Préparation évangélique

LIVRE XI

CHAPITRE V
DE LA LOGIQUE PRATIQUE CHEZ LES HÉBREUX

La manière dont les Hébreux font usage de la logique n’est pas celle qui plaît aux Grecs, qui ont cru devoir la cultiver par l’habileté des sophismes et par des arguments, dont tout l’artifice tend à la déception : pour les Hébreux, c’est par la perception directe de la vérité, dont l’éclat a été présenté à leurs âmes, par la divinité qui l’a révélée, et l’a faite briller aux yeux de leurs théosophistes ; c’est pour la possession de ce bien inappréciable, qu’enflammant le cœur des disciples qu’ils forment aux sciences, qui leur sont particulières, ils les appliquent à l’étude des discours sacrés, aux récits des histoires sérieuses, à la composition d’odes et d’épodes en vers, à la rédaction des problèmes et de· énigmes, et du certaines allégories pleines de sagesse et de vues profondes ; à quoi ils unissent le charme de la diction et la persuasion de l’éloquence : telles sont les études auxquelles ils les assujettissent dès leur plus tendre enfance. Ils ont certains Deuterotes (rabbins), car c’est ainsi qu’ils nomment ceux qui chez eux remplissent les fonctions d’interprètes (ἐξηγηταὶ) des saintes Écritures, qui développent et éclaircissent, sinon pour tous, au moins pour ceux qui sont propres à ce genre de connaissances, les obscurités qui se rencontrent dans les passages· énigmatiques. C’est dans cette pensée que le plus âgé d’entre eux, Salomon, a rédigé l’exorde de ses proverbes, déclarant en quelque sorte qu’elle avait été pour lui la cause de cette publication. Il dit donc : « Tout homme ayant besoin de connaître la sagesse et la science, d’orner son esprit des discours de la prudence, de s’initier dans la marche contournée des formes du langage, de concevoir la véritable justice et de régler son jugement ; afin de donner, dit-il, la finesse aux âmes candides, le sentiment et l’intelligence au jeune âge, (j’ai composé ce livre). En entendant ces Proverbes, l’habile deviendra plus habile, et l’homme doué de pénétration acquerra la science du gouvernement : il comprendra la parabole et le discours mystérieux, les sentences des sages et les énigmes. » Telles sont les promesses qui sont données dans cet ouvrage ; et en effet, quiconque mettra du prix à connaître en détail les propositions qu’il renferme, les solutions qu’il donne, la logique pratique, spéciale à la sagesse et à la langue des Hébreux, qui y est enseignée ; logique qui se retrouve dans tous les écrits des prophètes, obtiendra la fin qu’il se propose, en lisant attentivement et à loisir ces écrits. Que s’il veut, de plus, acquérir la pratique de cette langue, il découvrira en l’étudiant, jusqu’à quel degré les hommes barbares se sont montrés logiciens, sans céder en rien dans leur propre langue, aux sophistes ni aux orateurs. Il découvrira encore dans leur livre, des poésies cadencées, entre lesquelles se distinguent la grande ode de Moïse, et le psaume 118 de David, qui sont écrits dans le mètre dit héroïque, par les Grecs ; ils les considèrent, en effet, comme des hexamètres, étant formés de 16 syllabes : leurs autres rythmes mesurés peuvent être comparés, en tant que leur langue s’y prête, aux vers trimètres et tétramètres ; mais ceci n’a de rapport qu’à la forme du langage. Quant à la force de raisonnement, et à la profondeur de la pensée, elles sont telles, qu’on ne saurait l’attendre des hommes : on y lit, en effet, les oracles de Dieu et de la vérité elle-même, les prédictions et les avertissements sur l’avenir y sont renfermés, aussi bien que les enseignements les plus pieux et les véritables doctrines sur la nature des choses. Je vous offrirai une preuve de l’exactitude logique de ces hommes, par la rectitude qui a présidé à l’imposition de noms aux choses, parmi eux ; et ce qui va suivre vous donnera toute facilité de vous en convaincre, par l’accord qui règne entre Platon et ces mêmes hommes, en ce qui concerne l’étude étymologique : j’aurai donc recours à son témoignage.

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