Préparation évangélique

LIVRE X

CHAPITRE VIII
DE DIODORE SUR LE MÊME SUJET

« Toutes ces choses ayant été bien exposées, on doit dire combien de Grecs distingués par l’esprit et les connaissances, dans les anciens temps, se transportèrent en Égypte pour s’instruire des usages de ce pays, et s’initier aux doctrines qu’on y enseignait. Les prêtres égyptiens racontent en effet, d’après ce qui a été inscrit dans leurs livres sacrés, qu’Orphée, Musée, Mélampe et Dédale, se rendirent près d’eux. Après ceux-ci vinrent Homère le poète, et Lycurgue le Spartiate ; à la suite, Solon l’Athénien et Platon le philosophe. On y vit aussi accourir Pythagore de Samos et le mathématicien Eudoxe, Démocrite l’Abdéritain, et Œnopide de Chio. Ils montrent des signes de leurs voyages à tous ; pour les uns des statues ; pour les autres, les lieux ou les établissements auxquels ils ont donné leurs noms. Ils apportent des preuves du genre d’étude pour lequel chacun d’eux a montré de l’émulation ; car ils soutiennent qu’ils ont remporté d’Égypte toutes les connaissances qui leur ont mérité l’admiration des Grecs. Ainsi Orphée a reçu des Égyptiens la plupart des initiations mystiques, et les orgies qu’il a instituées dans ses voyages, aussi bien que sa mythologie sur les enfers. Le mystère d’Osiris a été converti par lui en celui de Bacchus, et celui qu’ils consacrent à Isis ne diffère en rien de celui de Cérés ; il n’y a que les noms de changés. Les châtiments des impies dans l’enfer, et les prairies des hommes pieux, les images funèbres que l’on voit moulées chez les gens du commun, n’ont été introduites par lui, qu’en imitation de ce qui se pratique dans les funérailles de l’Égypte.

« C’est d’après un usage très ancien chez les Égyptiens que l’Hermès Psychopompe (Mercure conducteur d’âmes), ayant amené le corps d’Apis jusqu’à un lieu déterminé, le remet entre les mains d’un personnage qui s’est couvert du masque de Cerbère. C’est ce qu’Orphée a montré chez les Grecs, et ce qu’Homère, sur les traces de ce dernier, a transporté dans son poème, lorsqu’il dit : Mercure cyllenius évoquait les âmes des héros, tenant une verge à la main. »

Après avoir continué cette exposition, Diodore reprend :

« Ils disent que Mélampe a rapporté de l’Égypte les mystères qu’on célèbre chez les Grecs, en l’honneur de Bacchus, et les fables qui concernent Saturne : tout ce qui se rapporte au combat des Titans, et l’histoire entière des souffrances qu’ont essuyées les dieux ; ils disent que Dédale a imité les égarements du labyrinthe qui subsiste encore aujourd’hui, lequel fut construit, à ce que les uns rapportent, par Mendès, suivant les autres, par le roi Marus, bien des années avant que Minos régnât en Crète. La pose des statues anciennes un Égypte, est la même que celles des statues sorties des mains de Dédale, qui sont répandues dans la Grèce. Ce fut Dédale qui donna les plans architectoniques du magnifique Propylée de Vulcain à Memphis, si justement admiré. Il existe dans le même temple une statue en bois exécutée par ses mains : enfin, à cause de son génie, ayant été jugé digne des plus grands honneurs, car on lui doit de nombreuses découvertes, il a obtenu des hommages qui l’assimilent aux dieux ; et dans une des îles avoisinant Memphis, on voit encore maintenant un temple de Dédale, en grande vénération parmi les habitants.

« Quant à la venue d’Homère, ils en donnent d’autres marques évidentes, et surtout le médicament qu’Hélène donna à Télémaque venu chez Ménélas, qui avait la propriété de faire oublier les maux passés ; car le poète dit positivement que le Nepenthès venait des Égyptiens ; et ce qu’il ajoute, qu’Hélène le tenait de Polydamna, femme de Thonus, prouve l’exactitude de ses recherches, car aujourd’hui même encore, on dit que ce sont les femmes qui, dans ce pays, administrent ce remède héroïque, et que depuis les temps anciens, les seules, femmes de Diospolis ont trouvé le remède à la colère et à la douleur. Or, Diospolis est la même ville que Thèbes. Vénus est nommée Vénus dorée (χρυσῆ Ἀφροδίτη) parmi les habitants, d’après une vieille tradition ; il existe une plaine dite χρυσῆς Ἀφροδίτης près de la ville, appelée Momemphis. Et toutes les fables concernant Jupiter et Junon, et ce qui tient à leur cohabitation, à leur voyage en Éthiopie, Homère n’a pu le savoir que de là. Chaque année en effet le temple (portatif) de Jupiter chez les Égyptiens, est transporté au-delà du fleuve, dans la Lybie proprement dite, et après un certain nombre de jours déterminés, on le rapporte ; comme si le dieu revenait de l’Ethiopie ; puis, la cohabitation de ces deux divinités est figurée en ce que, dans certaines solennités, leurs deux temples sont transportés sur une montagne toute couverte de fleurs, par les soins des prêtres.

Ils disent que Lycurgue, Platon et Solon ont ordonné, dans leur législation, la pratique de beaucoup d’usages existant en Égypte ; que Pythagore a appris des Égyptiens tout ce qui concerne le discours sacré, (ἱερὸς λόγος) les théorèmes de géométrie, la science des nombres et la métempsychose, commune à tous les animaux ; ils supposent que Démocrite a passé cinq ans parmi eux, et qu’il y a puisé beaucoup d’enseignements astrologiques ; qu’également Œnopide ayant eu des fréquentations nombreuses avec les prêtres et les astrologues, en a remporté d’autres instructions, et surtout le cercle héliaque, par lequel le soleil aurait une marche oblique et inverse de celle des autres astres ; que pareillement Eudoxe, ayant fait de l’astrologie chez eux, et y ayant appris beaucoup de choses utiles, il en dota la Grèce, et mérité la gloire dont il jouit ; que de tous les anciens sculpteurs, ceux qui ont eu le plus de renom, avaient étudié chez eux, savoir : Teleclès et Théodore fils de Rhœcus, qui ont exécuté pour les Samiens la statue d’Apollon Pythien. »

Telles sont les expressions de Diodore ; et je bornerai là une controverse aussi développée et démontrée. Il n’y aura donc plus désormais de raison de nous accuser d’ineptie, pour avoir eu recours aux barbares, si toutefois les Hébreux sont des barbares, dans le désir de connaître le véritable culte, dû à la divinité ; puisque ce sont des barbares qui ont été les instituteurs des sages de la Grèce et de ceux qui, parmi eux, ont porté le surnom de Philosophes.

Il est temps de fixer l’époque où fleurirent Moïse ainsi que les prophètes qui lui out succédé. Ce point de doctrine est un des plus essentiels pour l’ouvrage que nous avons entrepris ; car devant nous appuyer sur les oracles sortis de la bouche de ces hommes, il importe de fixer leur priorité d’ancienneté ; afin que si l’on reconnaissait, parmi les Grecs, des doctrines pareilles à celle des prophètes et des théologiens hébreux, on ne fût pas dans l’incertitude pour savoir quels sont ceux qui, suivant les apparences, ont recueilli ces dogmes des autres ; si ce senties plus anciens qui ont pris aux plus nouveaux, si ce sont les Hébreux qui ont usurpé le bien des Grecs, si ce sont les barbares qui ont été plagiaires des philosophes dont il n’est pas vraisemblable qu’ils aient entendu la voix ; ou, ce qui est beaucoup plus rationnel, si ce ne sont pas les nouveaux venus qui ont profité de ce qu’on dit les plus anciens, et si les Grecs, qui ont parcouru en investigateurs la plupart des autres nations, ont pu ne pas connaître les écrits des Hébreux qui, depuis une haute antiquité, étaient traduits en langue grecque.

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