Oui, nous sommes protestants

Introduction

Il n'y a pas de définition juste de ce qu'est le protestantisme. Il porte en lui tant d'appels à la liberté et à la tolérance que chaque protestant peut proposer une définition de sa propre foi, sans pour autant refuser la valeur de celle de l'autre. Il n'y a pas davantage de « parole protestante » unique, pas même venant de Genève, à la différence de la parole catholique qui ne peut venir que de Rome.

Né initialement d'une fracture sévère au sein du catholicisme romain du XVIe siècle, le protestantisme n'a cessé de se démarquer, malgré la diversité de ses courants. Il se présente dès le départ comme un refus : « Nous ne croyons pas, nous ne pensons pas, nous ne sommes pas d'accord avec... »

Issu d'une opposition radicale, le protestantisme est une démarcation du catholicisme au nom de la redécouverte du christianisme, mais plus encore, au nom d'une fidélité à la Bible et à Jésus-Christ.

Le protestantisme est un écho de la réforme de l'Église installée dans la tradition. Tradition voulant aussi dire immuabilité, voire immobilisme. L'Église était figée dans ses coutumes, ses rites, mais aussi dans ses discours et ses positions. Les protestants – d'abord appelés en France les gens de la R.P.R. : Religion prétendue réformée – optèrent non seulement pour une réforme, une renaissance et une redécouverte de la religion chrétienne, mais aussi pour la mise en place d'une révolution permanente. L'objectif fut plus qu'un simple toilettage, comme plus tard dans le camp devenu adverse, lorsque l'Église catholique proposa en réaction la Contre-Réforme. On définit l'Église réformée dès le XVIe siècle par cette formule : « Ecclesia reformata quia semper reformanda. » (Église réformée en constante réformation.)

Une Église qui se réinvente de personne en personne, de lieu en lieu et d'époque en époque, avec un double souci : être fidèle à Jésus-Christ et donc à Dieu, à la Bible et à l'Évangile, et être témoin dans son temps, de son temps, participant à la transmission du message dans un monde en constante évolution.

Il n'y a donc pas un protestantisme identifiable, mais des perceptions protestantes de l'incarnation du message biblique dans le monde et dans les êtres.

La liberté d'interprétation de la Bible, la liberté de conscience, la liberté de foi et la liberté de parole entraînent une explosion d'interprétations, d'expressions spirituelles et ainsi, une parole nécessairement plurielle. D'où une certaine difficulté à comprendre et à expliquer le protestantisme et ses diverses tendances. On entend souvent dire : « Chez vous, c'est compliqué, avec les calvinistes, les luthériens, les baptistes, les évangéliques, les pentecôtistes, les charismatiques... Vous êtes vraiment très divisés ! »

Certes, ce n'est pas simple ! Pour comprendre le protestantisme, il faut saisir son histoire et sa substance, saisir qu'il s'agit d'une religion en perpétuelle transformation, d'un lieu d'expression libre. Sans magistère, chacun peut inventer sa voie et sa foi d'où un certain morcellement. Il y a bien un tronc commun, mais les branches sont nombreuses et des oiseaux de différentes espèces viennent tranquillement y faire leur nid. Cet arbre est riche des chants de tous les oiseaux. Chants qui ont chacun leur harmonie.

Il est aussi incontournable de rappeler son histoire et ses rebondissements, ses déchirures et ses enthousiasmes, pour découvrir que, dans chaque chrétien, il y a certainement un protestant qui sommeille. Certains diront que, finalement, nous sommes tous protestants, mais c'est alors oublier le réflexe très protestant qui refuse justement la fusion et l'assimilation dans un collectif impersonnel. Car le protestantisme est aussi très riche en paradoxes.

Être protestant, est-ce être contestataire ?

C'est en Allemagne, en 1529, que l'on parle pour la première fois de « protestants ». A cette époque, Luther a déjà commencé à repenser l'Église et à lui proposer des changements profonds. Bon nombre de princes électeurs allemands le suivent. Le maître du pays, Charles Quint, est pourtant un fervent catholique. Après avoir toléré pendant trois ans le mouvement de la Réforme, il convoque une assemblée politique où il ordonne le ralliement inconditionnel à Rome. Les princes protestent et s'y refusent ! D'où leur nouveau titre, en forme de quolibet, de « princes protestants ». Notons que ces premiers protestants ne sont pas des religieux, mais des laïcs.

Si, dès 1529, ceux qui soutiennent la réforme luthérienne sont appelés protestants, c'est aussi avec le sens que l'adjectif a à cette époque : protester veut alors dire : « faire profession, proclamer, attester. » De nos jours, les protestants évangéliques aiment aussi se définir comme des « professants ».

Il faudra attendre un siècle pour que le terme « protestantisme » prenne son entière signification. Les réformateurs tentaient de provoquer des changements au sein de l'Église catholique, romaine et universelle. Ils ne cherchaient pas à faire sécession. Mais dès lors qu'il devenait impossible d'atteindre ce but de rénovation, les protestants durent se faire une raison et former un mouvement dissident, hors de l'Église officielle. C'est alors qu'on parla de protestantisme.

Naissance d'une tribu

Une nouvelle famille chrétienne était née, à laquelle adhèrent les luthériens, les réformés (calvinistes), les zwingliens et même les anabaptistes. De fait, aujourd'hui, dans la famille protestante, une quarantaine de congrégations plus ou moins importantes tente de garder une base commune. Ensuite, apparaissent des différences secondaires qui sont parfois mises en exergue pour justifier des séparations souvent douloureuses.

Une théologienne protestante contemporaine dit, avec justesse : « La Bible rassemble tous les protestants... jusqu'à ce qu'ils l'ouvrent1 ! »

1 Suzanne de Dietrich.

On peut en effet remarquer que le mode d'essaimage des protestants n'est pas toujours l'évangélisation, mais plutôt une sorte de reproduction qui ressemble à celui de la paramécie : la scissiparité. C'est ce qui fait dire à l'un des plus éminents théologiens du protestantisme anglican : « Je suis profondément peiné par notre tendance au morcellement. Au cours du dernier siècle, le mouvement protestant évangélique a fait des progrès considérables du point de vue numérique, vie communautaire, érudition et par la qualité de ses dirigeants, mais certainement pas par sa cohésion ou son influence nationale. Les gens parlent aujourd'hui des nombreuses tribus du protestantisme et se plaisent à préciser le terme protestant par d'autres adjectifs qualificatifs. Ils ont le choix entre conservateur, évangélique, libéral, progressiste, ouvert, réformé, charismatique, postmoderne... Est-ce vraiment nécessaire2 ? »

2 John Stott, La foi évangélique, Éditions L.L.B., 2000.

Les grands clivages du protestantisme

Comme le signale John Stott, on range parfois les protestants sous des étiquettes grossières. Deux grandes catégories sont néanmoins repérables. Il y a d'une part, le protestantisme historique, composé des luthériens et des réformés (les luthéro-réformés). A cette famille historique, on ajoute parfois les anglicans. D'autre part, vient s'ajouter le protestantisme dit évangélique (les évangéliques). Il ne faut pas confondre avec les évangélistes, qui sont les auteurs des évangiles, ni avec les personnes qui évangélisent de façon très singulière (par exemple les télévangélistes aux États-Unis, en sont une caricature).

Dans cette famille évangélique, on trouve les baptistes, les méthodistes, les mennonites, les pentecôtistes, les libristes, les frères, et autres mouvements indépendants... (Voir II.1.)

Ce découpage est imparfait, réducteur, voire caricatural, car tous ces croyants sont issus de la Réforme et tous cherchent à rester fidèles à l'Évangile. Tous se disent chrétiens et cherchent parfois à minimiser leurs différences. De plus, dans chaque famille, les courants peuvent être divers : orthodoxe, évangélique, bibliste, libéral, exalté, etc. Ces courants deviennent parfois des dénominations.

Cependant, certains d'entre eux s'éloignent fortement de l'origine et même de la Bible. Bon nombre de sectes viennent de déviances protestantes : les témoins de Jéhovah, les mormons, la scientologie pour ne parler que des plus connues. La liberté est un concept généreux, mais plein de risques !

Dans cet ouvrage, nous ne pourrons envisager chaque particularisme et, généralement, nous n'aborderons que les deux grands courants du protestantisme français : la famille luthéro-réformée et la famille évangélique, cette dernière devant être plus souvent expliquée du fait de son morcellement. C'est aussi la branche du protestantisme la plus dynamique de nos jours, en France et dans le monde.

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