Préparation évangélique

LIVRE XIV

CHAPITRE IX
DE PHILON SUCCESSEUR DE CLITOMAQUE, QUI LUI-MÊME AVAIT REMPLACÉ CARNÉADE. TIRÉ DU MÊME AUTEUR

« Voici donc ce Philon qui, venant de recevoir la direction de cette école, fut saisi d’une telle joie et voulut tellement en marquer sa reconnaissance à Clitomaque, qu’il exagéra toutes ses doctrines et fit une guerre à outrance aux Stoïciens. Toutefois, en prenant des années, l’ἐποχή, ou la réticence venant à s’user par la longue habitude, il n’eut plus les mêmes convictions. L’évidence et sa bonne foi prouvent qu’il sut se soustraire à ces mouvements passionnés ; et comme il avait reconnu la distinction à faire entre les perceptions, il désirait passionnément, vous savez pourquoi, avoir des adversaires à combattre : c’était afin de ne pas paraître tourner le dos et fuir de plein gré. Philon eut pour auditeur Àntiochus qui fut le fondateur d’une nouvelle Académie ; lequel, après avoir fréquenté l’école de Mnésarque, composa un livre contre Philon, son premier guide, et introduisit beaucoup d’opinions étrangères, dans l’Académie. »

Voilà ce qu’on a transmis à la mémoire des hommes sur la succession de Platon ; à quoi l’on pourrait ajouter un nombre infini de citations. Il est temps de remonter à l’origine de la philosophie, et que nous reprenions les philosophes nommés physiciens, pour reconnaître également leurs fausses doctrines et leurs contradictions. Après avoir parcouru une grande partie du globe dans l’espoir de découvrir la vérité qu’ils appréciaient par-dessus toutes choses, après avoir pris connaissance des opinions de tous les anciens habitants du monde, après avoir approfondi avec le plus grand soin toutes les traditions répandues chez les Phéniciens, les Égyptiens et les Grecs, concernant la divinité ; quel fruit ces hommes éminents ont-ils retiré de leurs efforts ? c’est d’eux-mêmes qu’il est précieux de l’apprendre, pour connaître jusqu’à quel point, ce qui leur était parvenu des hommes plus anciens qu’eux, porte le caractère d’un enseignement divin. Dans le principe et depuis un temps immémorial, la superstition du polythéisme régnait parmi les nations : toutes, elles conservaient traditionnellement les temples et les mystères en l’honneur des Dieux, au sein des villes et des campagnes. Or, le besoin de la philosophie ne se serait pas fait sentir aux hommes, si la théosophie ou sagesse émanée de la divinité, avait pris les devants : il n’eût pas été nécessaire que les sages introduisissent des études nouvelles, si tout eût été le mieux possible, pour nos ancêtres : les généreux philosophes n’auraient pas songé à se partager en factions et à s’attaquer réciproquement, si la doctrine héréditaire concernant les Dieux eût été unanime et véritable. Qu’eût-il été besoin, dans cette hypothèse, de combattre l’un contre l’autre, d’entreprendre de longs voyages dans les contrées supérieures et inférieures, d’errer dans les régions barbares, pour dérober à leurs habitants les traditions qui leur étaient particulières ; lorsque, en restant chez soi, on pouvait apprendre, soit des Dieux eux-mêmes, s’il en existait plusieurs, soit des théologiens de profession, les vérités irréfragables qui sont la matière des recherches philosophiques, et pour lesquelles ils ont enduré des souffrances sans nombre, tout en manquant complètement le but qu’ils s’étaient proposé : la découverte de la vérité ? A quoi bon oser entreprendre des investigations nouvelles sur les Dieux ; à quoi bon s’attaquer et lutter, comme des athlètes, si la connaissance sûre et solide des Dieux, si la science de la piété existaient réellement dans les initiations et les mystères et dans les autres pratiques de la théologie des premiers âges ; lorsqu’il était si facile de remplir tous les devoirs de cette piété immuable et avouée unanimement ? Si, au lieu de cela, il semblait qu’ils n’eussent rien appris de leurs devanciers, sur l’essence divine, qui eut un caractère de vérité incontestable, et qu’ils fussent plutôt dirigés par des conjectures que par une véritable compréhension, dans les idées particulières qu’ils s’étaient formées, en se livrant à l’étude et à la recherche de la nature : n’est-on pas forcé de confesser que la vieille théologie des nations ne contenait rien de plus que le compte que nous en avons rendu, dans les livres qui ont précédé celui-ci ? Quant à ce que la philosophie en honneur chez les Grecs ne se composait pas d’autres choses que de conjectures humaines, d’une dispute de mots sans fin et d’incertitudes, au lieu d’être le fruit d’une conception approfondie ; il est facile de l’apprendre par la lecture de la lettre de Porphyre à l’Égyptien Anebon, qui en l’ait l’aveu dans les termes que vous allez entendre.

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