Préparation évangélique

LIVRE XIV

CHAPITRE XVI
OPINIONS DES PHILOSOPHES SUR LES DIEUX. TIRÉ DE PLUTARQUE (Plutarque, Des opinions des philosophes, livre I, ch. 7)

« Quelques philosophes, comme Diagoras de Mélos, Théodore de Cyrène. Euhemère de Tégée, disent nettement qu’il n’y a pas de Dieu. Quant à Euhemère, Callimaqne de Cyrène, le fait connaître sans le nommer dans des iambes. Euripide, le poète tragique, n’a pas voulu se dévoiler parce qu’il craignait l’Aréopage ; mais il s’est fait comprendre de la manière suivante : Il a introduit sur la scène, Sisyphe, comme ayant le premier mis cette opinion en avant. »

Après cela, Plutarque amène Anaxagore, en disant que c’est lui qui, le premier, a conçu une opinion juste de Dieu. Voici en quels termes :

« Anaxagore a dit :

« Dans le principe les corps étaient en repos et dans la confusion ; mais l’esprit de Dieu les a mis en ordre, et a fait éclore les générations de tous les êtres. »

Platon soutient, au contraire, que les premiers corps n’étaient pas dans l’inertie, mais qu’ils étaient mus d’une manière désordonnée ; c’est pourquoi il dit que Dieu, ayant la connaissance que l’ordre était meilleur que le désordre, les a soumis à un arrangement d’ordre. »

Plutarque ajoute :

« Tous les deux sont dans l’erreur, en ce qu’ils ont admis que Dieu se préoccupait des choses humaines, et que c’est dans l’intérêt de l’humanité qu’il avait créé l’ordre de l’univers. Cependant l’animal, essentiellement heureux et impérissable, étant plein de tous les biens et exempt de toute apparence de mal, uniquement attentif au maintien de son bonheur et de sa propre immutabilité, est totalement étranger aux affaires humaines. Il serait bien à plaindre, en effet, si, semblable à un manœuvre ou à un artisan, gémissant sous le fardeau, et troublé de préoccupations d’esprit, il devait se livrer au maintien du système de l’univers. Et de plus, le Dieu dont ils parlent, ou n’existait pas dans la première durée des siècles, soit lorsque les corps étaient dans l’immobilité, soit lorsqu’ils étaient soumis à un mouvement désordonné, ou bien il dormait, ou il était éveillé, ou il n’était dans aucune de ces situations. Or, on ne saurait admettre la première hypothèse, Dieu étant éternel. La seconde ne l’est pas davantage ; car si Dieu avait dormi de toute éternité, il serait mort : la mort n’étant pas autre chose qu’un sommeil éternel. D’ailleurs l’idée du sommeil est inconciliable avec celle de Dieu ; car l’immortalité, telle qu’elle est en Dieu, est séparée infiniment de l’état le plus voisin de la mort : le sommeil. Cependant si Dieu était éveillé, ou bien il manquait quelque chose à son bonheur, ou il était complètement heureux. Dans la première supposition Dieu n’est pas heureux ; car celui au bonheur duquel il manque quelque chose, n’est pas heureux. Dans la seconde supposition il ne l’est pas davantage ; car celui qui ne manque de rien, pourrait-il se livrer à des entreprises, sans un but utile ? Comment, s’il est un Dieu et que toutes les affaires humaines soient soumises à sa direction, voit-on prospérer ce qui est faux ; et ce qui est généreux et distingué, être en proie à l’adversité ? Agamemnon était, « à la fois, un roi excellent, et un lancier de la plus grande force » (Homère, Iliade, III, v. 179), et cependant il a péri dans le piège tendu par un adultère, et de complicité avec sa femme. Hercule, qu’on peut placer près de lui, après avoir délivré la société humaine d’une foule d’obstacles à la félicité publique, n’a-t-il pas été également victime, par surprise, du poison que Déjanire lui avait envoyé ?

« Thalès nomme Dieu l’esprit de l’univers. Anaximandre nomme les astres, les Dieux célestes. Démocrite place Dieu dans le feu, et dit que l’âme du monde a une forme sphérique. Pythagore veut que Dieu soit la Monade ou l’unité des éléments, et le Bon, qui est la nature de l’unité et l’esprit lui-même. Quant à la Dyade infinie, elle renferme la divinité elle mal. C’est autour d’elle que se place la multitude matérielle, qui est l’univers visible. »

Après tous ces anciens, écoutez ce que les philosophes d’une époque plus récente ont professé à cet égard.

« Socrate et Platon disent, que Dieu est l’un, unique en substance, et procédant de lui-même. C’est l’unitaire par excellence, le Bon essentiellement tel. Toutes ces dénominations se confondent dans l’esprit. Dieu est donc l’esprit, une forme à part, ce qui n’admet aucune participation avec la matière, ce qui ne reçoit l’atteinte d’aucune souffrance.

« Aristote nomme le Dieu suprême une forme à part, élevée au-dessus de la sphère de l’univers, qui est le corps éthéré, le cinquième corps de sa classification. L’univers étant distribué en sphères qui s’enchaînent l’une à l’autre par leur nature ; mais qui, par la pensée, peuvent se séparer, il est d’opinion que chacune de ces sphères est un animal formé de l’union d’un corps et d’une âme : leur corps, tiré de la matière éthérée, se meut circulairement : leur âme, raison immobile, est, par son énergie interne, la cause du mouvement.

« Les Stoïciens, d’une manière plus vulgaire, soutiennent que Dieu est un feu artiste, marchant par la route qui mène à l’engendrement de l’univers, contenant en lui les germes rationnels, au moyen desquels tout s’opère d’après la destinée. C’est encore un souffle qui s’étend surtout l’univers, qui prend différentes dénominations, en raison des variations des matières avec lesquelles il est en rapport. Dieu, pour eux, est à la fois l’univers, les astres, la terre, et cet esprit qui réside dans l’éther, étant placé au point culminant de toutes les substances.

« Épicure donne à tous les Dieux une forme humaine, il les croit concevables par la pensée, à cause de la ténuité de la nature de leurs images. Le même admet quatre natures indestructibles, suivant leur genre. Ce sont les atomes, le vide, l’infini, les homœomeries, qui forment les éléments. »

Telles sont les divergences d’opinions, et les doctrines impies des philosophes, dits physiciens, dont l’exposé ci-dessus nous apprend que Pythagore, Anaxagore, Platon et Socrate, sont les premiers qui aient reconnu une intelligence suprême, qui préside à l’univers, qui est Dieu. Mais ces derniers sont tout à fait enfants d’après le calcul des temps, où l’histoire en fait mention, comparativement à l’antiquité des Hébreux. Ce n’était donc pas une notion très ancienne, parmi les Grecs qui, dans le principe, ont emprunté aux Phéniciens et aux Égyptiens le polythéisme, que cette reconnaissance d’un Dieu unique de l’ensemble des choses, qu’Anaxagore, le premier, puis ceux de son école, ont répandue en Grèce ; et malgré laquelle, la superstition qui admet les Dieux, en multitude, n’a pas cessé de régner sur toutes les nations. Cette croyance loin de contenir les dogmes d’une véritable théologie, n’était qu’un emprunt fait aux Phéniciens et aux Égyptiens, à qui tous les témoignages de l’histoire en font remonter l’origine. Cette erreur ne reconnaissait véritablement pas de Dieux, ni de puissances divines ; mais elle avait déifié des hommes, depuis longtemps morts et ensevelis ; comme nous l’avons démontré. Toutefois, reprenons le fil de notre examen ; et puisque nous avons fait voir que les philosophes physiciens faisaient tout dépendre des sensations, voyons ceux qui, par un excès contraire, niaient la vérité des mêmes sensations : savoir, Xénophane de Colophon et Parménide d’Élée. Ceux-ci soutenaient qu’on ne pouvait rien concevoir par les sens, et qu’on ne devait accorder sa foi qu’à la seule raison. Examinons en quels termes on a réfuté cette doctrine.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant