Préparation évangélique

LIVRE XIII

CHAPITRE XXI
QUE LES LOIS PÉNALES PRONONCÉES PAR PLATON SONT INDIGNES DES NOBLES CONCEPTIONS DE CE PHILOSOPHE, ET NE PEUVENT ÊTRE MISES EN PARALLÈLE AVEC CELLES DE MOÏSE

« L’oracle que le Dieu aura prononcé sur les richesses et sur celui qui les aura déplacées, devra être mis à exécution par l’État en se conformant à la parole divine. Si celui qui l’a révélé est un homme libre, qu’il jouisse de sa réputation de vertueux ; si, au contraire, il a tenu ce fait secret, qu’il passe pour un infâme. Si le révélateur est un esclave, il serait juste qu’il fut mis en liberté par l’État, qui payerait à son maître le prix de sa rançon ; s’il n’a point fait connaître ce qu’il savait, qu’il soit puni de mort (Platon, onz. des Lois, p. 675 de Ficin, 914 de M. Et.). »

Vous voyez qu’ici Platon ne punit point de mort celui qui a déplacé un objet auquel la loi interdit de toucher ; mais celui qui n’a pas déclaré le crime d’un tiers. Puis d’un autre côté, il déclare pur le maître qui a tué son propre esclave dans un accès de colère.

Voici en quels termes ;

« Si un maître a tué son esclave, qu’il se purifie ; si dans un accès de colère il a tué un esclave qui ne lui appartenait pas, qu’il paye à son maître le double du tort qu’il lui a fait (Platon, 9e des Lois, p. 656 de Ficin, 666 de H. Et.)

Mais entendez-le lui-même dans l’établissement de ses lois pénales :

« Si quelqu’un d’une main homicide tue un homme libre, et que cet acte ait été amené sans préméditation, dans un accès de colère ; qu’il subisse les autres punitions qu’il aurait encourues, s’il l’avait tué sans être animé par la colère, et qu’il soit de plus banni forcément pendent deux années, pour châtier son irascibilité (Platon, 9e des Lois, 657 de Ficin, 867 de H. Et.). »

Il y ajoute immédiatement cette autre loi :

« Quiconque a tué dans sa colère, mais avec préméditation, qu’il subisse les autres punitions mentionnées plus haut, et que son exil s’étende à trois ans, comme l’autre en a subi un de deux ans ; réprimant par un plus long temps d’exil, le plus grand degré de sa colère (Platon, Ibid. 688 de M. Et.) »

« Ensuite il prononce la loi contre l’auteur d’un second meurtre.

« Après être rentré sur le sol de la patrie, si l’un des deux exilés après s’être déjà rendu coupable de meurtre, dominé par la colère, commet une seconde fois le même crime ; qu’il soit exilé à perpétuité. »

Plus bas il dit encore :

« Si ce qui arrive quelquefois, bien que rarement, un père ou une mère tuaient leurs fils ou leur fille par emportement, à force de coups ou d’une manière violente quelconque, ils devraient se soumettre aux mêmes purifications que les autres meurtriers, s’expatrier pendant trois années ; ces infanticides après leur retour ne devraient plus habiter, si c’est le mari avec sa femme, si c’est la femme,, avec son mari ; de manière à ne plus donner le jour à de nouveaux enfants (Platon, ibid. p. 658 de Ficin. 868 de H. Et.). »

Il ajoute encore :

« Si un homme, dans sa colère, a tué sa femme ou que celle-ci cédant à la même passion, ait tué son mari, ils doivent se purifier par les mêmes moyens expiatoires et être bannis pendant trois années. L’auteur de ce meurtre, à son retour, ne doit pas prendre part aux actes religieux de ses enfants, ni s’asseoir au même banquet qu’eux. Si un frère ou une sœur tue son frère ou sa sœur, par colère, qu’il se soumette aux mêmes actes purificatoires, et à un bannissement égal à ce qui a été pour les pères et les enfants ; que la même règle soit observée à l’égard de ceux qui ont privé les frères de leur frère, les parents de leurs enfants ; qu’ils ne puissent prendre part à leurs repas, ni s’associer à leurs sacrifices (Platon, ibid.)

« Si un frère tue son frère dans une émeute, où un combat aura été livré, ou en repoussant son agression d’une manière quelconque, qu’il me considère comme ayant tué un ennemi, et exempt de toute purification. Qu’il en soit de même lorsqu’un citoyen tue son concitoyen, ou un étranger tue un étranger, mais si un citoyen tue un étranger ou un étranger tue un citoyen, en se défendant ; que, dans tous ces cas, ils demeurent purs. Qu’il en soit ainsi d’un esclave envers un esclave. Mais si un esclave tue un homme libre, en se défendant, qu’il soit soumis aux mêmes lois que le fils qui a tué son père (Platon, 9e des Lois, p. 656 de Ficin. 360 de H. Et}.

Quiconque, de dessein prémédité et injustement, aura tué un membre de sa tribu, il sera d’abord exclus de tous les privilèges de la tribu, c’est-à-dire qu’il ne pourra fréquenter, ni la place publique, ni les temples, ni les ports, ni aucun des lieux de réunion, qu’il souillerait par sa présence, sans qu’il sait besoin que cet arrêt soit signifié ou non, par qui que ce soit, car la loi les lui interdit. Et quiconque ne le poursuivrait pas, lorsque sa position lui en fait un devoir, ou devant le dénoncer, ne le ferait pas, devra être repoussé par toute sa parenté. En second lieu le meurtrier sera justiciable de quiconque voudra venger sur lui le meurtre qu’il a commis (Platon, ibid. p. 459 de Ficin. 371 de H. Et).

La femme qui, par des embûches secrètes, cherchent à faire périr son mari., l’autre blessé, ou le mari qui aura fait la même chose à sa femme ; qu’ils soient exilés sans retour (Platon, ibid. p. 661 de Ficin. 377 de H. Et.)

Telles sont les lois du philosophe, si l’on veut leur opposer celles du Moïse. Écoutez de quelle manière il a réglé tout ce qui concerne les questions du meurtre.

« Si quelqu’un a frappé un individu de manière à le faire mourir, qu’il meure. Si c’est sans le vouloir, mais parce que Dieu le lui a remis dans les mains ; je te donnerai un lieu où pourra se retirer celui qui aura tué. Si quelqu’un tend des embûches à son prochain pour le tuer, par fraude, et qu’il cherche un asile, qu’on l’arrache de mon autel pour le faire mourir. Si deux hommes s’injurient, et que l’un des deux frappe son prochain, avec une pierre ou avec le poing, sans le faire périr, mais de manière à lui faire garder le lit, si, après sa guérison, cet homme peut se promener au dehors, en s’appuyant sur un bâton ; que celui qui l’a frappé soit innocent ; seulement il indemnisera le blessé du temps où il n’aura pu travailler, et des frais du médecin. Si quelqu’un frappe son esclave ou sa servante avec un bâton, au point de les faire mourir sous ses coups ; qu’il soit traduit en jugement. Si quelqu’un frappe dans les jeux son serviteur ou sa servante, de manière à les rendre borgnes : il les renverra libres, en échange de la perte de leurs jeux (Exode, XXI, 12 à 26). »

Telles sont les lois pénales de Moïse.

Écoutez maintenant en quels termes et de quelle manière Platon veut qu’on poisse accabler impitoyablement de coups un esclave.

« Lorsqu’on veut vendanger, soit une vigne, soit nu figuier, de bon plant, si l’on ne cueille que sur ses propres arbres, qu’on le fasse quand et aussi longtemps qu’on le veut. Que celui qui cueille sur des arbres qui ne lui appartiennent pas, conformément au proverbe, qui défend d’enlever ce qu’on n’a pas déposé, soit toujours condamné à une amende. Si c’est un esclave, qui fait cette action sans avoir obtenu le consentement du maître du terrain dépouillé, qu’il reçoive autant de coups de fouet qu’il a enlevé de grappes de raisin ou de figues (Platon, 8e des Lois. p. 689 de Ficin, 844 de H. Et.). »

Ces règlements, à l’égard des esclaves, sont indignes des nobles sentiments de Platon.

. Si vous voulez savoir combien les mesures législatives de Moïse sont plus grandes et plus humaines, écoutez-le dans la citation qui suit.

« Si vous entrez dans la vigne du prochain, mangez du raisin assez pour contenter votre âme ; mais vous n’en amasserez pas dans des paniers. »

.. Puis en suivant :

« Si vous entrez dans un guéret ensemencé appartenant au prochain, cueillez des épis à la main ; mais sans pouvoir mettre la faux dans la récolte du prochain (Deutér. XXIII, 25). »

Puis encore :

« Si vous faites la récolte des grains dans un champ qui vous appartient, et que vous ayez oublie une gerbe dans votre champ, ne retournez pas sur vos pas pour la reprendre ; elle sera au mendiant, au prosélyte, à l’orphelin ou à la veuve, afin que le Seigneur-Dieu vous bénisse dans toutes les œuvres de vos mains. Si vous faites la cueillette des olives, ne retournez pas pour chercher ce qui vous aura échappé : cela appartient au prosélyte, à l’orphelin et à la veuve (Deutér. XXIV, 19). »

On trouve ces lois dans Moïse.

Les préceptes de Platon sont clairs : la plupart, en les étudiant, vous paraîtront exempts de reproches. Acceptant donc ceux qui se distinguent, chez lui, par l’élévation des sentiments et par le mérite, nous repoussons bien loin tout ce qui n’a pas ce caractère. Toutefois, après avoir ainsi épuisé cette question, et après avoir rendu compte des motifs qui nous ont déterminés à ne pas nous ranger parmi les adhérents de la philosophie platonicienne, il est temps de conduire à son terme ce qui nous reste à dire pour accomplir notre tâche, et de donner un coup d’œil général aux autres sectes de la philosophie grecque.

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