Préparation évangélique

LIVRE XIII

CHAPITRE XIV
QUE TOUT CE QU’A DIT PLATON N’A PAS ÉTÉ HEUREUSEMENT DIT, C’EST POURQUOI NOUS AVONS ADOPTÉ, DE PRÉFÉRENCE À LA PHILOSOPHIE DE CE GRAND HOMME, LES ORACLES DES HÉBREUX

Les oracles des Hébreux connus sous tes noms de λόγια, θεοπρόπια, χρησιμοί renferment les signes les plus évidents d’une puissance divine, supérieure à celle de l’homme, sont attribués avec raison à Dieu même, comme leur auteur : ils ont été crus comme annonces et prédictions d’événements à venir ; et la coïncidence des faits advenus depuis avec ces mêmes prédictions, les a placés au-dessus de toute suspicion de fraude. En effet, les prophéties émanées de Dieu sont pures comme l’argent éprouvé au feu, vérifié à la pierre de touche, et passé sept fois au creuset d’épuration (Psaume, XI, 7). Il n’en est pas de même des dogmes platoniciens, tant ceux émanés de Platon que ceux de ses disciples, qui n’ayant eu pour diriger leur intelligence que des yeux mortels, des conjectures vacillantes, des approximations vagues, et passant de la nature vraie des choses aux rêves de l’imagination, nous ont donné un ὄναρ au lieu d’un ὕπαρ. Ils ont introduit, en effet, un alliage considérable de mensonge dans la vérité primitive, au point de ne pouvoir démêler facilement la saine doctrine parmi les erreurs qui l’enveloppent. Par exemple, si vous vouliez tant soit peu retrancher de l’amour que vous vous portez, et que vous considérassiez la lumière par la puissance de votre logique, vous reconnaîtriez que cet admirable philosophe, le seul de tous les Grecs qui ait atteint les propylées de la vérité, a déshonoré néanmoins le nom de Dieu, au point de le prodiguer à une matière périssable des statues sculptées par des mains serviles, à la ressemblance de l’homme. Après avoir proféré cette grande et sublime parole par laquelle il s’efforçait de connaître le père et l’artisan de cet univers, il s’est précipité de cette élévation des voûtes célestes, dans le plus profond abîme de l’idolâtrie, en horreur à Dieu, avec la dernière populace d’Athènes ; au point de ne pas craindre de dire que Socrate était descendu au Pyrée pour y invoquer la Déesse, et pour être spectateur d’une fête barbare, célébrée pour la première fois alors par ses concitoyens ; de convenir que ce même Socrate avait ordonné d’immoler un coq à Esculape, et de désigner sous le nom d’interprète traditionnel (πάτριον ἐξηγητὴν) des Grecs, en le déifiant, le démon qui rendait des oracles à Delphes : ce qui nous autorise à lui imputer l’erreur où tombe la multitude la plus étrangère à la philosophie, l’erreur de la superstition. Reprenons notre discours de plus haut, et voyez comment ce sage accompli, après avoir établi la doctrine des idées incorporelles et impérissables ; après avoir fait connaître Dieu le premier en rang, et puis la seconde cause ; après avoir admis les substances intellectuelles et immortelles, a basé sa législation d’après les opinions les plus vulgaires, en disant :

« Quant aux autres Dieux, entreprendre d’en parler et d’en faire connaître la génération, c’est au-dessus de nos forces. Nous devons accorder confiance à ceux qui en ont parlé avant nous, puisque, ainsi qu’ils l’ont dit, ils étaient issus de ces mêmes Dieux. Il est impossible, en effet, d’être en défiance envers les enfants des Dieux, encore bien qu’ils nous parlent sans faire les démonstrations rationnelles qui seraient nécessaires ; mais d’accord avec la loi, nous devons nous montrer confiants pour ceux qui s’annoncent comme rapportant des histoires de famille. En conséquence, admettons et disons d’après eux, la génération des dieux ainsi qu’il suit : De la Terre et du Ciel, naquirent deux enfants, Océan et Téthys, de ceux-ci, Phorcys, Cronus et Rhéa, et tous ceux qui vinrent après eux ; de Cronus et de Rhéa, naquirent Jupiter, Junon, et tous ceux que nous connaissons sous la désignation de leurs frères ; puis ensuite, tous les descendants de ces mêmes Dieux (Timée, page 530. de Ficin. 40 de H. Et..) »

Devons-nous excuser le philosophe, au sujet de ce qu’il a pu dire en singeant les généalogies mythologiques des poètes ? certes, il ne parlait alors ni comme philosophe, ni d’accord avec lui-même. Entendons comment il s’exprime dans la République : » (Livre 2e de la Républ., p. 429 ; de Ficin, 377. de H. Et.)

« Dans les plus grandes fables, nous verrons les plus petites, car leur caractère doit être identique, et conserver la même puissance dans les plus grandes comme dans les moindres. Ne le pensez-vous pas ?

« Je le pense, dit-il ; mais je ne comprends pas bien ce que vous entendez par les plus grandes fables.

« Celles qu’Hésiode et Homère, dis-je, nous ont rapportées ainsi que les autres poètes. Ceux-ci, en effet, composant des fables pleines de mensonges pour le vulgaire, nous ont dit et répètent ce que nous avons rapporté plus haut. »

Ce qui va suivre est encore de lui :

« Nous effacerons donc, lui dis-je, de son épopée, pour commencer, toutes les pensées semblables à celle-ci. »

Je préférerais infiniment, simple valet de charrue, servir près d’un maître. (Liv. 3 de la République., p. 432. de Ficin. 396 de H. Et. »

Et ce qui vient après, qu’il termine ainsi :

« Nous prierons donc Homère et les autres poètes, de ne pas nous représenter Achille, fils d’une déesse, couché sur le dos et se roulant tantôt sur un côté, et tantôt sur l’autre. » (Ibid. 433. de Ficin. 388 de H. Et.)

Et tout ce qui suit.

A quoi il ajoute :

« Ou bien Jupiter, qui, seul éveillé entre tous les autres Dieux et les hommes, oublie tout-à-coup tous les projets qu’il avait formés, par l’effet d’un désir de luxure dont il est saisi à l’aspect de Junon ; au point de ne pas vouloir même se donner le temps d’aller dans la pièce la plus sécrète de son palais pour le satisfaire, mais de lui proposer de lui accorder ses faveurs dans ce lieu même et sur la terre, à la manière des alouettes, et disant que jamais sa passion n’avait été aussi forte ; pas même lorsque pour la première fois, à l’insu de leurs parents, ils s’étaient donné des rendez-vous ; ou Mars et Vénus enveloppés sous le filet de Vulcain ; ni rien de semblable (Ibid. 436 de Ficin. 340 de H. Et.). »

Puisqu’il a bien pu parler ainsi, pourquoi vient-il ensuite proférer cette sentence, que les poètes sont les enfants des Dieux, et qu’il est impossible de leur refuser sa foi, encore bien qu’il avoue que c’est sans donner aucune démonstration rationnelle et nécessaire de toutes les fables qu’ils ont forgées sur leurs Dieux ? Que signifie cette foi accorder sans raison, qui n’est dû qu’à la crainte du châtiment dont les lois menacent ? Comment admettre, pour premiers Dieux, le Ciel et la Terre, puis leurs descendants l’Océan et Théhys, Cronus et Rhéa, Jupiter et Junon, que les fables d’Homère et d’Hésiode font connaître, avec leurs frères et les enfants de tous ces derniers ; lorsque lui-même sape toutes ces choses par la base, en disant :

« Ce qu’on doit, lui dis-je, lui reprocher par-dessus tout, c’est d’avoir inventé des mensonges déshonnètes ?

« Comment ?

« Lorsqu’il retrace, par le discours, sous un jour fâcheux, les actions des Dieux et des héros ; comme pourrait le faire un peintre qui voudrait faire un portrait ressemblant, et qui n’emploierait pas les moyens convenables pour y parvenir. »

« Puis plus bas.

« D’abord, lui dis-je, le plus grand mensonge, comme je l’ai dit, est celui par lequel il en a vilainement imposé sur ce que Uranus a fait, au rapport d’Hésiode, et sur la manière dont Cronus l’en a châtié. »

Et (Platon. Livre 9e de la républ. p. 377 de H. Et. 530 de Ficin) ce qui suit : Or comment ces poètes, qui ne sont ici que des menteurs, ennemis de la vérité, sont-ils, après cela, appelés enfants des Dieux ? L’on peut excuser le philosophe, au sujet de ces contradictions, par la crainte de la mort, de la part des Athéniens, qui le portait à cette dissimulation : mais l’on doit honorer Moïse et les oracles hébreux qui nous offrent partout l’expression de la piété la plus pure, la seule véritable et exempte d’erreurs.

Voyons un autre sujet.

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