Préparation évangélique

LIVRE XV

CHAPITRE XXXII
COMMENT LE MONDE A ÉTÉ FORMÉ (Plut. Ibidem, Liv. 1er c. 6.)

« Le monde s’est produit d’une forme convexe, de la manière ici représentée. Les corps insécables ayant un mouvement irréfléchi et fortuit qui ne s’arrête pas et qui est de la plus grande célérité, ont amené à l’existence, par leur réunion, une foule de corps, aussi variés en forme qu’en grandeur. Ces corps s’étant donc réunis dans un même point, ceux qui étaient les plus grands et les plus pesants de tous ont occupé le rang inférieur. Ceux qui étaient petits, sphériques, polis et glissants étant pressés dans ce conflit de corps, se sont portés vers les régions supérieures. Lorsque la force répulsive eut cessé d’agir en les météorisant, et qu’en conséquence, le choc ne les déterminait plus vers une direction ascendante, alors, ne pouvant pas redescendre, ils se sont portés en foule vers les lieux capables de les recevoir ; c’étaient ceux qui sont au pourtour. Et c’est en ce point que cette multitude de corps est venu se briser dans les bords serrés et cimentés entre eux. Par l’effet de cette trituration, ils ont donné naissance au ciel. Les atomes ou insécables sont d’une nature homogène, mais prodigieusement variés de forme comme cela a été dit : chassés vers les régions supérieures, ils ont produit la substance des astres. La quantité des corps en exhalaison a produit une commotion dans l’air et l’a brisé. Une fois devenu fluide aériforme, dans son mouvement, enveloppant les astres il les a entraînés avec lui et a maintenu dans les espaces supérieurs leur commune révolution. Puis, des atomes qui avaient pris leur résidence en bas s’est formée la terre, de même que le ciel, le feu et l’air, de ceux qui se sont portés vers les régions élevées. Cependant, comme il restait encore beaucoup de matière dans la terre, celle-ci s’étant épaissie, en raison des chocs qu’elle éprouvait des vents, et de la lumière qui lui venait des astres, elle s’est entièrement brisée en petites fractions et a donné naissance à la nature aqueuse. Conservant une fluidité essentielle, elle s’est portée d’elle-même dans les cavités qui pouvaient la contenir et la distiller, ou bien c’est l’eau stagnante qui a creusé les réceptacles qui la tiennent en dépôt. »

Voilà donc cette fameuse cosmogonie des philosophes sur laquelle s’est venue greffer une logomachie sans fin de la part de gens de toute espèce, qui mettaient en question les propositions suivantes : Doit-on penser que le tout ne soit qu’un, ou formé de la réunion de plusieurs ? N’existe-t-il qu’un seul monde, ou en existe-t-il plusieurs ? Est-il animé et gouverné par la Providence divine, ou non ? Est-il impérissable ou périssable ? D’où s’alimente-t-il ? Par quoi Dieu a-t-il commencé, lorsqu’il a fait le monde ? Quel est l’ordre suivant lequel il existe ? Quelle est la cause qui le fait décliner ? Qu’y a-t-il en dehors de l’univers ? Quelle est la droite et quelle est la gauche ? Qu’est-ce que le ciel ? Et en outre des questions physiques ci-dessus, que dire des démons, des héros, de la matière et des idées exemplaires, de l’ordre général, de l’impulsion et du mouvement des astres ? D’où ceux-ci tirent-ils leur lumière ? Que sont les divinités appelées Dioscures ? D’où proviennent les éclipses du soleil et de la lune ? Que dire de leur apparence et pourquoi la lune semble-t-elle terreuse ? Quelle est sa distance de la terre ? Comment se rendre compte de l’année ? Toutes ces questions, qui s’étendent à l’infini, ont été discutées par les philosophes dont nous examinons les doctrines, et résumées par Plutarque, en peu de paroles, dans lesquelles il a cependant fait ressortir les contradictions et les dissidences de part et d’autre. Je ne regarde donc pas comme hors de propos de les consigner dans cet écrit, pour justifier le parti que nous avons pris de les rejeter. Si, en effet, les philosophes sont opposés les uns aux autres, sur ces matières, s’ils se livrent des combats acharnés sans pouvoir s’accorder, chacun d’eux réfutant avec animosité les assertions de ses adversaires, combien n’est-il pas plus sûr, pour nous, de retenir notre adhésion sur ces points ? Qui pourrait le nier ? J’ajouterai donc à ce que j’ai déjà cité, toutes les incertitudes qu’ils ont manifestées sur les corps qui avoisinent la terre, sur sa forme, sur sa position, sur sa déclinaison. Puis, je parlerai de la mer, afin que vous compreniez bien que ce n’est pas seulement sur les corps placés au-dessus de nous à des élévations prodigieuses que ces nobles auteurs sont partagés de sentiments ; mais encore sur les questions terriennes. Et afin de vous faire admirer plus complètement leur sagesse, j’ajouterai ce qu’ils ont imaginé sur l’âme et sur son principe dirigeant, pour prouver qu’ils n’ont rien connu à sa nature. Entrons donc en matière.

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