Préparation évangélique

LIVRE XV

CHAPITRE XVII
QUE L’ÊTRE PAR EXCELLENCE N’EST PAS UN CORPS COMME LE VEULENT LES STOÏCIENS. TIRÉ DU PREMIER LIVRE DE NUMÉNIUS SUR LE BIEN (περὶ τἀγαθοῦ)

« Cependant, qu’est-ce que l’Être ? Est-ce ce qu’on nomme les quatre éléments, la terre et le feu joints aux deux autres natures qu’on place intermédiairement entre eux ? Sont-ce ces choses qu’on peut nommer les Êtres, soit qu’on les prenne en masse ou une à une ? Mais comment cela peut-il être, ces choses étant sujettes à naître (à périr), à renaître, puisque nous les voyons se former les unes des autres, se déformer, ne restant ni sous l’aspect d’éléments ni constamment liées ensemble ? Jamais l’Être ne saurait être appliqué à un corps de cette espèce. Il se peut que ce ne soit pas cela ; mais alors ce pourra être la matière qui sera l’Être. Cela est encore bien plus impossible par son incapacité de demeurer dans le même état. La matière est un fleuve qui suit un cours même impétueux. Sa profondeur, sa largeur, sa longueur sont immensurables et infinies. »

Après quelques lignes, il ajoute :

« En sorte qu’on a eu raison de dire que, si la matière est infinie, elle est immensurable ; si elle est immensurable, elle est irrationnelle ; si elle est irrationnelle, elle est impossible à connaître ; si elle est impossible à connaître, elle est nécessairement en désordre ; car ou ne peut bien connaître que les choses classées dans un ordre régulier. Ce qui est en désordre n’a point de consistance, ce qui est sans consistance n’a proprement pas d’existence. Ce que nous nous sommes avoués ci-dessus est donc réel : savoir qu’il serait contre toute justice d’attribuer l’Être à toutes ces choses rassemblées comme elles le sont. Je voudrais faire partager cette opinion à tous les hommes ; mais si je n’y réussis pas, je la conserve pour moi. Je dis donc que ni la matière, ni les corps ne peuvent être l’Être. Que sera-t-il donc ? N’avons-nous pas, en dehors de tout ceci, dans la nature universelle quelque chose d’autre ?

« Oui.

« Il ne faut pas un grand travail d’esprit pour le découvrir, pourvu qu’avant tout nous essayons de nous faire, au dedans de nous, ce raisonnement : puisque tous les corps sont par leur nature mortels, que morts ils sont disséminés sans qu’aucun d’eux demeure dans un état stable, n’ont-ils pas besoin de quelque chose qui les retienne dans leur ensemble ?

« Assurément.

« Est-ce que, si cette chose n’existait pas, ils demeureraient comme ils sont ?

« On ne peut pas moins.

« Quel serait donc ce conservateur, s’il était corps lui-même ? Il me semble qu’on devrait implorer le Jupiter sauveur pour le préserver clé la dissolution et de la dispersion. Car il faut bien qu’il soit à l’abri de toutes les variations et des infirmités corporelles pour qu’il puisse lui-même défendre et préserver les corps conçus dans une matrice, d’une destruction toujours menaçante. A mon avisée ne peut être une autre chose qu’une chose incorporelle. Il n’y a qu’une pareille substance qui, placée au-dessus de toutes les natures, soit invariable et nullement matérielle. Elle n’a point en de commencement d’existence, elle n’acquiert pas d’accroissement progressif, elle n’éprouve aucune impulsion ou mouvement d’aucune espèce ; c’est ce qui fait que l’incorporel semble justement appelé pour régner sur tous les êtres. »

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