobé à d’autres poètes les vers qu’il cite, en en justifiant par le rapprochement des passages comparés. Après quoi il ajoute ce qui suit.

« En sorte, que nous ne trouvons à l’abri de cette imputation, ni la philosophie, ni l’histoire, ni l’art oratoire, ce dont un petit nombre d’exemples suffiront pour convaincre. »

Il fait suivre cette assertion de morceaux tirés d’Orphée, d’Héraclite, de Platon, de Pythagore, d’Hérodote, de Théopompe, de Thucydide, de Démosthène, d’Eschine, de Lysias, d’Isocrate et de mille autres, dont il n’est pas besoin que j’enregistre ici les paroles, puisque l’ouvrage de ce grand homme subsiste, et qu’on peut facilement y trouver les garanties des faits qu’il allègue. Puis il ajoute :

« Ces différentes espèces de plagiat de pensées, étant telles que je viens de les rapporter, chacun de ceux qui veulent en acquérir une démonstration évidente peuvent en l’aire la recherche ; je n’en dirai pas plus à cet égard. Maintenant, je vais donner la preuve que ce ne sont pas seulement des pensées ou des expressions qu’ils se sont appropriés, comme on l’a montré, mais que leurs larcins vont ouvertement à s’attribuer des récits entiers, comme j’en donnerai la conviction ; ils ont donc transporté dans leurs propres écrits, des relations entières qu’ils avaient dérobées à d’autres écrivains. Ainsi Eugamon de Cyrène a pris dans Musée tout le livre qui traite des Thesprotes. »

Après avoir donné encore un grand nombre de preuves de cette vérité, il ajoute en terminant :

« Ma vie ne suffirait pas, si j’essayais de parcourir un à un les plagiats volontaires des Grecs, pour prouver qu’ils s’approprient la découverte des dogmes les plus excellents de leur philosophie, qu’ils nous ont dérobés. Cependant ils ne se sont pas contentés, comme cela est prouvé, de dérober des dogmes aux barbares ; mais, de plus, imitant les actes de la puissance divine opérés parmi nous d’une manière merveilleuse, en faveur des hommes qui ont vécu saintement, et pour notre conversion, ils les ont remaniés et transformés en merveilles de la mythologie hellénique. Et si nous leur demandions si ce qu’ils racontent est vrai ou faux ? Faux, il ne l’avoueraient pas ; car comment peut-on, de gaîté de cœur, se donner le cachet de la sottise la plus grande, en s’avouant coupable de mensonges dans ses écrits ? Ils affirmeraient donc forcément que leurs récits sont véridiques. Or, comment ne pas se refuser à croire, comme leur étant arrivées, des choses que Dieu a opérées miraculeusement, en faveur de Moïse et des autres prophètes ?

« Le Dieu tout-puissant embrassant dans sa Providence toute la race humaine, appelle au salut les uns par les commandements, les autres par les menaces, ceux-ci par des signes et des prodiges, ceux-là par de doux avertissements. Or, les Grec ayant éprouvé une sécheresse prolongée qui avait désolé toute la a contrée, et tari dans leur germe la reproduction des fruits, ceux des habitants qui échappèrent, dit-on, aux dangers directs de l’intempérie, pressés par la disette, vinrent en suppliants au temple de Delphes et interrogèrent la Pythie sur ce qu’ils devaient faire, pour se soustraire aux maux auxquels ils étaient en proie. La prêtresse leur répondit que le seul moyen d’éloigner d’eux le fléau serait qu’ils eussent recours aux prières d’Éaque. Éaque donc s’étant laissé persuader par eux, il monta sur le sommet du mont Hellénique, élevant des mains pures vers le ciel-invoquant Dieu, le père commun des hommes, pour qu’il eût pitié de la Grèce infortunée. Il eut à peine achevé sa prière qu’un tonnerre d’heureux augure fit entendre des roulements modérés, toute l’atmosphère se remplit de nuages, des pluies abondantes et continues tombant avec fracas pénétrèrent dans le sol : de là une profusion de fruits de toute espèce vint apporter la richesse et la prospérité ; et une récolte réparatrice fut due aux prières d’Éaque.

« Samuel, dit la Sainte Écriture, invoqua le Seigneur, et le Seigneur fit entendre sa voix, et la pluie vint au jour nécessaire pour la récolte. Vous voyez que c’est Dieu qui fait pleuvoir sur les bons et sur les méchants par le moyen des puissances soumises à ses ordres ; » et ce qui suit.

Clément a rattaché à ce récit des nombreuses et irréfragables preuves qu’il a découvertes et qui établissent que les Grecs étaient des plagiaires ; mais si son témoignage vous paraît suspect, en ce que, pareillement à nous, il a préféré la philosophie des Barbares à celle des Grecs, laissons-le ; encore bien que ce ne soit pas par ses paroles, mais parcelles des Grecs eux-mêmes, qu’il a prouvé la vérité de son opinion. Mais que diriez-vous si vous appreniez de vos fameux philosophes les mêmes choses qu’il a dites ? accueillez donc leurs témoignages.

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