Préparation évangélique

LIVRE XIII

CHAPITRE III
TIRÉ DU DEUXIÈME LIVRE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE MÊME SUJET ET SUR CE QUE DIEU N’EST PAS CAUSE DE MAL (Platon, 2e de la Rép. p. 429 de Ficin, 377 de H. Et.)

« Dans les plus grandes fables, lui dis-je, nous retrouverons les moindres ; car un seul et même type doit les signaler, et les grandes doivent exercer un pouvoir semblable à celui des petites. Ne le pensez-vous pas ?

« Je le pense, en effet, lui répondis-je ; mais je ne comprends pas quelles sont ces grandes fables, dont vous voulez parler.

« Ce sont celles, lui repartis-je, que nous tenons d’Hésiode, d’Homère et des autres poètes, lesquels, en composant des fables mensongères pour les hommes, les leur ont dites et les répètent encore.

« Mais quelles sont-elles, encore une fois, ces fables, me dit-il, et qu’avez-vous à leur reprocher ?

« Ce que je dois d’abord, et avant tout leur reprocher, continuai-je, c’est surtout de ne pas mentir dans un bon esprit.

« Qu’est-ce que cela veut dire ?

« Quand, par exemple, se proposant de nous tracer une image des Dieux ou des héros, dans un langage qui nous les dépeigne tels qu’ils sont, ils donnent une fausse idée de leur manière d’être, ainsi qu’un peintre qui ne saisirait pas la ressemblance de ceux dont il entreprend de faire le portrait.

« Je conviens, dit-il, qu’on est fondé à leur adresser des reproches, en pareil cas. Mais comment dirons-nous qu’il en soit ainsi, et quelles sont ces fables ?

« D’abord, lui répondis-je, le plus grand mensonge, et qui tire le plus à conséquence, est celui par lequel Hésiode a dit qu’Uranus avait fait les actions qu’il lui attribue, lorsque Saturne le châtia. Quant à celles de Saturne et à la manière dont il en fut puni par son fils, quand bien mêmes elles seraient vraies, je ne pense pas qu’on eût dû les rapporter aussi librement à des gens sans jugement et dans la première fougue de la jeunesse. On aurait dû, avant tout, les tenir sous le sceau du secret, ou s’il était nécessaire de les divulguer, ce devait être sous la forme mystique, en sorte qu’elles fussent entendues par le plus petit nombre possible d’adeptes, qui dans ce cas auraient immolé, non pas un porc ; mais quelque grande et introuvable victime, de manière à restreindre considérablement le nombre des auditeurs.

« Je conviens, reprit-il, que ces discours ont de graves conséquences.

« Tellement graves, ô Adimante, lui dis-je, qu’on ne doit jamais les faire entendre dans notre république. On ne devra jamais dire, en présence d’un jeune homme, qu’il n’est pas étonnant de voir commettre les plus crimes, fût-ce celui d’un fils qui châtierait un père coupable, avec la plus extrême violence ; puisqu’il ne ferait que copier l’exemple qu’il tient des premiers et des plus grands des Dieux.

« Non, par Jupiter, interrompit-il, de semblables récits ne me semblent nullement utiles à faire.

« Ni cela non plus, continuai-je, à quelque prix que ce soit : savoir que les Dieux se font la guerre entre eux, qu’ils se dressent des embûches, et s’attaquent corps à corps. D’abord, parce que cela n’est pas vrai. Puis, parce que nous avons reconnu que ceux qui veillent aux destinées de l’état, doivent considérer comme la chose la plus honteuse, de se livrer entre soi, et pour des causes légères, à des ressentiments implacables, tant s’en faut qu’on doive raconter les guerres des Dieux avec les géants, en nous donnant même des explications ornées de ces récits, aussi bien que toutes les inimitiés si nombreuses, si diverses des Dieux et des héros contre leurs proches et leurs alliés d’origine. Ce que nous devons dire, dès le principe, aux jeunes gens, ce qui doit leur être inculqué sans cesse par les vieillards des deux sexes et les hommes faits, si on doit leur persuader quelque chose, c’est qu’un citoyen ne doit jamais exercer d’inimitié contre son concitoyen. Ce sont de tels enseignements, que nous devons forcer les poètes à mettre en honneur. Les chaînes de Junon, la chute de Vulcain, précipité par son père, lorsqu’il voulait prendre la défense de sa mère maltraitée, et tous les combats des Dieux, qu’Homère a immortalisés dans son poème, doivent être bannis de notre cité ; soit qu’on les chante allégoriquement, soit qu’on les rapporte sans allégorie.

« L’adolescent, en effet, n’est pas en état de juger ce qu’est une allégorie et ce qu’elle n’est pas ; mais toutes les opinions qu’on se forme à cet âge sont celles dont on a plus de peine à déprendre et à purger son esprit. C’est pour cette raison qu’on doit tout mettre en œuvre pour que les premières instructions qui frappent leurs oreilles ne soient prises que dans la plus saine mythologie et n’inspirent que la vertu.

« Ce que vous dites là, reprit-il, est de : la plus exacte raison ; mais si l’on nous demandait quelles sont ces instructions, et de quelles fables elles émanent, que répondrions-nous ?

« Je vous l’ai déjà dit, Adimante, ni vous ni moi pour l’instant ne sommes poètes, nous ne sommes que fondateurs d’une république, et il suffit pour un tel rôle de savoir d’après quels modèles il doit être permis aux poètes de composer leurs fables ; et s’ils viennent à s’écarter de ces règles on doit leur interdire absolument de le faire. Pour nous, il ne nous convient pas d’être poètes.

« Vous avez bien raison, dit-il, mais ce que vous dites, qui doit servir de modèle en parlant des dieux, comment le définissez-vous ?

Ces modèles, repartis-je, doivent être semblables à Dieu, et quiconque veut le chanter, soit dans l’épopée, soit dans la poésie lyrique, soit même dans la tragédie, doit toujours se référer à ce modèle.

« Il le doit en effet, dit-il.

« Ainsi, Dieu est bon par excellence, il faut donc le montrer tel.

« Comment cela ne serait-il pas ?

« Cependant il est de fait que rien de ce qui est bon ne peut chercher à nuire. N’est-il pas vrai ?

« Il ne me semble pas qu’il en puisse être autrement.

« Ce qui ne cherche pas à nuire ne nuit pas.

« Aucunement.

« Ce qui ne nuit pas ne fait aucun mal.

« Cela ne se peut.

« Conséquemment ce qui ne fait aucun mal, ne saurait être la cause qu’un mal se fasse.

« Comment cela se pourrait-il ?

« Mais quoi ! le bon est-il utile ?

« Oui certainement.

« Il est donc cause du bien qui se fait ?

« C’est la vérité.

« Le bon n’est donc pas cause de toute chose, il l’est seulement de tout ce qui est bien comme il reste étranger au principe du mal.

« Absolument.

« Ainsi donc, lui dis-je, Dieu, par cela qu’il est bon, ne sera pas la cause de tout ce qui existe, comme le vulgaire le soutient : il sera cause pour les hommes d’un petit, nombre d’effets et restera étranger au plus grand nombre, attendu que, pour nous, les bonnes choses sont en moindre quantité que les mauvaises. Nous n’avons pas besoin de chercher une autre cause des bonnes choses, que Dieu ; comme nous devons en chercher de tout autres, des mauvaises : et non pas Dieu.

« Vous me paraissez parler avec la plus exacte vérité.

« On ne doit donc admettre ni d’Homère, ni d’aucun autre poète, cette offense qu’il s’est permise envers les dieux, en disant d’une manière insensée :

« que sur le pavé de Jupiter (Iliade, Ω, v. 527) deux tonneaux reposent qui contiennent nos destinées : l’un, les bonnes, l’autre, les mauvaises, et qu’à celui-ci Jupiter ayant fait les mélanges des deux sorts, puise tantôt dans les bons, tantôt dans les mauvais ; tandis qu’à tel autre, donnant sans mélange les mauvaises destinées, la cruelle Boubrostis le poursuit sur la terre sacrée. »

Ce n’est pas comme ordonnateur des biens ni des maux (Iliade, T, v 224) que Jupiter se montre à nous. Si l’on soutient que c’est à lui ou à Minerve qu’on doit attribuer la violation de la foi jurée et la rupture de la trêve dont Pandare (Iliade, Δ, v. 93) s’est rendu coupable, nous ne saurions y donner notre assentiment. Nous n’admettrons pas non plus la dispute des dieux, ni le jugement prononcé par Thémis et Jupiter ; nous ne consentirons pas davantage à ce qu’on permette aux jeunes gens d’écouler ces vers d’Eschyle :

« que Dieu fait naître des causes parmi les mortels lorsqu’il veut détruire une famille de fond en comble. »

Si l’on consacrait la poésie à exprimer les pensées renfermées dans ces iambes, en retraçant les malheurs de Niobé, ceux des Pélopides, les destins de Troie, ou tout autre pareil ; ou l’on devrait empêcher de dire qu’ils sont l’œuvre de Dieu, ou s’ils procèdent de lui, il faudra s’efforcer à rendre une raison à peu près semblable à celle que nous cherchons : on dira que Dieu, ne faisant que des choses justes et bonnes, ces adversités ont dû être utiles comme corrections à ceux qui les ont éprouvées. Mais représenter comme des infortunés ceux qui sont punis, en affirmant que c’est Dieu qui avait fait ces choses, voilà ce qu’on ne peut permettre à aucun poète de dire.

« Si l’on déclarait que ces mêmes hommes, en tant qu’ils étaient malheureux, avaient encouru le châtiment ; et que de méchants, ils étaient devenus meilleurs, sous l’éreinte des souffrances que Dieu leur avait envoyées : voilà ce qu’on peut permettre de dire. Mais prétendre que Dieu ait été pour qui que ce soit, l’auteur de ses infortunes, lorsqu’il est la bonté même : voilà des principes qu’on doit combattre par tous les moyens. Personne ne doit les produire dans votre cité, si elle est soumise à de bonnes lois : personne ne doit les entendre, fût-il jeune ou vieux, fussent-ils exprimés en vers ou en prose ; car si on les proclamait, non seulement on profanerait la sainteté du langage ; mais en même temps que ces doctrines ne sauraient être utiles, elles seraient contradictoires, se détruisant elles-mêmes.

« J’unis mon suffrage au vôtre pour qu’on fasse une telle loi, me répondit-il : et ce que vous dites-la me plaît fort.

« Voilà donc une des lois fondamentales concernant les Dieux, lui dis-je. Par elle, les orateurs comme les poètes, seront astreints à dire que Dieu n’est pas cause de tout ce qui se fait, mais seulement du bien.

Ce sera très bien comme cela. Quelle sera la seconde ?

« Ce sera celle-ci : Pourriez-vous croire que Dieu soit un prestidigitateur qui, comme s’il sortait d’une cachette, se montre tantôt sous une forme, tantôt sous une autre ; par moment restant le même, dans d’autres, variant son aspect sous une grande multiplicité de transformations ; nous abusant alors, et nous faisant croire de lui de telles choses, tandis qu’en d’autres conjonctures, il reste dans sa simplicité, et sans sortir le moins du monde de sa manière d’être ?

« Je ne puis maintenant vous rien dire à cet égard, me répondit-il.

« Mais quoi encore ? n’y a-t-il pas nécessité d’admettre que si quelqu’un sort quelquefois de sa propre nature, c’est par sa vertu ou celle d’un autre, que ce changement s’opère en lui ?

« C’est de toute nécessité.

Ainsi donc, les changements et la mobilité de formes occasionnés par les causes extérieures, atteignent le moins possible ce qu’il y a de plus parfait dans les êtres : citons pour le corps, l’action des aliments, des boissons, et des travaux auxquels il se livre ; pour les plantes, la contorsion causée par la force des vents et toutes les impressions dû dehors : aucune de ces choses n’altère en eux les organes vitaux les plus robustes.

« Comment cela pourrait-il être ?

« Or, l’âme étant la partie la plus mâle et la plus intelligente, il ne se peut qu’une impulsion externe la trouble et la modifie.

« Assurément.

« Mais même à ne considérer que les choses agrégatives, telles que les meubles, les édifices, les vêtements, n’est-il pas vrai, d’après le même raisonnement, que lorsqu’elles ont été élaborées avec soin, elles sont dans les meilleures conditions d’ensemble, elles éprouvent la moindre influence possible du temps et des autres agents de destruction.

« Cela est vrai.

« Ainsi, tout ce qui a les données d’existence les plus parfaites, soit comme effet naturel ou artificiel, soit comme dû à la réunion de ces deux causes, est aussi ce qui reçoit la moindre modification possible des autres.

« Cela me paraît exact.

« Cependant, Dieu et ses attributs, sont de toutes les choses les plus excellentes.

« Comment en serait-il autrement ?

« Il s’en suit donc que Dieu doit, moins qu’aucun être, avoir une grande multiplicité de formes.

« Bien moins, sans contredit.

« Serait-ce donc lui qui se métamorphoserait et se changerait lui-même ?

« Cela est évident ; si, en effet, il éprouve des changements.

« Est-ce en mieux et en plus beau, ou en pire et en plus laid qu’il se change ?

« Il est indispensable que ce soit pour être pire, si toutefois il change ; car jamais nous n’accorderons que Dieu soit en défaut sous le rapport de la beauté et de la vertu.

« Vous parlez avec la plus grande rectitude, lui répondis-je. Les choses étant telles, vous semble-t-il concevable, ô Adimante, que qui que ce solides dieux ou des hommes puisse volontairement se rendre pire qu’il n’est, sous un rapport quelconque ?

« C’est impossible, me dit-il.

« Il l’est donc, ajoutai je, que Dieu veuille se changer. D’après toutes les vraisemblances, étant ce qu’il y a de plus beau et de plus parfait, chacun des Dieux met tout en œuvre pour persévérer dans sa simple et première forme.

« Cela me paraît, répondit-il, de la plus absolue nécessité.

« Qu’aucun poète ne vienne donc nous dire, ô mon ami,

« que les Dieux (Homère, Odyssée, V, P. 425) ressemblant à des étrangers de divers pays, et se travestissant sous toutes les formes, parcourent les villes ; »

que personne ne vienne dire des choses fausses de Protée ni de Thétis : que soit dans les tragédies, soit dans tout autre genre de poème, personne n’introduise Junon sous la forme d’une prêtresse, venant recueillir les largesses des enfants magnifiques du fleuve Inachus qui arrose l’Argolide ; qu’on cesse de nous abuser par une foule de mensonges de ce genre ; que les mères, par une crédulité aveugle, n’effrayent plus leurs enfants, en leur racontant des fables méchamment inventées, dans lesquelles elles leur représentent certains dieux, comme rôdant pendant la nuit, sous le masque de nombreux étrangers de tout pays ; du peur qu’elles n’unissent au blasphème envers les dieux, le tort d’inspirer à leurs enfants de fausses terreurs.

« Non certes, s’écria-t-il.

« Mais ne se pourrait-il pas, lui repartis-je, que les Dieux, étant eux-mêmes et par essence immuables, nous fissent croire cependant qu’ils revêtissent ces formes bizarres pour nous tromper et nous entretenir dans l’illusion ?

« Peut-être, répondit-il.

« Mais quoi, lui répliquai-je, se pourrait-il que Dieu voulût user de mensonge, soit en parole, soit en action, en nous faisant apparaître des fantômes ?

« Je n’en sais rien, dit-il.

« Quoi, vous ne savez pas, répondis-je, que le mensonge, dans toute sa nudité, on peut le dire, est également en horreur à tous les Dieux et à tous les hommes.

« Comment dites-vous cela, m’observa-t-il ?

« Le voici, lui dis-je : c’est que se mentira soi-même, dans ce qu’on a de plus relevé, et pour les questions les plus importantes, c’est un acte que non seulement on ne commettra pas de gaîté de cœur, mais qu’on redoutera, par-dessus toutes choses, de se voir imputé.

« Je ne comprends pas bien, dit-il, où vous en voulez venir.

« Croiriez-vous donc, repris-je, que je prends un ton trop solennel, en soutenant que tous les hommes ont la plus grande aversion pour laisser leur âme mentir, ou admettre qu’on lui mente, sur l’essence véritable des choses ; et pour la laisser plongée dans une telle ignorance, que le mensonge s’identifie avec elle, et en prenne possession. Or, s’il en est ainsi, ne doivent-ils pas haïr cette disposition dans un être tel que Dieu ?

« Au plus haut point, me répliqua-t-il.

« Or, qui mériterait plus le nom de mensonge, que ce dont je viens de parler : l’ignorance de la vérité, qu’on altère, telle qu’elle est dans l’âme ? Car celle qui se manifeste par le discours n’est que l’image de ce qui se passe dans l’âme. C’est une empreinte, faite après coup, qui n’est pas un pur mensonge. N’est-il pas ainsi ?

« Oui, tout à fait.

« Le mensonge, pris dans sa nature, est donc non seulement abhorré des Dieux, mais des hommes.

« Cela me paraît ainsi.

« Mais quoi ! le mensonge qui ne réside que dans les paroles, peut-il être quelquefois assez utile pour ne pas encourir notre haine ? N’est-ce pas lorsqu’on l’emploie contre les ennemis, ou contre quelques-uns de ceux qu’on nomme amis, quand, par fureur ou par manie, ils essayent de faire quelque mal ? Alors, pour les en détourner, le mensonge est salutaire, comme remède. Également, dans les mythologies dont nous parlions tout à l’heure, par l’ignorance où nous sommes des choses anciennes, en donnant au mensonge la ressemblance de la vérité, ne ferons-nous pas une chose éminemment utile ?

« Les choses sont telles que vous le dites, répondit-il.

« Mais en Dieu, à quoi le mensonge peut-il être utile ? Serait-ce parce qu’il ignorerait les choses anciennes, ou qu’il voudrait donner à l’erreur une apparence de vérité ?

« Cela serait ridicule à penser, dit-il.

« Ce n’est donc pas en Dieu que le poète peut user de mensonge.

« Cela ne me semble pas possible.

« Serait-ce par la crainte des ennemis qu’il emploierait le mensonge ?

« Il s’en faut de tout.

« Serait-ce à cause de l’idiotisme ou de la démence de ceux qui lui sont dévoués ?

« Mais l’on ne peut supposer que Dieu chérisse des êtres stupides ou en démence.

« Il n’y a donc pas de motif pour lequel Dieu mentirait.

« Il n’y en a point.

« La nature des Démons et celle des Dieux ont donc le mensonge en aversion.

« Tout à fait, répliqua-t-il.

« Il s’en suit que Dieu est entièrement simple et vrai dans ses œuvres, comme dans ses discours : il ne se transforme point, n’abuse point les autres, soit par des visions, soit par des paroles, soit par des prodiges, soit par des songes, vrais ou faux, qu’il leur envoyé.

« Ce que vous dites-la, répondit-il, me paraît aussi fondé qu’à vous.

« Vous m’accorderez donc ce second type de la loi, pour ce qu’on peut dire ou célébrer en poésie, en parlant des dieux : savoir, qu’ils n’usent point de magie, en altérant leur manière d’être ; qu’ils n’ont recours au mensonge, ni en paroles, ni en actions, pour nous égarer.

« Je l’accorde.

« En louant donc, dans Homère, beaucoup d’autres morceaux, nous ne pourrons pas donner d’éloges à l’envoi du songe que Jupiter fait à Agamemnon. Nous n’applaudirons pas non plus à Eschyle, lorsqu’il fait parler Thétis sur ce qu’Apollon avait chanté dans la célébration de ses noces.

« Il avait donné en partage à mon heureuse maternité l’absence des maladies et la félicité des bienheureux. En disant ces choses, Pœon prédisait à mes enfants un bonheur digne des Dieux, et dilatait mon âme. J’espérais que la bouche divine de Phœbus était la source intarissable de l’art prophétique : et celui-là même qui a prononcé ces oracles est celui qui donne la mort à mon fils.

« Celui qui s’exprime ainsi sur le compte des Dieux excite notre indignation, et nous ne lui donnerons pas le droit de former des chœurs : nous ne permettrons pas que des hommes chargés de l’éducation de la jeunesse, lui inculquent ces doctrines ; si nous voulons trouver en elle des conservateurs de la patrie, qui fassent éclater leur piété envers les dieux, et soient divins autant qu’il est permis à l’homme de le devenir.

« Je vous accorde sans réserve, me dit-il, ces types pour les lois que nous devons faire. »

Voilà en quels termes Platon s’énonce ; mais vous ne trouverez nulle part dans toute l’Écriture des Hébreux, des fables honteuses semblables aux mythologies de la Grèce, non seulement à l’égard du Dieu suprême, mais en parlant des anges divins qui l’entourent, pas même au sujet des hommes qu’il a chéris. Ce type ou cette règle que Platon établit, que Dieu étant bon, tout ce qui émane de lui porte le même caractère, s’y retrouve partout. Aussi, l’admirable prophète Moïse ajoute-t-il au récit de chaque création particulière :

« Et Dieu vit que cela était bon. »

Puis en les récapitulant toutes, il applique la même formule à l’ensemble :

« Et Dieu vit toutes les choses qu’il avait faites, et il les reconnut bonnes par excellence. »

C’est un dogme constant chez les Hébreux, que Dieu ne peut être cause d’aucun mal.

« Si donc il n’a pas fait la mort, c’est qu’il ne se plaît pas à la destruction des êtres animés. Il avait créé l’univers pour qu’il continuât toujours d’être : les origines de cet univers étaient conservatrices ; ce fut par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde (Sagesse, 2,24). »

Aussi le prophète fait-il intervenir Dieu lui-même, adressant PC langage à celui qui s’était perverti par son propre choix :

« Je vous ai planté comme une vigne féconde, toute de bon plant : comment se fait-il que vous ayez tourné à l’amertume comme une vigne sauvage (Jérémie, II, 21) ?

Si cette Écriture dit quelquefois que les maux qui arrivent aux hommes vicieux viennent de Dieu, c’est par figure, et pour signifier que les maux que Dieu, dans sa bonté, inflige à ceux qui les ont mérités, ne sont pas pour leur perte, mais au contraire pour leur utilité et pour leur correction. C’est comme si un médecin passait pour créer le mal des malades, lorsque, pour leur salut, il leur présente des remèdes douloureux ou acerbes. Aussi, lorsque, dans l’Écriture sainte, il est dit que les maux qui affligent les hommes leur sont envoyés par Dieu, ou doit recourir à ce qu’a dit Platon, que Dieu n’avait fait que des choses justes et bonnes, et que s’il a fait ressentir à ceux qui le méritent, des afflictions, que les hommes considèrent comme adversités, ç’a été pour qu’ils tirassent avantage de leurs châtiments. Ce n’est pas Platon seul qui le veut ainsi. L’Ecriture des Hébreux dit également :

« Que le Seigneur châtie ceux qu’il aime : il frappe de verges tout fils qui lui est cher (Épître aux Hébreux, 12,6). »

Mais soutenir qu’il sont malheureux, parce qu’ils ont besoin de châtiment, et que c’est Dieu qui en est cause : voilà ce qu’on ne doit permettre à aucun poète de dire. Tout ce qu’on peut tolérer, c’est de dire que les méchants sont à plaindre, parce qu’ils ont besoin de châtiments, et qu’en leur en infligeant, Dieu se montre bienfaisant à leur égard. On doit donc s’opposer de toutes ses forces à ce que l’on vienne dire que Dieu est, pour qui que ce soit, cause du mal ; puisqu’il est la bonté même. Quant à ce que Dieu n’admet point de changement, la prophétie des Hébreux le lui fait déclarer par sa propre bouche :

« Parce que je suis votre Dieu et que je ne change pas. »

David s’écrie dans ses liturgies :

« Tous ils vieilliront comme un vêtement, vous vous en envelopperez comme d’un manteau, et ils changeront. Pour vous, vous êtes toujours le même, et vos années n’auront point de terme (Ps. 101,27) »

Si dans certains passages, ils font parler Dieu, le faisant apparaître sous la forme et avec les manières d’un homme, on doit dire que cela n’a aucune similitude avec les fables de Protée, de Thétis, de Junon, dans la mythologie des Grecs, ni avec cette fiction que les dieux rôdent la nuit en prenant la figure de beaucoup d’animaux étranges. Les Écritures des Hébreux introduisent aussi le Verbe de Dieu, se manifestant aux hommes ; mais c’est de même que Platon a dit, pour le bien de ses amis, lorsque, par démence ou idiotisme, ils entreprennent des actions mauvaises ; on doit, afin de les en détourner, employer comme un remède salutaire l’intervention de Dieu parmi les hommes. Et puisqu’il est constant qu’il n’y a point sur la terre de race d’animaux plus chère à Dieu que celle de l’homme : (elle lui est, en effet, unie par un rapport d’origine et de confraternité par le Verbe de Dieu, d’après lequel notre âme a été créée, douée naturellement de la raison) ; il était rationnel que le Verbe céleste prenant soin d’un animal qu’il aime, vînt procurer la guérison de toute cette espèce, lorsqu’un délire furieux et un mal exorbitant s’étaient emparés d’elle, à ce point, qu’elle ne connaissait plus Dieu qui est son père ; qu’elle avait perdu la notion de la nature spirituelle à laquelle elle est affiliée ; qu’elle niait la Providence divine qui conserve toute la création ; qu’enfin, elle en était presque venue à la dégénération de la brute. Voilà la cause pour laquelle, comme Sauveur et comme médecin, le Verbe est venu habiter parmi nous, sans cependant sortir de sa nature divine, et sans tromper les regards par une fiction mensongère ; conservant en lui ces deux réalités, d’être visible et invisible tout à la fois. D’une part, il se laissait voir comme un véritable homme ; de l’autre, c’était le Verbe de Dieu, exempt d’imposture, et n’abusant pas les sens de ceux qui le voyaient. Platon ayant dit qu’il lui paraissait que la divinité n’admettait pas le mensonge ; nous dirons que le Verbe de Dieu étant essentiellement simple et vrai en action comme en parole,

« ne se travestit point, ne trompe pas les autres, soit par les visions, soit par les discours, soit par des émissions de prodiges, soit par des songes vrais ou fallacieux. »

C’est comme médecin des âmes raisonnables, c’est en vue du salut de toute la race humaine, dont il avait entrepris la tâche, qu’il a réellement et non fictivement exécuté ses œuvres, nous donnant à tous l’amour et le retour sincère à son père par la science de la divinité, et par le véritable culte qu’il nous a enseignés. Nous bornerons là nos propres réflexions, et nous conclurons par ces mots du philosophe, qui nous semblent excellents à l’égard de ceux qui parlent autrement que nous :

« nous nous irriterons, et nous ne tolérerons pas qu’ils forment des chœurs, nous ne permettrons pas qu’on les charge d’être instituteurs de la jeunesse, dans laquelle nous devons trouver des conservateurs de la patrie, des hommes zélés pour le service de Dieu, et divins autant qu’on peut l’être. »

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