Préparation évangélique

LIVRE XI

CHAPITRE XXVIII
DE PORPHYRE SUR LE MÊME SUJET

« Voici, par exemple, un raisonnement de Platon qui parait très fort pour prouver l’immortalité de l’âme ; c’est celui des semblables. Si, en effet, l’âme est semblable à l’être divin, immortel, invisible, qui ne se réduit point en atomes, que rien ne peut dissoudre, existant par lui-même et se maintenant dans son incorruptibilité ; comment ne serait-il pas le paradigme du genre auquel elle appartient ? En effet, quand de deux extrêmes évidemment contraires, tels que l’être raisonnable et l’être irraisonnable, on se demande à quelle partie appartient une telle chose, il n’y a qu’un seul et unique mode de démonstration, celui de faire voir auquel des deux contraires, la chose en question est semblable. Ainsi, encore que tout le genre humain, dans le premier âge et une très grande partie des hommes jusqu’à l’âge avancé, commettent de nombreuses fautes qu’on doit attribuer à la déraison ; néanmoins, dès lors qu’il porte en lui des traits de ressemblance nombreux avec l’être purement raisonnable, cela suffit pour nous prouver qu’il est du genre des êtres raisonnables. Car puisque nous savons que tout ce qui fait partie des dieux, en tant qu’il est divin, est évidemment sans mélange et exempt de détérioration, que d’une autre part nous avons la certitude que tout ce qui est terrestre reçoit les atteintes de la division et de la dissolution ; la question étant faite de savoir auquel des deux appartient l’âme, et à quelle partie on doit l’attribuer, Platon a cru découvrir la trace de la vérité, d’après sa ressemblance. Or, puisque l’âme ne ressemble en aucune manière à ce qui est mortel, soluble, sans intellect, étranger à la vie, et par suite tangible, sensible, naissant et mourant ; et comme au contraire, elle a une ressemblance certaine avec ce qui est divin, immortel, invisible, intellectuel, vivant et allié à la vérité, et tout ce que le philosophe énumère· des qualités de l’âme ; il a semblé contraire au raisonnement d’accorder à l’âme toutes les autres ressemblances avec Dieu, et de vouloir lui refuser la parité d’existence, au moyen de laquelle, seulement, tous les autres dons sont des bienfaits. Car, ainsi que les choses différentes de Dieu par leur action virtuelle, sont par cela même étrangères à son essence constitutionnelle, aussi est-il conséquent de dire que ce qui participe d’une manière quelconque à son activité, a dû préalablement posséder une existence pareille à la sienne. C’est donc seulement d’une telle existence que de tels actes peuvent procéder, comme les ruisseaux découlent de leur source, comme les rameaux sortent de leurs troncs. »

Boéthus ayant essayé de rétorquer la force de ce raisonnement, écoutez de quelle manière. Porphyre débute dans la réponse qu’il lui a faite :

« Ce n’est que par de longs discours et des circonlocutions multipliées, que le philosophe qui en formerait l’entreprise viendrait à bout de démontrer que l’âme est immortelle et qu’elle est placée, par sa nature, au-dessus de toute destruction ; mais il n’aura pas besoin d’une vaste argumentation pour établir que, de tout ce qui est en nous, l’âme a le plus de rapport avec Dieu, non seulement à cause de cette activité constante et infatigable qu’elle exerce sur nous ; mais surtout à cause de l’intelligence qui est en elle. C’est cette considération qui a porté le physicien de Crotone (Pythagore), à dire que l’âme étant immortelle, l’inertie était un état contraire à sa nature, aussi bien qu’elle l’est, pour les corps divins (célestes). Et quiconque donnera une attention sérieuse à l’étude de l’âme, vue idéalement et en elle-même, et surtout à l’entendement qui domine en elle, en voyant ces actes si multipliés de volition, ces désirs si impétueux et si souvent répétés, y découvrira une ressemblance très sensible avec Dieu. »

Il ajoute plus bas : « Si, de toutes les choses connues, l’âme est ce qui manifeste la plus grande ressemblance avec Dieu, qu’est-il besoin d’autres raisonnements pour prouver son immortalité : ce qui est le thème que nous nous sommes posé ? Et ce seul argument, ajouté à tant d’autres, n’est-il pas suffisant pour convaincre les gens de bonne foi, que si l’âme n’était pas d’essence divine, elle n’entrerait pas en partage avec la divinité, d’actes qui ne conviennent qu’à celle-ci ? Si, en effet, quoique enfouie, dans un réceptacle mortel, soluble, sans intelligence, qui, considéré en lui-même, n’est qu’un cadavre, dont chaque moment avance la destruction, et est un pas vers le changement qui se termine par le néant : si, dis-je, dans cet état, elle le fait ce qu’il est, et le conserve ; si elle donne des signes évidents de son existence divine, obscurcie qu’elle est, et empêchée par cet entourage de destruction et de mort ; si, par la pensée, on la séparait, comme un lingot d’or, de toute la boue qui la couvre, ne suffirait-elle pas pour nous montrer, d’elle-même, son véritable aspect qui n’a de ressemblance qu’avec Dieu ? Mais même dans son état de mortalité (qui n’a lieu que tant qu’elle est emprisonnée dans un corps mortel), par sa participation avec la divinité, par la similitude d’origine qu’elle conserve dans l’énergie qui lui est propre, et que tant d’entraves ne viennent pas à bout d’éteindre ; ne donne-telle pas à connaître que son essence n’a rien de commun avec la destruction ? »

Plus bas, il ajoute :

« L’âme paraît, avec raison, divine, lorsqu’on voit sa ressemblance avec ce qui n’admet pas de partage. Elle semble mortelle par les points de contact qu’elle a avec une nature, mortelle. Elle descend et remonte ; elle a tantôt l’apparence mortelle ; puis elle ressemble aux immortels. D’une part, on voit l’homme gourmand, qui n’a pas d’autre occupation que la bonne chère, ainsi que les brutes ; de l’autre, est l’homme qui, dans les dangers de mer, sauve du naufrage, par sa science, le navire prêt à périr ; celui qui, dans les maladies, est capable de rappeler le malade à la santé ; celui qui, découvrant la vérité dans les sciences, a donné des méthodes qui assurent nos connaissances ; l’inventeur des signaux par le feu, l’observateur des horoscopes ; le mécanicien qui imite les œuvres du créateur. L’homme a, en effet, pénétré, d’ici-bas, les révolutions combinées des sept planètes, au point d’en copier les mouvements, en imitant ce qui se passe dans le ciel. En révélant l’intelligence divine, semblable Dieu qui réside en lui ; combien l’homme n’a-t-il pas conçu de pensées· sublimes qui montrent une audace olympienne, divine et nullement mortelle ? Mais la multitude, par son égoïsme et le penchant qui l’entraîne en bas, devenue incapable de démêler le génie qui l’éclaire ; et, en le comparant aux phénomènes extérieurs, s’est persuadée qu’elle devait lui donner, ainsi qu’à ceux-ci, une existence mortelle. Elle trouve, là-dedans, l’unique moyen de se faire une illusion consolante pour sa dépravation et de se persuader que tout est semblable dans les hommes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, en s’appuyant sur l’infériorité résultant de notre débilité, manifestée par les apparences externes. »

Moïse se montre comme le maître de toutes ces doctrines, lorsque, faisant le récit de la création de l’homme dans les termes qui ont été rapportés, il a établi avec certitude les preuves de l’immortalité de l’âme, sur sa ressemblance avec la divinité. Cependant, après avoir fait voir l’accord d’expression· et de pensées entre Moïse et Platon, sur l’essence incorporelle· et invisible, il est à propos de passer en revue les autres parties de la philosophie platonicienne, pour montrer combien son chef était, en tout point, uni d’amitié et de principes avec les Hébreux, excepté lorsque, parfois détourné de sa route, il a été amené à proférer des paroles plutôt humaines que vraies. Je me propose donc de retracer dans un ordre convenable, d’abord ce qui a été heureusement énoncé par ce philosophe, d’accord avec les dogmes de Moïse, puis, ce qu’il a proposé de · son chef, en opposition à Moïse et aux prophètes, et qui ne saurait soutenir la discussion. En conséquence, après avoir fait voir l’harmonie et l’unanimité entre eux, pour ce qui concerne l’intuition des substances intellectuelles, il est temps de revenir à l’exposition des êtres physiques et sensibles, en parcourant rapidement les traits de ressemblance qui existent entre les Hébreux et lui.

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