Préparation évangélique

LIVRE XV

CHAPITRE X
DU SECOND LIVRE DE PLOTIN DE L’IMMORTALITÉ DE L’ÂME, CONTRE ARISTOTE QUI SOUTIENT QUE L’ÂME EST UNE ENTÉLÉCHIE

« Voici comme on peut raisonner sur la manière dont l’Entéléchie est dite de l’âme. On veut que l’âme, dans le compose, joue le rôle de forme, ainsi qu’est le corps animé, comparativement à la matière brute. Elle n’est pas la forme de tout le corps en tant qu’il est corps, mais en tant qu’il est doué d’une nature et d’une organisation particulières, et qu’il possède virtuellement la vie. Si, en poursuivant la comparaison que nous en avons faite, nous disons que l’âme est semblable à la forme de la statue, relativement au bronze ; il faudra donc, si le corps vient à se démembrer, que l’âme se partage avec lui, et que, avec le membre retranché, une portion d’âme soit aussi séparée du reste. Dans le sommeil, la retraite du corps lui sera interdite, si l’Entéléchie se produit et se développe simultanément avec ce dont elle est Entéléchie ; ou, à proprement parler, il n’y a pas de sommeil (c’est-à-dire séparation de l’âme d’avec le corps, suivant les opinions des anciens philosophes). Si l’Entéléchie existe, il ne peut y avoir de combat entre la raison et les passions ; car le tout est une seule et même chose dont les impressions sont communes, et qui ne saurait être en désaccord avec elle-même : de cette manière, les sensations seraient seules possibles ; quant aux pensées, elles seraient impossibles. Aussi font-ils intervenir une autre âme, sous le nom d’esprit (Νοῦς), qu’ils déclarent immortel. Il faut donc que l’âme pensante soit toute autre chose qu’une Entéléchie, ou, si l’on doit lui conserver ce nom, qu’elle reçoive une toute autre organisation. Ce n’est pas non plus l’âme sensitive, puisque cette âme conserve les traces des sensations passées : elle ne les aura donc pas avec le corps. Mais si elles ne sont pas traces, ce sont donc des formes et des images. Mais ces formes et ces images ne peuvent être reçues d’une manière différente, s’il y a union tellement indissoluble entre l’âme et le corps. Cela ne se peut donc pas, l’Entéléchie étant inséparable du corps.

« L’Entéléchie n’est pas non plus l’appétit, je ne dis pas du manger ou du boire, mais de toutes les choses qui sont hors du corps : l’Entéléchie n’est pas cela, puisqu’elle est inséparable.

« Il reste la croissance, sur laquelle on pourrait mettre en doute si l’Entéléchie est inséparable en cette manière ; ce qui ne semble pas pouvoir être ainsi. Si, en effet, la racine est le principe de toute augmentation, et que le reste du corps vienne à s’augmenter vers la*racine, c’est-à-dire dans la partie inférieure de la plante, ce qui a lieu dans le plus grand nombre de plantes, l’âme, se retirant des autres parties, sera donc fixée et concentrée dans cette base ; elle ne sera donc pas dans tout le corps, comme doit l’être l’inséparable Entéléchie. Car encore, avant que la plante commençât à se développer, elle était renfermée dans une petite graine ou atome. Or, si elle chemine de la plus grande plante à la plus petite, et de la plus petite à la plus grande, qui empêche qu’elle ne puisse s’en séparer complètement ? Comment, étant sans parties, peut-elle être Entéléchie divisible d’un corps divisible ? La même âme dans un autre animal devient autre. Or, comment celle du premier le serait-elle encore de celui qui vient après, puisqu’elle était l’Entéléchie d’un seul ? Cela se prouve par les animaux qui se changent en d’autres animaux. Ce n’est donc pas un principe d’existence, d’être la forme de quelque chose ; car la substance a été amenée à l’Être, non parce qu’elle résidait dans un corps ; mais parce qu’elle existait avant de lui appartenir. Or, comme ce n’est pas le corps de l’animal qui donnera naissance à l’âme, quelle sera donc son essence si elle n’est ni le corps ni une affection du corps ? On voit cependant en elle, et provenant d’elle, des actions, des créations et beaucoup d’autres choses. Quelle peut être celle existence en dehors des corps ? Il est bien clair que ce sera celle que nous appelons véritablement existence ; car tout ce qui est corporel est bien engendrement, mais n’est pas proprement existence. Naissant et mourant successivement, jamais il ne sera un véritable Être : il n’est perpétué dans l’existence que par la participation avec ce qui existe véritablement, et dans le degré où il y participe. »

Après avoir extrait de Plotin ce qu’on vient de lire, il ne sera pas sans intérêt de donner un coup-d’œil à ce qui a été dit par Porphyre, dans son traité de l’âme, contre Boethus.

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