Préparation évangélique

LIVRE XV

CHAPITRE VI
DU MÊME CONTRE LE MÊME, LORSQUE CONTRAIREMENT AUX DOCTRINES DE MOÏSE ET DE PLATON, IL NIE QUE LE MONDE AIT EU UN COMMENCEMENT

Moïse ayant dit affirmativement que le monde avait eu un commencement, et ayant préposé, à l’ensemble des choses, Dieu comme créateur et comme architecte, Platon a enseigné les mêmes choses dans sa philosophie. Cependant, Aristote ayant pris une route contraire, il est de nouveau combattu à ce sujet par le même écrivain, dont voici les paroles :

« En portant ses regards sur l’origine de l’univers, Platon a d’abord pensé que le dogme de la Providence était de la plus haute importance et éminemment utile pour se rendre compte de tout le reste. Réfléchissant qu’une chose qui n’aurait point eu de commencement n’aurait besoin, pour obtenir la meilleure existence possible, ni de créateur, ni de surveillant ; afin de ne pas priver l’univers de Providence, il lui a dénié toute notion d’éternité, dans son principe. Nous demandons excuse à ceux de notre école qui viendraient nous porter obstacle, en soutenant qu’il leur avis, dans l’opinion de Platon, le monde est éternel ; car, en bonne justice, ils doivent nous pardonner, lorsqu’il s’agit de fixer les sentiments de Platon, si nous nous en rapportons de préférence à eux, aux expressions claires et précises que ce philosophe, grec de naissance, a adressées à ses auditeurs, grecs comme lui, dans ses dialogues.

« S’emparant, dit-il, de tout ce qui était visible, non dans un état de tranquillité, mais dans une agitation tumultueuse et désordonnée, Dieu ramena à l’ordre ce qu’il avait trouvé en désordre, dans la pensée qu’il valait beaucoup mieux que les choses fussent ainsi (Timée, page 527. de Ficin, 30 de H. Et. Voir supra, livre XI, chapitre 21). »

« Et pour prouver encore plus que ce n’est point symboliquement qu’il a admis la création, ni par le besoin d’être clair, il le montre dans le passage où il définit ce qu’il entend par le Père de toutes choses : après avoir terminé l’arrangement de l’univers, il s’adresse aux Dieux et leur dit :

« Vous n’êtes absolument ni immortels ni indissolubles ; néanmoins ; vous ne serez jamais dissous ; car telle est ma volonté suprême (Timée, page 530 de Ficin 41 de H. Et.). »

« Cependant, comme je le disais, mon dissentiment avec ceux qui partagent nos doctrines intérieures et nos affections, ne peut se régler que d’une manière amicale, avec calme et douceur, de part et d’autre. Mais il semble qu’Aristote a su les gagner à ses opinions, n’ayant pas la force nécessaire pour tenir tête à l’accusation qu’il intente au dogme de la création ; et cependant ne voulant pas infliger à Platon le blâme d’avoir été convaincu d’erreur. D’après notre manière d’entendre Platon, ce philosophe déclarant que le monde est l’œuvre la plus magnifique, exécutée par l’artiste le plus excellent, qui savait unir la puissance à la volonté créatrice ; il dit que c’est par elle que Dieu a fait le monde qui n’existait pas « parafant, et que l’ayant fait, il voudra toujours le conserver intact ; eu sorte qu’il soit à la fois créé et impérissable. Telle est sa manière de voir. Or, quel est celui des péripatéticiens qui déclare la même chose ? On doit d’abord observer à celui qui a pris leur défense, qu’il n’y a pas nécessité absolue, parce que quelque chose a pris naissance, qu’elle doive par cela se détruire un jour ; ce n’en est pas une, non plus, parce qu’une chose ne doit pas périr, pour qu’elle n’ait pas eu de commencement ; car on ne peut accorder que la même cause qui rend une chose impérissable, soit celle qui fait qu’elle existe de toute éternité ; de même qu’on ne peut admettre comme inévitable, la destruction de tout ce qui a eu commencement d’existence. Quel secours pourrions-nous donc espérer de rencontrer dans Aristote à ce sujet, lorsque ce n’est pas accidentellement ni par conviction intime qu’il argumente, en cela ; mais par un dessein bien arrêté d’être en opposition avec Platon ? En plaçant dans la nécessité de périr tout ce qui a eu un commencement, en voulant que l’indestructibilité soit l’apanage exclusif d’une existence sans principe, il ne laisse plus à Dieu, comme puissance, le moyen de faire aucune espèce de bien : il dit positivement que ce qui n’a pas existé-précédemment, ne pourrait jamais être ; et il est si éloigné de venir à l’appui des opinions de Platon sur cette matière, qu’il a déjà séparés de sa doctrine, en les ébranlant par ses sophismes, quelques-uns des plus sincères admirateurs de ce philosophe : ne leur laissant pas la faculté de discerner que, d’après la nature même des choses (dans la supposition qu’on la concevrait sans le concours de la volonté et de la puissance divine), il n’est pas vrai que ce qui a commencé, ne saurait être impérissable ; ni que ce qui ne devrait pas périr, fut impossible à créer. Cependant, lorsqu’on prépose à l’ensemble des êtres la plus parfaite de toutes les causes : celle qui procède de Dieu, doit on reconnaître que, sous un tel guide, elle puisse être inférieure à aucune autre de toutes les causes possibles ? Il serait donc ridicule de penser que, parce que quelque chose a commencé, par cette raison elle doit avoir une fin ; quand bien même Dieu ne voudrait pas qu’elle finît ; non plus que, parce que quelque chose n’a point en de commencement, elle possède en elle une force qui doive l’empêcher de s’éteindre ; tandis que la volonté de Dieu serait enchaînée pour ne point maintenir indestructible une chose qui a commencé d’être. L’architecte aurait été capable de construire une maison qui n’existait pas ; le sculpteur aurait pu faire apparaître une statue qui n’avait point de réalité auparavant ; le charpentier de navire aurait disposé des matières brutes de manière à offrir un vaisseau à ceux qui le lui ont commandé ; chaque artiste, dans son art, lorsqu’il possède la dextérité qui en crée les produits, aurait le pouvoir qui fait sortir une œuvre quelconque du néant ; et le roi suprême de l’univers, l’artiste par excellence, n’aura pas une puissance égale à la puissance humaine ; et tout appel à l’existence de ce qui n’existe pas, lui sera interdit ! Non, nous ne pouvons pas l’admettre, pour peu que nous soyons capables de réfléchir sur la cause divine. Dieu est en état de faire et de vouloir tout ce qui est bien, car il est bon ; or, un être bon ne porte envie à qui que ce soit, pour quoi que ce soit (Platon) ; et il serait impuissant pour maintenir et préserver de la destruction ce qu’il aurait fait ! Mais les autres artistes ont cette double possibilité ; car non seulement l’architecte et le constructeur de navires peuvent faire des vaisseaux neufs et des maisons neuves ; mais ils sont encore capables de restaurer les vaisseaux et les maisons que le temps a endommagés, en remplaçant les portions défectueuses. On doit donc accorder un pouvoir égal au Dieu de l’univers : ce qu’il peut faire d’ensemble, comment serait-il exclus de la faculté de le faire en détail ? A quoi bon des créations nouvelles, si le créateur ne pouvait conserver pour toujours les œuvres parfaites qu’il a créées ? Vouloir détruire ce qu’on a fait de bien, ne peut provenir que d’un créateur pervers, et il ne peut y avoir de chaîne plus forte pour le salut de ce qui a un principe d’existence, que la volonté de Dieu. Ne voyons-nous pas subsister pendant des temps infinis des choses qui ne procèdent que des efforts et de la volonté de l’homme, telles que les nations, les villes et les ouvrages de tout genre ; et cela sans une volonté supérieure qui les maintienne ? Et ce qui participe à la sagesse de Dieu, ce qui a été créé par lui et à cause de lui, se dissipera, s’évanouira sous les yeux du Dieu qui l’a fait ! Mais quelle sera donc la cause qui violentera la sagesse divine ? Dira-t-on que c’est la nécessité résultant de la création ? Mais cette nécessité a avoué sa défaite par la main de Dieu, du moment où elle s’est laissée soumettre à un ordre régulier. Quelle est hors de Dieu la cause qui puisse lutter contre Dieu ? Elle n’est ni ailleurs, ni dans les choses que Dieu a maîtrisées et réduites à l’ordre. Nous ne pourrions trouver de sa dignité de se laisser vaincre dans ces choses ; à moins de méconnaître tout à fait que nous discutons sur la puissance la plus irrésistible : celle de la divinité suprême. Nous craignons de passer pour avoir cédé à la chaleur de notre entraînement dans ce discours en faveur de la vérité ; toutefois ce que nous nous proposions de démontrer est toujours évident : savoir, que ceux qui ne reconnaissent pas au monde un commencement d’existence, ne sauraient être capables de donner des enseignements satisfaisants sur son existence a priori. »

Maintenant, nous allons citer un morceau du même auteur sur la cinquième essence introduite par Aristote.

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