Préparation évangélique

LIVRE XIII

CHAPITRE XVIII
DU CIEL, DES FLAMBEAUX CÉLESTES ET DE L’OPINION ERRONÉE QUE PLATON EN AVAIT CONÇUE EN GÉNÉRAL. TIRÉ DE L’ÉPINOMIDE DU TIMÉE DU DEUXIÈME LIVRE DES LOIS ; PUIS DE LA DÉFENSE QUE MOÏSE AVAIT FAITE DE RENDRE UN CULTE AUX ASTRES ET DE LA MANIÈRE DONT PHILON LE JUIF L’INTERPRÈTE

Platon, après s’être exprimé en harmonie avec ce que pensent les Hébreux sur le ciel et sur ses phénomènes, nous faisant comprendre qu’ils ont eu un commencement d’existence, et qu’ils ont été créés par l’auteur de toutes choses ; qu’en conséquence, ils participent à la nature de la substance corporelle, qui est sujette à destruction ; néanmoins, et contrairement à la croyance des mêmes Hébreux, il impose, par ses lois, le devoir de les adorer, et de les considérer comme des Dieux. Voici ce qu’il en dit dans l’Epinomide :

« Qui donc, ô Mégilla, et vous Clinias, appellerai-je Dieu en lui marquant ma profonde vénération ? Ce sera, sans contredit, le Ciel qui a, plus que qui que ce soit, droit à être adoré de la manière dont le sont tous les autres dieux ou démons, et qui doit recevoir nos actions de grâces plus qu’aucun d’entre eux ; car nous avouerons tous qu’il est la cause première de tous les biens qui nous arrivent (Platon, Epinomide, p. 639. de Ficin. 977 de H. Et.) : »

ce à quoi il ajoute plus bas :

« Les Dieux visibles qui sont les plus grands, les plus dignes de nos hommages, qui étendent partout leurs pénétrants regards, en un mot les premiers, seront d’abord la nature des astres, et tout ce que nous sentons leur être uni d’existence. Après ceux-ci, et dans un rang inférieur, viennent les démons, race aérienne, en possession d’un troisième degré de puissance, qui sont intermédiaires entre les grands Dieux et nous, nous servant d’interprètes auprès d’eux. Ils doivent être honorés par nos vœux, à cause de cette bienfaisante intervention (Platon, Epinomide, p. 702. de Ficin. 934 de H. Et.). »

Dans ces passages, il déclare Dieux ceux que nous venons de faire connaître et dont, dans le Timée, il développe la première cohésion et l’origine, en nous donnant l’explication tirée des lois de la physique dans les termes suivants :

« Ce qu’est le feu comparativement à l’air, l’air l’est comparativement à l’eau. Ce qu’est l’air à l’égard de l’eau, l’eau l’est à l’égard de la terre. Du rapprochement et de l’enchaînement de ces principes, est sorti le monde visible et tangible. Voilà de quelle manière, par le mélange de ces quatre éléments, s’est formé le corps du monde qui se maintient par l’équilibre. Il a contracté une telle amitié des principes dont il est né, que concentrant toutes ses forces en lui-même, tendant vers un même centre, il devient indissoluble pour tout autre que pour celui qui a su l’enchaîner (Platon Timée, p. 527. de Ficin. 38 de H. Et. Plus haut, Liv. 11, ch. 52). »

Ce à quoi il ajoute :

« Ayant placé au centre de l’univers l’âme, il l’a étendue à son ensemble, il l’a revêtue extérieurement d’un corps, enroulant les cercles sur les cercles, il n’a laissé vide que l’espace céleste (Platon, Timée, page 283 de Ficin, 36 de H. Et.). »

Plus bas encore il continue :

« C’est à cette détermination de la pensée divine, qu’est due l’origine du temps. Pour qu’il y eût un temps, il a fait le soleil, la lune, et les cinq autres étoiles qui ont le nom de planètes, afin de marquer la division des nombres qui composent le temps, et d’en perpétuer la durée. Dieu ayant donc fait les corps de chacun d’eux, les plaça dans les orbites qu’ils parcourent. Puis, ajoute-t-il, ces corps unis par des ressorts animés animés devenus des êtres vivants capables d’apprendre et faire ce qui leur était ordonné (Platon, Timée, 689. F. de Ficin, 38 de H. Et.). »

Dans le dixième livre des Lois, il parle ainsi de l’âme :

« En général, tout ce qui est en possession d’une âme, varie ayant en soi la cause de son changement : en variant, il est emporté d’après l’ordre et la loi du destin. Les moindres variation dans les mœurs accompagnent les moindres déplacements sur la surface du terrain, ceux qui en ont de plus fortes, tombent dans l’abîme (Platon, dixième des Lois, p. 672. de Ficin, 904 de H. Ficin.). »

Si tout ce qui est en possession d’une âme varie parce qu’il a en soi la cause de son changement, si le ciel, le soleil et la lune sont en possession d’une âme, comme le veut Platon, ils seront donc sujets à des variations, renfermant en eux la cause de leur changement, d’après son raisonnement. Or, comment peuvent-ils être éternels, et par conséquent Dieux, lorsqu’il est évident que leur corps est soumis à la destruction, et qu’ils peuvent être dissous ?

Voici ce qu’il dit encore dans le Timée :

« Puis donc que tous ceux qui ont un cours circulaire dans le ciel, et qui nous apparaissent ostensiblement sont des Dieux, ainsi qu’ils le veulent ; ils ont cependant eu un commencement d’existence. Aussi celui qui a engendré tout ce qui existe leur adresse-t-il la parole en ces termes : Dieux, fils des Dieux, dont je suis le créateur (δημιουργός) et le père, toutes vos œuvres resteront indissolubles par ma volonté, bien que tout ce qui est le résultat d’un enchaînement soit soluble ; toutefois, lorsqu’une chose est bien liée et utilement créée, vouloir la dissoudre, serait l’acte d’un être méchant ; c’est pourquoi, encore que vous ayez été engendré ; et ne fussiez pas nés immortels ; vous demeurerez à jamais indissolubles : rien ne pourra vous réduire en parties, vous ne serez pas soumis à la loi du trépas ; ma volonté est un lien plus puissant que ceux qui vous ont étreints, lorsque vous fûtes engendrés ; si elle se déclare en votre faveur (Platon, Timée), »

Tel est Platon. Moïse et les oracles des Hébreux sont bien plus fondés en raison, lorsqu’ils interdisent l’adoration des astres, et qu’ils nous défendent de les réputer des Dieux ; et lorsqu’ils ramènent nos adorations vers le Dieu ; roi universel, créateur du soleil, de la lune, des astres, de tout le ciel et de tout l’univers, qui par son Verbe divin, a enchaîné et disposé en ordre toutes ces choses : c’est le seul que nous devons tenir pour Dieu ; le seul à qui nous devons accorder un culte de latrie comme la loi nous le prescrit,

« Lorsque vous voyez, dit-elle, le soleil et la lune, tous les astres et tout l’ornement du ciel, n’allez pas vous livrer à l’erreur en les adorant (Deutér. 4, 19) ».

Philon, qui avait été élevé dans les doctrines des Juifs, en expliquant ce texte, va nous en éclaircir la pensée. Écoutez ses paroles,

« Quelques hommes se sont figurés que le soleil, la lune, et les autres astres étaient des Dieux tirant leur puissance d’eux-mêmes (αὐτοκράτορες) En conséquence, ils les ont représentés comme les causes de tout ce qui se passe dans le monde. Pour Moïse, l’univers lui paraît le produit d’une création ; c’est la plus grande des cités, qui a ses Archontes et ses sujets : les Archontes sont tout ce que nous voyons dans le ciel, les étoiles fixes ou errantes : les sujets sont ce qui occupe dans l’atmosphère un rang inférieur à la lune : les natures terriennes. Quant à ceux que je nomme Archontes, leur autorité n’est pas indépendante ? ce ne sont que des délégués (ὕπαρχοι) du père unique de toutes choses, dont ils imitent le gouvernement (ἐπιστασία) : surveillant continuellement pour ramener chacune des parties de création dans la droiture d’après la justice et la loi ; tandis que ceux qui ne voient pas le conducteur suprême assis sur son siège élevé, ont rattaché les causes premières à ceux qui sont au timon ; les considérant comme les auteurs primitifs de tout ce qui se passe dans le monde. Aussi, le plus saint des législateurs a dissipé leur ignorance en y substituant la science. En voyant, dit-il, le soleil, la lune, les astres et tout l’ornement du ciel, n’allez pas vous laissez induire en erreur au point de les adorer. Sans hésitation et de la manière la plus absolue et la plus noble, il qualifie d’erreur l’opinion de ceux qui admettent parmi les Dieux, les corps célestes. Ces hommes, en voyant les saisons se succéder dans l’année par la marche ascensionnelle ou rétrograde du soleil, ce qui soutient la vie des animaux, ce qui donne aux plantes les phases de leur végétation, en faisant naître les fruits aux époques marquées pour leur éclosion ; en voyant la lune suivre en subordonnée le soleil et lui succéder, exerçant une heureuse influence et une domination sur les heures de la nuit comme le soleil le fait sur celles du jour, en voyant les autres astres par l’effet de la sympathie qui les rapproche des habitants de la terre, produisant et effectuant une foule de choses qui contribuent à la conservation de l’ensemble, ils sont tombés dans cette erreur immense de supposer qu’ils sont les seuls Dieux. Si cependant ils s’étaient efforcés de marcher dans la voie de la vérité, ils eussent bientôt reconnu que, de même que la sensation est assujettie à l’intelligence, de même tous les corps sensibles sont les serviteurs d’une nature intellectuelle. »

Puis il ajoute :

« Dépassant par le raisonnement toute la substance visible, élevons nous jusqu’à la dignité de la substance invisible, dénuée de figure et que nous ne percevons que par l’entendement, qui non seulement est le Dieu de l’intellectuel et du sensible ; mais qui est encore le créateur de tout ce qui existe. S’il est un homme capable de ravir le culte dû à ce créateur éternel, pour le transporter à une créature dont l’origine est marquée par le temps, qu’on l’inscrive parmi les insensés comme atteint de l’impiété la plus complète. »

Tels sont les enseignements de piété que nous donnent les Hébreux, enseignements véritablement purs et divins, que nous avons préféré sans balancer à une philosophie orgueilleuse.

Mais à quoi bon prolonger cette agression contre Platon en mettant au jour ses autres erreurs, lorsqu’il est facile à chacun, d’après ce que je viens d’en citer, de se rendre le témoignage de ce que je passerai sous silence ? Je déclare que ce n’est par aucun esprit de dénigrement que je me suis livré à cette recherche : je suis plein d’admiration pour cet homme, qui est de tous les Grecs, celui que je chéris davantage et que j’honore le plus. Nul ne s’est plus rapproché et plus identifié par la pensée, avec les doctrines que je préférée ; encore qu’il ne s’y soit pas complètement conformé. Cependant, en le comparant à Moïse et aux prophètes Hébreux, j’ai dû faire voir combien il leur est inférieur par la force et la justesse de la pensée. Et certes, pour quiconque aurait eu envie de lui chercher dispute, il était facile de traduire au tribunal de l’opinion, une foule de choses telles que les vénérables et sages règlements à l’égard des femmes, contenus dans les livres de la République, et de faire voir comment, dans le Phèdre, il a essayé de donner une décence apparente à l’amour contre nature. Si vous désirez entendre de quelle manière il s’exprime sur ces questions, prenez son livre et lisez ses propres paroles :

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