Préparation évangélique

LIVRE XV

CHAPITRE XXI
RÉFUTATION PAR LONGIN DE L’OPINION QUE LES STOÏCIENS SE SONT FORMÉE DE L’ÂME

« En résumé, je dirai que tous ceux qui successivement ont soutenu que l’âme était un corps, me semblent s’être entière ment éloignés de toute rectitude de raisonnement. A quel degré peut-on dire, en général, qu’il y ait affinité entre un des éléments, et la faculté qu’a l’âme de se renfermer en soi-même ? Comment peut-elle concentrer en elle les mélanges et les mixtions, qui, multipliées à un point considérable, sont de nature à produire les types de corps, variés à l’infini ; lesquels s’ils n’offrent pas immédiatement, au moins font voir dans l’éloignement, les éléments, comme cause première, qui, par suite, donnent naissance à de secondes et troisièmes transformations descendant des premières ? On ne trouve dans les corps nulle trace, nul signe des facultés de l’âme ; et l’on ne saurait en trouver, dût-on, comme Épicure et Chrysippe, suer sang et eau à fouiller toute l’énergie du corps, pour en faire sortir les actes propres à l’âme. De quel secours peut être la légèreté du souffle pour l’imagination et le raisonnement (Stoïciens) ? Quelles sont ces certaines formes d’à tomes qui ont une telle puissance par-dessus les autres, et une impulsion assez prononcée, pour qu’elles engendrent la prudence, dès qu’elles se sont mises en contact avec la disposition plastique d’un autre corps (Épicuriens) ? Je pense que cela ne saurait être, quand bien même on serait en possession des trépieds et des servantes de Vulcain, dont Homère dit, pour les premiers, qu’ils se rendaient d’eux-mêmes dans la réunion des Dieux (Iliade, X, v. 375) : pour les secondes, qu’elles aidaient leur maître dans ses travaux, n’étant au dépourvu d’aucun des avantages dont jouissent les hommes vivants (Iliade, Σ, v. 417). A plus forte raison, cela devient impossible quand on ne possède que des parcelles, réunies fortuitement entre elles, qui ne sauraient, non plus que les cailloux du rivage, posséder une sensibilité d’un ordre supérieur. Il est donc très légitime d’en vouloir à Zénon et à Cléanthe, qui ont disserté assez injurieusement contre l’âme, en soutenant l’un et l’autre, qu’elle n’était qu’une exhalaison d’un corps matériel. Qu’y a-t-il en effet de commun, le moins du monde, ô Dieu, entre une exhalaison et une âme ? Comment se conçoit-il que pensant, comme ils le font, que notre âme et celle des autres animaux procèdent du même principe, dans un cas, ils lui attribuent des imaginations et des réminiscences telles qu’elles suffisent à peine à conserver leur existence ; tandis que, dans l’autre, ils lui donnent des essors et des méditations capables de faire pénétrer dans la connaissance intime des choses ? Serait-ce que nous irions jusqu’à ranger dans ces exhalaisons, dans cette fumée, dans une semblable déraison, les Dieux eux-mêmes, et l’Être, qui s’étendant à tous les êtres, est le dominateur des Dieux terrestres et célestes ? Aurons-nous moins de retenue que les poètes, qui, encore qu’ils n’aient pas une conception bien exacte de ce que sont les Dieux, cependant, tant par égard pour les notions reçues parmi les hommes, que par l’inspiration qu’ils tiennent des muses, qui les ont stimulés à chanter les Dieux comme ils l’ont fait, ne le font que de la manière la plus révérencieuse, sans jamais nous entretenir d’exhalaisons, d’airs, de vents et de toutes les autres billevesées ? »

Après avoir entendu Longin, prêtons l’oreille aux arguments dont Plotin fait usage pour combattre les mêmes philosophes.

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