Oui, nous sommes protestants

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Histoire du protestantisme

Le protestantisme est la troisième religion en France, derrière le catholicisme et l'islam, et avant le bouddhisme.

Né au XVIe siècle, coïncidant avec la Renaissance, le protestantisme est avant tout une volonté de réforme de l'Église catholique, et c'est pourquoi ses adeptes sont appelés « réformateurs ».

En voulant transformer, corriger et moderniser le christianisme, les réformateurs cherchent avant tout, à rendre l'Église à laquelle ils appartiennent plus fidèle à son message. Leur intention n'est pas de créer un schisme ou de provoquer une division. C'est pourtant ce qui va se produire, souvent à leur insu, car l'Église catholique refusera la Réforme et décidera d'excommunier tous ceux qui travaillent à promouvoir les idées nouvelles, et ce, avant de mettre en place la Contre-Réforme, virulente réaction proche de l'intégrisme.

Le protestantisme naît donc d'un refus de l'Église unique, universelle, catholique (au sens premier du terme) de changer, d'évoluer, de se remettre en question. En excluant les réformateurs, celle donne naissance à une nouvelle Église, rivale redoutable, mettant aussi fin à une exclusivité âprement disputée pendant des siècles.

Nous allons rappeler ici quelques phases importantes de cette histoire, de cette déchirure qui bouleversa et ensanglanta la France, ébranla la monarchie et toucha toute l'Europe.

Les prémices d'une révolution religieuse

Pendant quinze siècles, l'Église catholique connaît des heurts et des malheurs nombreux. Rome est la capitale chrétienne du monde connu et régente plusieurs royaumes en Europe. Sa puissance est énorme et son hégémonie incontestable. Au fil des siècles, la foi chrétienne s'est vue largement entachée par les comportements souvent douteux d'un clergé ignorant et oppressant. Une succession de papes scandaleux suscite une importante vague d'indignation, qui ne peut cependant pas suffire à faire chanceler une administration colossale, solidement ancrée dans les plus puissantes familles d'Europe, aux influences plus occultes que spirituelles. Une administration tentaculaire mise en place sur le modèle de la Rome de César.

Il faut plusieurs convergences pour entraîner un mouvement historique, et quelques hommes remarquables dont, naturellement, Luther en Allemagne et Calvin en France.

La Renaissance provoque un élan nouveau vers une religiosité revisitée, après une décadence notoire du clergé et des Églises. Les humanistes encouragent les lettres, Érasme de Rotterdam, le grec, et Jean Reuchlin, l'hébreu. L'étude de la Bible profite de cet élan, d'autant que Gutenberg, en inventant l'imprimerie, donne aux idées nouvelles le moyen de se répandre rapidement. Le premier livre imprimé est, justement, la Bible.

S'il y a des réformateurs, il y a également eu, avant eux, des personnes qui tentèrent de restaurer l'Église et de populariser la Bible, laquelle était d'un usage très restreint. Ces pré-réformateurs furent quelques-uns des nouveaux martyrs, mis à mort par l'Église elle-même, alors qu'ils avaient souhaité la voir plus belle et plus digne de l'Évangile, qu'elle prétendait vivre et faire connaître.

Citons chronologiquement, Pierre Valdo (Lyon), John Wyclif (Oxford), Jan Hus (Prague).

Pierre Valdo

Ce riche marchand de Lyon découvre un jour la Bible et se convertit aussitôt de façon radicale, en 1175. Dès lors, il partage ses biens et en consacre une partie à la traduction de la Bible en français. Il finance des copies et souhaite les diffuser le plus largement possible. Il devient lui-même prédicateur pèlerin. Il rassemble rapidement des disciples, lesquels entrent dans une fraternité, de type monastique, consacrée à la prédication itinérante de l'Évangile. Le concile de Vérone, en 1184, met cette initiative à l'index, ce qui ne l'empêche pas de rencontrer un vif succès et de se répandre pour devenir un vaste mouvement nommé vaudois. Ce mouvement va plus tard entretenir des liens étroits avec les disciples de Jean Hus, en Bohême, au XVe siècle. Les vaudois existent encore aujourd'hui, particulièrement en Italie du Nord.

John Wyclif

Théologien enseignant à Oxford. Dès 1370, il développe ses idées selon lesquelles Dieu exerce directement, sans l'intermédiaire du pape, son droit éminent sur les biens terrestres. Les rois ont selon lui des comptes à rendre, non au pape mais à Dieu seul. Sa méfiance, voire sa défiance à l'égard de la papauté est de plus en plus remarquée. Pour lui, la véritable Église est « l'Église invisible des chrétiens en état de grâce ». Les membres du clergé et même le pape, s'ils sont en état de péché mortel, peuvent n'en faire plus partie. Wyclif veut minimiser la place et l'autorité de la hiérarchie dans l'Église. Bien avant Luther, il s'élève contre le trafic des indulgences. Pour lui, un péché ne peut être pardonné sans expiation, et seul Dieu pardonne.

Longtemps après sa mort, le concile de Constance, en 1415, et le pape Martin V en 1427, condamnent les écrits de Wyclif et le déclarent hérétique. On exhume ses restes en 1428 ; ses ossements sont brûlés, les cendres jetées dans une rivière.

L'acharnement tardif de Rome à l'encontre de Wyclif vient certainement de ce que ses idées influencèrent Anne de Bohême, femme de Richard II, et qu'elles furent reprises par Jan Hus, à Prague, puis dans toute l'Europe centrale.

Jan Hus

Administrateur de la pensée de Wyclif, il apparaît rapidement comme un réformateur de l'Église catholique et, avec un siècle d'avance sur Luther, il travaille à la restauration de l'esprit évangélique chez les chrétiens. Ordonné prêtre en 1400, il est un brillant prédicateur et plus de trois mille personnes écoutent à Prague ses sermons audacieux. Dans un premier temps soutenu par la hiérarchie et par le roi Venceslas IV, il prêche la réforme de l'Église et oppose la richesse corruptrice à la pauvreté évangélique. Car, pour lui, l'Évangile est la seule règle infaillible et suffisante de la foi. Puisque tout homme doit avoir un libre accès à la lecture de la Bible, il entreprend de la traduire en tchèque.

Lors du concile de Constance, il s'indigne des condamnations à l'encontre de Wyclif, ce qui lui vaut d'être excommunié à son tour. Cité à comparaître devant le concile, il s'y rend malgré les conseils de prudence de ses amis. Il est arrêté dès son arrivée dans la ville et mis en prison. Torturé, il refuse de se parjurer et finalement, est brûlé vif en 1415. Ses cendres sont jetées dans le Rhin.

Ces trois exemples parmi d'autres, montrent que les idées nouvelles et réformatrices sont en germe depuis le XIIe siècle. Elles ne vont exploser vraiment qu'au XVIe. L'Histoire prend son temps et les réformes sont longues à s'installer totalement, tant les mentalités sont hermétiques aux changements. Mais nous avons là, en préparation, ce qui va mener à la foi et à la pensée le protestantisme. Ce qui pousse Pierre Valdo à traduire la Bible en langue vulgaire, ce qui entraîne John Wyclif à minimiser le pouvoir clérical et ce qui conduit Jan Hus à promouvoir la simplicité évangélique vont trouver d'autres lieux et d'autres hommes pour aboutir à une véritable prise de conscience. Les idées nouvelles parviennent toujours à prendre forme.

Les grandes figures de la Réforme

Deux hommes, fort différents l'un de l'autre, vont enfin porter très haut ces idées. Ils vont les développer, les défendre et leur donner les définitions dont elles ont besoin et surtout, ils vont être largement relayés par une opinion publique mieux préparée et plus réceptrice. Il s'agit de Luther et de Calvin.

Martin Luther ou l'inévitable déchirure
(Eisleben 1483-Wittenberg 1546)

Son histoire est vaste, truculente et parfois obscure car les historiens, allemands luthériens ou italiens catholiques, ont proposé des récits différents, touchant parfois à la légende ou au procès scandaleux.

Issu d'une famille modeste du milieu paysan, qui finit par intégrer la petite bourgeoisie, Martin Luther connaît une enfance rude, apprenant par l'effort ce qu'est la réussite et la valeur du travail. Studieux et aimant la vie, il vit une adolescence et une jeunesse tumultueuses, empreintes cependant d'une recherche d'authenticité.

Un jour, surpris par un orage et la foudre, il réclame le secours de Dieu et promet, s'il s'en sort, de lui consacrer sa vie. L'orage passe. Fidèle à son vœu, Luther entre au couvent malgré la désapprobation de son père et de ses amis. Mais Luther est un homme de parole et il choisit de devenir moine au sein de l'ordre mendiant des ermites de saint Augustin (1505). La règle y est sévère, et le jeune homme s'y plie volontiers. De fait, ayant une vive conscience de son indignité, il pense réfréner ses instincts et ses pulsions par des exercices de mortification et de piété. Ses études sont brillantes et le jeune moine célèbre sa première messe deux ans plus tard ; il n'a que vingt-quatre ans. Après des études et divers voyages dont un à Rome, Luther devient docteur en théologie et professeur à l'université de Wittenberg à l'âge de vingt-neuf ans. Il commence à y enseigner le livre des Psaumes puis l'Épître aux Romains. Cette lettre de saint Paul aux Romains a déjà été décisive dans la théologie de saint Augustin ; elle le devient aussi pour Luther, moine augustinien. La crise religieuse du futur réformateur éclate après un long processus de questionnement intérieur. Tous ses efforts pour atteindre la pureté et la perfection échouent. Mortifications, prières, jeûnes, privations... Rien ne lui permet d'atteindre cet idéal tant recherché. Au contraire, l'étude des psaumes de pénitence le plonge dans le désespoir le plus complet. Il sent bien qu'il est impossible de trouver le salut dans ces exercices de dévotion. C'est dit-il « vouloir escalader le ciel ». Il confesse plus tard : « Se tenir debout par ses propres forces, j'ai été, moi aussi, dans cette erreur ! »

En préparant ses cours sur l'Épître aux Romains, il découvre une complicité douloureuse avec son auteur. Saint Paul écrit :

« La Loi de Dieu m'a fait connaître ce qu'est le péché. En effet, je n'aurais pas su ce qu'est la convoitise si la loi n'avait dit : “Tu ne convoiteras pas.” Car sans la Loi, le péché est chose morte. Autrefois, sans la Loi, j'étais vivant ; mais quand le commandement est intervenu, le péché a pris vie et moi je suis mort... » (Romains 7.7-9)

Luther est dans le désespoir le plus total. Et il s'y abîmera davantage encore lorsqu'il s'appropriera totalement la douloureuse expérience de Paul :

« Quoique le désir de faire le bien existe en moi, je suis pourtant incapable de l'accomplir. Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. Si je fais ce que je ne veux pas, alors ce n'est plus moi qui agis, mais le péché qui habite en moi. Je découvre en moi cette règle : quand je veux faire le bien, je suis seulement capable de faire le mal. Au fond de moi, je prends plaisir à la Loi de Dieu, mais je trouve dans mon être une autre loi qui combat contre celle qu'approuve mon intelligence. Malheureux que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui m'entraîne à la mort ? »

Martin l'angoissé

Le cri de saint Paul devient l'angoisse douloureuse de Martin Luther. Il cherche une réponse à ce drame intérieur, mais il ne trouve pas en lui les ressources nécessaires pour en sortir. Depuis quelques temps déjà, il ne se satisfait plus ni des absolutions, ni des observances de l'Église. Elles ne lui apportent plus la paix avec lui-même, et il doute de sa foi. Les mystiques qu'il lit, lui conseillent la passivité et la quiétude. Mais le jeune professeur, trop bouillant et impulsif, y voit un autre danger : à l'effort extérieur tendu vers les œuvres et les souffrances méritoires, les mystiques opposent l'effort intérieur vers le renoncement à soi et l'absorption dans un Dieu insaisissable (nirvana). Pour Luther, tout dépend trop du croyant pour que ce soit acceptable puisque alors ce croyant se sauve lui-même, d'une façon ou d'une autre.

Les temps sont propices aux questionnements. Dans ses recherches, Luther va trouver diverses pensées, et pas des moindres, que l'imprimerie véhicule depuis peu. Les humanistes lui donnent l'exemple de la liberté du croyant face aux problèmes religieux. Ce qui n'empêche pas Luther de déclarer : « Ceci est très certain qu'on ne peut pénétrer les saintes Écritures ni par l'étude, ni par l'intelligence. Il n'y a pas d'interprète des paroles divines sinon l'auteur de la Parole ! » Un des slogans incontournable de la Réforme est déjà inscrit ici : la Parole seule (Sola Scriptura).

La liberté du croyant est cependant un énorme progrès face à une Église monolithique qui impose son interprétation des textes saints.

Luther profite des travaux de philologues et d'exégètes remarquables, lesquels publient des traductions nouvelles et plus exactes de la Bible, ainsi que des commentaires novateurs. Lefèvre d'Étaples l'inspire dans ses études sur les psaumes, et surtout le Nouveau Testament dans la traduction d'Érasme va devenir lumineux pour le moine.

Avec des outils qui tombent à point, une recherche acharnée d'authenticité, la volonté opiniâtre d'un fils de paysan qui travaille la terre jusqu'à ce qu'elle produise des fruits, et certainement le désir de Dieu de ne pas laisser dans le vide celui qui lui réclame avec tant d'insistance des lumières, Luther est touché par la grâce et découvre enfin le secret.

Un secret qui lui crève les yeux puisqu'il est inscrit en toutes lettres dans l'Épître aux Romains qu'il ne cesse de lire dans tous les sens :

« Dieu nous a montré comment il nous rend justes devant lui, et cela sans intervention de la Loi. La Loi et les prophètes en avaient parlé : Dieu rend les hommes justes à ses yeux par la foi en Jésus-Christ. Il le fait pour tous ceux qui croient en Christ, car il n'y a pas de différence entre eux : tous ont péché et sont privés de la présence glorieuse de Dieu. Mais Dieu, dans sa bonté, les rend justes à ses yeux, gratuitement, par Jésus-Christ qui les délivre du péché. Dieu l'a offert en sacrifice afin que, par sa mort, le Christ obtienne le pardon des péchés en faveur des hommes qui croient en lui... Y a-t-il encore une raison pour les hommes de s'enorgueillir ? Non, plus une seule ! Pourquoi ? Parce qu'ils obéissent à ce qu'ordonne la Loi ? Non, parce qu'ils croient. Car nous estimons qu'un homme est rendu juste devant Dieu à cause de sa foi et non parce qu'il obéit à ce qu'ordonne la Loi. Ou bien, Dieu serait-il seulement le Dieu des juifs ? N'est-il pas aussi le Dieu des autres peuples ? Bien sûr, il l'est aussi des autres peuples, puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu. Il va rendre justes à ses yeux les juifs par la foi et les non-juifs également par la foi. Cela signifie que par la foi nous enlevons toute valeur à la Loi ? Bien au contraire, nous donnons à la Loi sa vraie valeur ! » (Romains 3.21-31)

Ces dix versets du Nouveau Testament produisent chez Luther une vraie révolution intérieure, mais ils vont aussi entraîner la déchirure avec Rome et partager toute l'Europe en un temps record.

Luther va développer cette réalité biblique longtemps mise sous le boisseau : le salut (donc la vie éternelle) n'est pas une question de mérite du chrétien, mais un geste gratuit offert par Dieu (la grâce) à quiconque croit simplement en Jésus-Christ. L'homme n'est pas justifié ou pardonné à cause de ses œuvres méritoires, mais par la foi seule. Les œuvres suivent la justification et ne la précèdent pas. En d'autres termes, les œuvres sont nécessaires et utiles, non pour être sauvé, mais pour manifester que l'on est sauvé.

L'inutilité des œuvres pour être sauvé est un message qui ne peut que ruiner l'Église du moment, puisqu'elle justifie sa présence et édifie son pouvoir sur les actions dont elle est bénéficiaire et sur les dons qu'elle réclame aux fidèles.

Cette vérité a de quoi faire chanceler tout l'édifice ecclésial. Mais pour l'heure, Luther veut expliquer sa découverte, et le faire sans l'intention de critiquer l'Église à laquelle il appartenait. Il pense que les lumières manquaient et qu'il faut maintenant en prendre acte.

Or, une révolution est en marche et elle a besoin d'autres éléments pour exploser. La convergence de situations va encore précipiter la crise que Luther sent monter en lui.

Nous sommes en 1517. Cette année-là, le pape manque d'argent pour poursuivre la construction de la basilique Saint-Pierre au Vatican. Pour faire rentrer les finances nécessaires, une nouvelle campagne de vente des lettres d'indulgence est programmée. Des moines prêcheurs sont envoyés dans tous les pays d'Europe pour une gigantesque campagne de collecte de fonds.

Mais que sont ces fameuses lettres d'indulgence qui vont mettre le feu aux poudres ? A l'origine, le terme désignait la remise de pénitence publique imposée par l'Église, pour une durée déterminée, après le pardon des péchés. Par extension, l'Église s'est mise à proposer la rémission des fautes (le pardon) qui évitait les peines temporelles (le purgatoire).

Les moines, envoyés par le pape, proposent donc l'allègement des fautes et la diminution du temps de purgatoire contre de l'argent. Voilà pour la vente des indulgences. On comprend qu'une telle proposition ne peut qu'entraîner l'engrangement facile d'espèces sonnantes et trébuchantes, sur le dos des populations les plus pauvres, les plus vulnérables et les mieux contrôlées par le clergé.

Quand le frère Tetzel, l'envoyé du Vatican, arrive en Allemagne pour commencer sa collecte de fonds un peu particulière, Luther écrit à son archevêque pour lui demander de faire cesser cette opération scandaleuse. Pour expliquer ses raisons, il lui adresse un document décisif : les 95 thèses sur la vertu des indulgences. Ces mêmes thèses sont affichées le soir du 31 octobre 1517 sur la porte du château de Wittenberg. Dès le lendemain matin, une importante foule découvre ces déclarations enflammées et l'appel à une discussion publique. Luther y soutient entre autres :

   « Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu'aussitôt que l'argent résonne dans leur caisse, l'âme s'envole du purgatoire.

   Ils seront damnés éternellement avec ceux qui les enseignent, ceux qui pensent que les lettres d'indulgence leur assurent le salut.

   Tout chrétien réellement contrit a droit à la rémission entière de la peine et du péché, même sans lettres d'indulgence.

   Cette prédication imprudente des indulgences rend bien difficile, aux hommes le plus doctes, de défendre l'honneur du pape contre les calomnies ou même contre les questions insidieuses des laïcs.

   Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui, voyant son frère dans le besoin, le délaisse pour acheter des indulgences, ne s'achète pas l'indulgence du pape mais l'indignation du Père. »

Et Luther pose plusieurs questions dont la plus perfide est sans doute celle-ci : « Pourquoi le pape ne délivre-t-il pas d'un seul coup toutes les âmes du purgatoire, pour le plus juste des motifs, par sainte charité, par compassion pour leurs souffrances, alors qu'il en délivre certains pour le motif le plus futile, pour un argent indigne, pour la construction de sa basilique ? »

Le moine contre le pape

Ces thèses font l'effet d'une bombe ! D'autant que Luther a prémédité son coup. En effet, l'affichage se fait la veille de la Toussaint ; or ce jour-là, le duc de Wittenberg expose des reliques qui, si elles sont visitées, accordent elles aussi des lettres d'indulgence. Luther, qui a déjà largement douté du sérieux théologique des indulgences, décide d'attaquer. Or, ses thèses ne sont ni contre l'Église, ni contre le pape, mais contre une fausse doctrine. Cependant, ce n'est pas ainsi qu'elles sont perçues, notamment par le frère Tetzel qui riposte aussitôt : « Qui touche aux indulgences atteint le pape ! »

Luther est prêt à s'expliquer avec le pontife et lui transmet des thèses, ses remarques, ses analyses, en les accompagnant d'une lettre où il lui dit : « Tuez, citez, reprenez, approuvez, chassez à votre gré. Je reconnaîtrai votre voix comme celle du Christ qui règne et parle en vous. Si j'ai mérité la mort, je consens à mourir. »

Manifestement, Luther est sûr de ses convictions et, surtout, il croit qu'elles seront reconnues comme justes. Il ne cherche pas la scission, il veut faire éclater ce qui lui semble être la vérité biblique, à savoir la force du salut par grâce. Il est certainement conscient d'être en train de toucher au pouvoir des clefs dont se prévaut l'Église. En effet, si tout est grâce, et que la grâce vient de Dieu, ce n'est plus à l'Église de décider qui est sauvé et qui ne l'est pas, qui va au paradis et qui va en enfer. Quant au purgatoire, c'est un sujet qui va devenir, à son tour, une nouvelle pierre d'achoppement.

Pour l'heure, Luther est vivement attaqué par les uns, soutenu par les autres. Les camps se forment, les menaces pleuvent. Malgré lui, Luther est dans la tourmente : « Mon Dieu m'emporte. Ce n'est pas moi qui suis le maître de moi. J'aspire au repos, et me voilà au milieu de la mêlée ! »

Il n'en continue pas moins sa tâche de professeur qu'il affectionne plus que tout. Et, pour ses cours, il travaille de plus en plus sur les textes bibliques. Après avoir restauré la notion de salut par la grâce, minimisé le rôle de l'Église et son pouvoir des clefs, il en vient à se poser des questions sur le rôle de l'Église en tant qu'intermédiaire entre Dieu et l'homme.

Léon X demande à un expert et spécialiste de l'hérésie, Silvesto Mazzolini, d'analyser et de contredire les écrits de Luther. Celui-ci ne fait qu'appuyer la nécessaire et inconditionnelle obéissance au pape. Luther répond en formulant une nouvelle découverte : « L'essence de l'Église consiste dans les rapports immédiats des fidèles avec son invisible chef, le Christ, sa force et sa vie. » Cette formule ciselée va devenir l'expression la plus haute de l'ecclésiologie de Luther et de la Réforme qui approche. Ce que développe alors Luther, par le simple terme de « immédiats », c'est la notion « sans intermédiaire ». L'Église, en tant qu'organisation, n'est plus qu'une réalité secondaire, une simple représentation de l'Église virtuelle, laquelle rassemble les chrétiens de tous lieux et de tous temps. Le clergé, passage obligé pour atteindre Dieu, vole alors en éclats.

Luther excommunié

Une telle audace ne peut que provoquer les foudres de Rome, même si elle enthousiasme tout le peuple allemand.

Luther est menacé d'excommunication s'il ne se rétracte pas. Il ne se laisse pas impressionner : « Je préférerais être maudit et banni par vous et par vos pairs plutôt qu'être béni et loué en votre compagnie. Je n'ai rien à perdre. Si je meurs, je meurs dans le Seigneur. Cherchez quelqu'un d'autre à intimider ! »

Le cardinal Cajétan, légat de la diète impériale réunie à Augsbourg, ordonne à Luther de se présenter. Luther hésite car ses amis lui disent que c'est un piège et qu'on veut l'arrêter, sinon le tuer. Finalement, Luther se présente et doit subir plusieurs jours de disputes pendant lesquels Cajétan définit les pouvoirs siprituels du pape. Il n'est pas aussi brillant théologien que le jeune professeur de Wittenberg et Luther, parlant du cardinal, aura ces propos assassins : « Il est peut-être un homme renommé, mais il est fait pour juger des choses de la foi comme un âne est fait pour jouer de la harpe ! »

De cette confrontation, il ne sort pas grand-chose de positif pour Luther, sinon une petite année de tranquillité avant la rupture totale. Il est vrai que, durant cette année, Luther va un peu plus loin dans ses critiques puisqu'il se met à parler du pape comme du « véritable antéchrist », une expression très péjorative qui fera le bonheur des protestants pendant des siècles.

Le pape Léon X et la curie envoient en Allemagne un diplomate chargé de demander aux princes qu'on livre Luther à Rome. Mais le pauvre diplomate ne peut que rentrer bredouille au Vatican, expliquant que « pour un partisan du pape, on compte en Allemagne trois adversaires ! »

Luther a déjà amorcé la défiance envers la papauté, et c'est tout un peuple qui se mit à le soutenir. Cet enthousiasme touche toutes les classes, depuis les princes jusqu'aux paysans. Le succès vient sans doute des richesses spirituelles développées par le jeune théologien, mais certainement aussi d'un nationalisme montant. En effet, l'Allemagne souffre d'un dénigrement de la part de tous les pays d'Europe, notamment de la France, de l'Angleterre et de l'Italie. Le fait qu'un de ses enfants, venant du terroir et devenu professeur, ose affronter la puissante Église romaine, la défiant et lui résistant de façon intelligente, pertinente et judicieuse, ne peut que rehausser l'honneur national. On le sait, la nation allemande est fière et ne supporte pas d'être bafouée. A son grand dam, Luther devient un fer de lance.

En juillet 1519, Luther est excommunié à la suite de la dispute de Leipzig, durant laquelle Johann Eck, représentant du pape, exige ses rétractations. Luther refuse, demandant à Eck de lui montrer, dans la Bible, les textes qui contredisent ce qu'il avance.

Peu de temps après est affichée à Wittenberg la déclaration officielle (bulle) du pape qui présente Martin Luther comme excommunié de l'Église. Une personne excommuniée est destinée à l'enfer puisque « hors de l'Église, point de salut ». Elle ne doit plus parler et moins encore enseigner l'hérésie ; elle est vouée à la mort et quiconque la tue n'est pas condamné par l'Église. C'est dire que le sort de Luther devient précaire. Accompagné de quelques amis, il arrache la bulle papale et la brûle à l'entrée de la ville.

L'empereur de l'Allemagne est à l'époque Charles Quint, roi d'Espagne, roi de Sicile et prince des Pays-Bas. Il convoque Luther à la diète de Worms afin de l'entendre, et ultime tentative, de le voir renier ses écrits. Luther, muni d'un sauf-conduit, s'y rend mais reste ferme dans ses déclarations. Il est alors mis au ban de l'Empire.

Luther enlevé

Sur le chemin du retour, Luther est enlevé par l'un de ses protecteurs, l'électeur de Saxe. Il le cache dans le château de Wartburg, pour le soustraire à tous ceux qui ont intérêt à le faire taire définitivement. Là, Luther se met à traduire le Nouveau Testament en allemand et à rédiger les écrits qui vont alimenter la réforme luthérienne.

Le reste de la vie de Luther est tout aussi tumultueux. Il défend passionnément l'autorité unique de la Bible, s'attaquant de façon de plus en plus virulente à la papauté, ses fastes, ses erreurs et ses errances. Son œuvre littéraire devient considérable et très rapidement diffusée en Allemagne, mais aussi dans tous les autres pays d'Europe. Il entretient une correspondance prodigieuse avec les plus grands et son rôle politique est presque aussi important que son rôle spirituel, même s'il se laisse parfois piéger dans des querelles, voire des guerres qui le dépassent.

Les grandes idées de Luther

S'appuyant sur des propos de Jésus-Christ qui dit : « Mon royaume n'est pas de ce monde... Le royaume de Dieu est au-dedans de vous », Luther développe l'idée selon laquelle la chrétienté n'est pas une société, mais qu'elle se trouve « là où la foi est dans les cœurs ». Il distingue de façon nette la chrétienté spirituelle, intérieure, la seule qui soit l'Église véritable de la création humaine d'une chrétienté extérieure et corporelle, matérialisée par l'organisation ecclésiale.

« L'Église se compose de tous ceux qui, sur terre, vivent dans la vraie foi, l'espérance et l'amour, en sorte que l'essence, la vie et la nature de la chrétienté n'est pas d'être une assemblée des corps, mais la réunion des cœurs dans une même foi. Cette communion spirituelle suffit entièrement à créer la chrétienté et donc la véritable Église. »

L'Église invisible

Du coup, pour Luther, l'Église (en tant qu'organisation) n'a pas besoin d'exister pour que la communauté chrétienne existe ; l'Église visible n'est pas indispensable. Elle n'est pas une institution divine mais bien une organisation humaine : « Il n'y a pas un mot dans la Bible qui dise que l'Église romaine est ordonnée par Dieu. »

Luther cherche ensuite à détruire les prérogatives que s'attribuent l'Église et le pape. Pour lui, il faut les rendre à l'ensemble de la chrétienté, sans distinction entre sacerdoce et laïcat. C'est le sacerdoce universel. Il déclare :

« Personne ne doit se laisser intimider par cette distinction (clergé/laïcs), pour la bonne raison que tous les chrétiens appartiennent à l'état ecclésiastique. Il n'existe entre eux aucun différence, si ce n'est celle de la fonction. Ce sont l'Évangile, la foi et le baptême qui seuls forment l'état ecclésiastique et le peuple chrétien. »

Autre cheval de bataille de Martin Luther : la lecture, la compréhension et l'interprétation de la Bible. Jusque-là, seuls les « romanistes » étaient censés comprendre correctement les Saintes Écritures pour les enseigner ensuite. Luther se moque de ces exégètes des salons romains qui « prétendent être les seuls maîtres de l'Écriture, encore que, leur vie durant, ils ne l'étudient jamais ». Le réformateur développe un principe essentiel pour le protestantisme : l'intelligibilité immédiate de la Bible pour les cœurs bien disposés et le droit d'interprétation pour tout chrétien, sans monopole de ministères spécialisés.

Contre le célibat des prêtres

Luther dénonce encore l'aspect sectaire des institutions monastiques qui prolifèrent. Il ne réclame pas la dissolution de l'ordre monastique, mais sa transformation. Il souhaite que ces monastères et couvents redeviennent ce qu'ils étaient initialement, des écoles chrétiennes où l'on enseignait l'Écriture et la discipline morale du christianisme.

Par contre, il devient farouchement opposé aux vœux du clergé. Il dit des curés qu'ils doivent « assurer le gouvernement des paroisses, prêcher, administrer les sacrements, vivre au milieu de leurs paroisses et matériellement y tenir ménage ». Il demande donc l'abolition du célibat obligatoire des prêtres et des religieuses. Il se marie lui-même avec Catherine von Bora, devenue Mme Luther en fuyant le couvent où, comme beaucoup d'autres religieuses, elles est entrée quelques années plus tôt. Le réformateur, moine abandonnant ses vœux, épouse donc une nonne elle-même en rupture ! Voilà de quoi bouleverser la notion de célibat dans l'Église catholique ! Catherine lui donne six enfants.

Sus aux sacrements

L'excommunication de Luther ne fait que l'encourager à élaborer de nouvelles doctrines, s'inspirant toutes et directement de la Bible. Les critiques de Luther à l'encontre de Rome sont de plus en plus virulentes, de plus en plus précises et de mieux en mieux relayées. Pour lui, la tyrannie romaine a réduit l'Église, la vraie, celle composée de croyants, à la « captivité babylonnienne », allusion à certains épisodes douloureux de l'histoire du peuple d'Israël relatés dans l'Ancien Testament. Il refuse aux prêtres l'aspect « magique » des sacrements : « Le sacrement n'appartient pas aux prêtres mais à tous ! » C'est le sacerdoce universel qui se précise de plus en plus ici. Ainsi, parlant du baptême, Luther développe l'idée selon laquelle le rôle du prêtre, dans le sacrement, est secondaire : « Ne considère la personne de l'officiant que comme un instrument de Dieu par lequel le Seigneur lui-même, qui trône dans les cieux, t'immerge dans l'eau de ses propres mains et t'assure le pardon en t'adressant la parole sur terre avec une voix humaine par la bouche de son serviteur. » Le prêtre n'est plus qu'un instrument, un médium qui ne peut sacraliser de lui-même les gestes qu'il accomplit. Allant plus loin, le baptême n'a plus la valeur que lui attribuait l'Église, à savoir la capacité d'effacer le péché originel. Le baptême est une entrée dans l'Alliance de grâce offerte par Dieu à chacun de ses enfants qui le reconnaissent comme Père.

L'autre sacrement que Luther démonte est celui de la messe et du sacrifice répété par le prêtre lorsqu'il propose l'eucharistie. Pour Luther, le pain partagé est une commémoration, un rappel de l'action du Christ lors du dernier repas pascal qu'il présida sur terre. Il n'y a pas de « transsubtantiation » : le pain changeant de substance et devenant corps du Christ. Sur ce point, l'action de Luther est à mi-chemin entre la position catholique et celle que vont développer d'autres réformateurs, Calvin notamment. De même, Luther ne va pas jusqu'à proposer la communion sous les deux espèces (pain et vin) aux laïcs. Par contre, il est plus précis quant au mariage puisqu'il le sort de la liste des sacrements de l'Église.

Éviter le schisme

Luther souhaite proposer une réforme de l'Église. Elle en a grandement besoin, non seulement à cause de ses déviances et de ses doctrines de plus en plus éloignées de la vérité biblique, mais aussi à cause de son gouvernement, des ses mœurs et de ses abus de pouvoir. Reconnaissant de ce que l'Église lui a apporté, de l'équilibre que la Bible lui enseigne et heureux de servir la théologie en l'enseignant à son tour, Martin Luther ne cherche pas le schisme. Plusieurs de ses lettres adressées au pape prouvent qu'il veut rester soumis à la hiérarchie et au pontife, mais il ne peut accepter que cette soumission ne se retrouve pas de la part du clergé à l'égard de la Bible. Il écrit au pape Léon X :

« Mon cœur ne s'est pas détourné de Votre Sainteté, et je n'ai cessé de demander à Dieu votre prospérité et celle de votre pontificat... J'ai attaqué, il est vrai, la Cour de Rome, dont ni vous ni personne ne niera la corruption, plus grande que celle de Babylone et de Sodome... Loin de m'élever contre votre propre personne, j'ai cru mériter votre reconnaissance en attaquant ardemment votre prison... Je ne puis davantage permettre qu'on impose une manière d'interpréter la Parole de Dieu, car il faut que la Parole, cette source de toutes les libertés, soit libre elle-même. Cela excepté, il n'y a rien que je ne sois disposé à faire ou à souffrir... Ô Léon, mon Père, n'écoutez pas ces sirènes qui vous disent que vous n'êtes pas un homme mais quelque chose comme un Dieu. Non, vous êtes le serviteur des serviteurs. »

Mais l'Église catholique ne veut pas changer, et ce trublion allemand, fils de paysan, doit se taire. En l'excommuniant, Rome pousse Luther à créer, malgré lui, une nouvelle Église. Luther n'est pas de ceux qui se taisent et qui se soumettent à un pouvoir de moins en moins crédible et de plus en plus injuste. La rupture est définitive et la réforme luthérienne est en marche. Nous sommes en 1520.

Il faut attendre les années 1990 pour que le pape Jean-Paul II tente de réparer les erreurs de son prédécesseur Léon X. Il pousse ainsi Rome à se réconcilier avec l'Église luthérienne d'Allemagne. Mais la déchirure est encore bien réelle.

La Bible seule

Toute la vie de Luther est un énorme chantier, car il ne suffit pas de critiquer Rome et d'extraire les croyants du joug sous lequel le clergé les avaient tenus jusque-là. Il faut proposer une nouvelle organisation. Luther y consacre plus de quinze années de sa vie.

Il rejette l'autorité du pape et celle des conciles pour faire de la Bible l'autorité en matière de foi, ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être. On l'a vu, cette Bible a inspiré toutes ses réformes et il faut qu'elle puisse être lue par le plus grand nombre pour que chacun y puise ce dont il a besoin pour vivre sa foi. C'est pourquoi Luther traduit la Bible en allemand. La valeur littéraire de cette traduction reste exemplaire. Achevée en 1534, elle remporte un rapide succès et permet aux idées nouvelles de se propager plus rapidement.

S'il s'attaque aux dogmes, à certaines doctrines, aux sacrements, le réformateur allemand n'en rappelle pas moins ce qu'il faut croire. C'est pourquoi il met au point deux textes fondamentaux et qui le demeurent pour l'Église luthérienne d'aujourd'hui : le Petit Catéchisme (pour l'enseignement des enfants), et la Confession de foi des Églises luthériennes, surtout rédigée par l'un de ses plus précieux collaborateurs, Melanchthon (en 1530).

Luther travaille progressivement à la refonte des offices religieux en modifiant la liturgie, en remplaçant l'usage du latin par l' allemand et en rejetant l'idée du sacrifice répété dans l'eucharistie. Il accepte les icônes, statues et images, mais en interdit la vénération, donnant plus de place à la prédication et aux chants. Les chorals luthériens sont essentiels à la propagation de la foi nouvelle.

A la mort de Luther (1546), presque toute l'Allemagne est devenue luthérienne, à part la Bavière et l'Autriche qui restent fortement attachées à Rome.

Les idées luthériennes se propagent rapidement en Europe centrale (Hongrie, Bohême) et notamment dans les minorités de langue allemande. La Prusse et la Suède y adhèrent également et c'est bientôt le tour du Danemark.

Ulrich Zwingli
(1484-1531)

La Suisse aussi

Alors que Luther commence à avoir une grande influence en Allemagne, des événements similaires ont lieu en Suisse. Il n'y a encore eu aucun contact, mais les choses commencent dans la région de Glaris sous l'impulsion d'un prêtre touché par la pensée humaniste : Ulrich Zwingli. Sa prédication – notamment une prise de position contre le culte rendu à Marie (mariologie) – rencontre un certain écho et il est réclamé à Zurich. De là, le rayonnement de Zwingli augmente. Il insiste sur l'autorité de la Bible et s'attaque, à son tour, à quelques erreurs romaines. Face aux réactions, le conseil de la ville convoque une discussion publique qui met face à face les catholiques romains et les adeptes de Zwingli. Les arguments de Zwingli sont reconnus valables, et la Réforme acceptée officiellement. Après le canton de Zurich, ceux de Bâle et de Berne sont séduits par le zwinglianisme, tandis que les cantons ruraux restent attachés à Rome. Cette tension provoque une guerre civile où Zwingli est tué.

Depuis cette époque (1531), la Confédération helvétique est toujours composée de cantons protestants et de cantons catholiques.

Avant de mourir à l'âge de quarante-sept ans, Zwingli enseigne la Sainte Écriture de façon encore plus rigoureuse que Luther, allant souvent plus loin dans ses interprétations. Ainsi, pour lui, l'eucharistie n'est qu'un acte de commémoration, un souvenir du dernier repas du Christ. En rien elle ne revêt un caractère sacré et encore moins sacrificiel. Zwingli s'attaque violemment au culte des images et fait disparaître toute représentation pieuse des églises. L'austérité des temples protestants est en germe.

Martin Bucer
(1491-1551)

A l'est, du nouveau

Après l'Allemagne et la Suisse, c'est l'Alsace qui est ensuite touchée. La Réforme s'y propage grâce à un disciple de Luther, Martin Bucer. Bucer est également sensible aux idées de Zwingli dont il se rapproche. Il met en place à Strasbourg une liturgie et une organisation intermédiaires entres les réformes de Luther et celles de Zwingli.

Or, entre Luther et Zwingli, la tension est vive. Martin Bucer, placé entre l'écorce et l'arbre, pour ne pas dire entre le marteau et l'enclume, tente un rapprochement des deux hommes. Il provoque une rencontre, encouragé par le comte Philippe de Hesse (qui a des raisons politiques au rapprochement), et dont le but est une explication et une fusion des esprits réformateurs en un seul mouvement. La rencontre historique entre Luther et Zwingli, avec Bucer et même Melanchthon, à lieu à Marburg (Allemagne), en 1529. Les points d'entente sont soulignés, ainsi que les divergences irréductibles. Une déclaration finale est signée et la première rupture du protestantisme pourtant naissant entérinée.

La divergence concerne l'eucharistie (sainte cène), donc un point de doctrine :

« Bien que dans le temps actuel, nous n'avons pas pu nous accorder sur l'article de la présence réelle du corps du Christ dans le pain et dans le vin, les deux parties doivent s'entr'aimer chrétiennement, autant que la conscience le peut permettre, et prier instamment le Dieu puissant qu'il veuille les affermir par son Esprit, dans le vrai sens du sacrement. »

Guillaume Farel
(1489-1565)

La Suisse, encore

En Suisse, Genève craint de tomber sous la coupe du duc de Savoie, qui est soutenu par Rome. Pour garder leur liberté, les Genevois se tournent vers Berne, ville protestante. C'est ainsi que le protestantisme gagne cette autre région de Suisse. Un homme y aura une influence considérable : Guillaume Farel. Il établit des contacts avec les vaudois (disciples de Pierre Valdo). Ce rapprochement porte des fruits inattendus, puisque les vaudois financent la diffusion d'une Bible récemment traduite, celle d'Olivetan : la première Bible française.

Genève n'est pas encore la capitale du protestantisme, mais déjà Farel est en place, lui qui fait bientôt appel à Calvin, qui n'est autre que le cousin d'Olivetan. Le monde est petit, la famille protestante aussi.

Paris presque gagné

Par ailleurs, le luthéranisme gagne bientôt la région parisienne, mais il y rencontre rapidement une violente opposition. Le premier martyr est un moine, Jean Vallière, converti aux idées de Luther. Il est brûlé à Paris en 1523. Les œuvres de Luther sont traduites par Louis de Berquin, également brûlé en 1529. Cinq ans plus tard a lieu l'« affaire des placards ». François Ier trouve, placardé sur la porte même de sa chambre, un texte virulent contre l'Église et la messe. Le roi, qui ne tenait pas trop à s'impliquer dans une querelle religieuse, trouve pourtant que les choses vont trop loin et décide de porter un coup rude à la Réforme naissante. Il organise une procession expiatoire dans la capitale. Sur le parcours, six protestants sont brûlés sur des bûchers improvisés.

C'est cette affaire qui oblige Calvin à quitter Paris pour Genève.

Jean Calvin
(1509-1564)

Le deuxième acteur de la réforme religieuse

Il naît à Noyon, en Picardie, en juillet 1509, alors que Luther a vingt-cinq ans. C'est dire que Calvin fait partie de la deuxième génération du protestantisme. Il n'a pas à installer les idées nouvelles. Il ne fait que les appliquer et montrer son degré d'implication dans la vie quotidienne au sein du monde séculier. Il n'invente rien, ou presque, sur le plan théologique que Luther, Zwingli, Bucer ou les autres pré-réformateurs n'aient déjà esquissé, débattu ou institué. Mais Calvin est un parfait théoricien, un « communicateur », un évangéliste à sa manière. Il est en effet capable de rendre populaires les idées théologiques les plus difficiles, de rendre claires les subtilités exégétiques les plus ardues. Sa formation de juriste est des plus adaptées pour défendre ces idées et pour plaider la vérité biblique.

Itinéraire d'un enfant doué

Issu d'un milieu bourgeois, il côtoie très tôt les ecclésiastiques puisque son père, légiste et financier, s'occupe des intérêts de l'évêque. Très tôt également, il est confronté à l'anticléricalisme proverbial des picards. « Picard » est d'ailleurs devenu un sobriquet injurieux à la mode, à l'encontre des hérétiques. Gérard Cauvin1, père de Jean, connaît à son tour des démêlés avec la curie et devient très méfiant à l'égard de l'Église. Ce qui n'empêche pas le jeune Calvin de bénéficier de bourses ecclésiastiques pour ses études, lesquelles sont brillantes. Après Noyon, Jean Calvin se rend à Paris, puis au séminaire de Montaigu où il croise quelques temps un certain Ignace de Loyola2. Il passe aussi par Orléans et Bourges. Il y rencontre la sœur du roi, Marguerite d'Angoulême, duchesse du Berry. Elle devient un temps sa protectrice. Calvin est déjà sensibilisé aux idées de Luther. Deux hommes semblent avoir eu un impact sur son éveil à la foi évangélique : son professeur à Paris, Mathurin Corbier, devenu luthérien et que Calvin va retrouver plus tard à Genève, et son cousin Olivetan qui lui demanda de relire sa traduction de la Bible en français et d'en rédiger une préface.

1 On ne sait trop comment Cauvin est devenu Calvin.

2 Ignace de Loyola fonde plus tard, la Compagnie de Jésus, autrement dit les jésuites, ordre déterminant au service de la Contre-Réforme.

Dans l'entourage de Marguerite d'Angoulême, le luthéranisme séduit beaucoup. L'étudiant Calvin y rencontre un juriste allemand et reçoit de lui des compléments théologiques et juridiques fortement influencés par le réformateur de Wittenberg.

Très rapidement, Calvin se montre exceptionnellement doué en matière de foi et d'explications théologiques. On aime le consulter. Pour son ami Nicolas Cop, recteur d'université à la Sorbonne, il rédige un discours très osé en matière évangélique, qui provoque à son égard une menace sérieuse et l'oblige à quitter Paris.

Sous le juriste, la plume

Il se réfugie à Bâle, en Suisse, et entreprend la rédaction d'un traité de doctrine destiné à expliquer ce qu'est la foi évangélique. C'est ainsi qu'il commence l'écriture, en 1535, de L'Institution chrétienne, une œuvre qu'il va peaufiner tout au long de sa vie.

Il dédie la première édition à François Ier. Depuis l'« affaire des placards », il désire calmer la colère du roi de France à l'encontre des protestants. C'est aussi à cette époque que Farel lui demande, avec insistance, de venir s'établir à Genève pour lui confier la première place de l'Église. Calvin y rédige alors une confession de foi que tous les Genevois doivent signer. Or, la foi des Genevois consiste surtout à se démarquer des prêtres de l'Église catholique. La discipline que Calvin exige ne leur plaît guère, et Farel comme Calvin sont bannis de Genève.

Martin Bucer demande alors à Calvin de venir à Strasbourg, pour s'y occuper de la communauté française. Plus tranquille dans cette région alsacienne, Calvin se met à publier des cantiques mis en vers par Clément Marot et par lui-même. Il épouse une veuve, Idelette de Bure.

Retour à la case Genève

Quelques années plus tard, en 1541, les Genevois réclament le retour de Calvin en constatant que, sans lui, les désordres de toutes sortes empoisonnent la ville. Calvin interprète cet appel comme venant de Dieu.

Pendant plus de vingt ans, Calvin est le maître de Genève et y fonde la réforme calviniste.

Sa doctrine s'attache essentiellement à la Bible et il base toute sa théologie sur la révélation de Dieu dans l'Écriture. Il insiste sur la grâce de Dieu et sur le fait que le chrétien doit avoir l'assurance de son salut dès lors qu'il se convertit réellement à Dieu et à Dieu seul. Il réduit les sacrements à des signes, à des rappels de l'action de Dieu et non à des recommencements. Ainsi, le Christ est présent spirituellement au moment de la Cène, mais il n'est pas présent matériellement dans l'eucharistie, ni dans le vin.

Calvin abolit la hiérarchie épiscopale et réduit la distance entre le clergé et les laïcs. Les pasteurs sont chargés de la prédication et de l'administration des sacrements restant. L'église locale est administrée par un conseil dit « conseil d'anciens ». Les actions sociales de l'église sont confiées à des diacres.

La liturgie de l'Église de Genève adopte en grande partie celle que Calvin a élaborée à Strasbourg en compagnie de Martin Bucer. Cette liturgie a peu évoluée jusqu'à aujourd'hui et elle est toujours pratiquée dans l'Église réformée de France. On y constate une certaine gravité dans la simplicité.

Calvin retire du calendrier presque toutes les fêtes catholiques et ne conserve que les célébrations de Noël, de Pâques et de Pentecôte, et naturellement l'observance du dimanche.

Calvin rédige de très nombreux ouvrages. Sans parler de son Institution chrétienne à laquelle il travaille jusqu'en 1559, il écrit des commentaires bibliques sur tous les livres du Nouveau Testament et sur certains de l'Ancien. Il rédige aussi un catéchisme et de nombreux traités.

Il meurt à cinquante-cinq ans, épuisé par le travail et la maladie, sans laisser d'héritier (tous ses enfants sont décédés en bas âge) ni aucune fortune. Nul ne sait où il est enterré.

Foi ardente

En France, le roi François Ier s'oppose plus ou moins violemment à la propagation du protestantisme. Il est l'instigateur du massacre des vaudois de Provence. Son fils Henri II, juge les protestants comme étant des hérétiques et demande au Parlement de créer une chambre spéciale pour les juger. Cette chambre est surnommée la « chambre ardente » tant elle envoie de personnes au bûcher. Ces persécutions n'arrêtent cependant pas le progrès de la nouvelle religion en France. Des colporteurs vont de ville en village pour propager l'Évangile. Bientôt, Genève envoie des pasteurs qu'elle forme pour mettre en place des églises plus ou moins clandestines. A la mort d'Henri II, il y a deux mille de ces pasteurs en France.

En 1559, le premier synode (rassemblement) des pasteurs se tient dans le secret à Paris, alors qu'on y brûle des protestants. Ce synode adopte la confession de foi dite de La Rochelle3 et met en place une organisation de l'Église. Celle-ci est toujours valable aujourd'hui. Chaque paroisse (église locale) nomme un conseil presbytéral (d'anciens), lequel s'occupe de l'organisation de l'église locale. Des délégués de cette structure (pasteurs et laïcs) sont envoyés dans un consistoire (plusieurs églises locales). Les consistoires se réunissent occasionnellement en synodes régionaux. Les synodes régionaux délèguent ensuite des représentants pour le synode national. Ce dernier prend des décisions administratives, voire théologiques, qui sont alors valables pour toutes les églises locales. C'est donc une pyramide qui vient de la base et qui y retourne.

3 Voir ce texte en annexe.

L'anglicanisme

Une autre version de la réforme

En Angleterre, les disciples de Wyclif existent toujours, mais leur réforme souhaitée n'a eu que peu de prise sur l'Église catholique. L'humanisme s'introduit dans les universités et la pensée libre prépare le terrain pour une réforme plus profonde. Le Nouveau Testament est traduit en anglais mais imprimé en Allemagne. Le roi d'Angleterre, Henri VIII, est très hostile à la Réforme et il entre même en controverse avec Luther. Il reçoit pour cela, le titre de « défenseur de la foi », de la part de Rome. Ce qui n'empêche pas Henri VIII de prendre de la distance avec le pape au moment où il décide de répudier sa femme, Catherine d'Aragon, pour épouser Anne Boleyn.

C'est à cette époque que la Parlement anglais se met à restreindre l'autorité du pape sur l'Angleterre. En 1534, il promulgue même l'Acte de suprématie qui fait du roi le chef suprême de l'Église d'Angleterre. Aussitôt, le pape excommunie le roi. La rupture avec Rome est consommée, mais la Réforme n'y a été pour rien.

Lorsque Henri VIII épouse sa troisième femme, Jeanne Seymour, il manifeste sa rupture avec Rome en détruisant plusieurs monastères et en pillant les trésors de l'Église. Il facilite encore la diffusion de la Bible. Ce qui ne veut pas dire qu'il est gagné aux idées de la Réforme puisque, s'il décapite des catholiques rebelles, il brûle des protestants qu'il considère comme hérétiques !

Le successeur d'Henri VIII, Édouard VI, fils de Jeanne Seymour, est élevé par des protestants. Il accepte la venue de réformateurs en Angleterre, comme Bucer, en provenance de Strasbourg, ou Knox qui a souvent rencontré Calvin à Genève et a fondé l'Église protestante en Écosse.

C'est ainsi que naît l'anglicanisme, qui se situe entre le catholicisme et le protestantisme.

Aujourd'hui, le souverain d'Angleterre est le chef suprême de l'Église anglicane.

La Contre-Réforme

La réaction catholique

L'Allemagne, la France, l'Écosse, la Suisse, l'Angleterre et une partie de l'Europe centrale se démarquent de plus en plus de l'autorité souveraine de Rome. Au début, le catholicisme est désemparé et ne sait comment réagir pour contrer la Réforme qui gagne de plus en plus de terrain et, naturellement, ôte ses prérogatives à la papauté. Vers le milieu du XVIe siècle, Rome se réorganise et entreprend une résistance puis une contre-attaque : c'est la Contre-Réforme.

Le pape Paul III convoque un concile en 1540. Celui-ci se tient dans la ville de Trente, en Italie du Nord, et il dure près de vingt ans, interrompu pour cause de peste puis de guerre. Les évêques italiens et espagnols sont pour une consolidation du catholicisme, ceux d'Allemagne et de France, moins nombreux, pour des réformes internes énergiques. Les débats sont conduits par les légats du pape. Le résultat est prévisible.

Paul III veut réformer la discipline et les mœurs dans l'Église, une des principales critiques des adeptes de la Réforme. Il souhaite surtout faire cesser l'hérésie protestante et ainsi rétablir la paix dans l'Église.

Ceux qui espèrent une réforme en profondeur de l'Église catholique en sont pour leurs frais. En effet, le concile interdit la lecture de la Bible en langue vulgaire, proclame la justification par les œuvres, confirme la doctrine du purgatoire, le culte des saints, des images et des reliques, sans oublier l'usage des indulgences. On y décide même que le pape a toute autorité en matière de foi et de décision sur l'Église, ce qui rend caduque l'organisation de futurs conciles. Et de fait, il faut attendre trois siècles avant qu'un nouveau concile soit convoqué.

Jésuites et Saint-Barthélemy

Paul III réorganise les ordres monastiques afin que ces derniers deviennent plus « missionnaires » et reprennent autorité sur la population. Il institue la Compagnie de Jésus, c'est-à-dire l'ordre des jésuites, sous l'autorité d'Ignace de Loyola. Cet ordre met en place des écoles pour s'occuper très tôt des enfants et ainsi influencer les générations futures dans un catholicisme fort. Le pape réintroduit également l'Inquisition.

On le voit, Rome redéfinit son pouvoir. Après Paul III, c'est son successeur Pie IV qui prend le relais en faisant par exemple pression sur Catherine de Médicis pour qu'elle s'oppose en France aux protestants. C'est ce qu'elle va faire avec une certaine violence, jusqu'à l'ordre du massacre de la Saint-Barthélemy.

Partout, en Europe, la Contre-Réforme est à l'origine de guerres ou d'une sévère inquisition. Sous la pression du roi d'Espagne, Philippe II – également roi des Pays-Bas, d'une partie de l'Italie et de colonies d'Amérique, du Portugal et des colonies portugaises –, le catholicisme est réimplanté dans ces territoires avec force grâce aux jésuites. L'Inquisition ne touche d'ailleurs pas que les protestants puisqu'elle vise aussi les juifs et les arabes (Maures).

Marie la Sanglante et l'Invincible Armada

En Angleterre, c'est Marie, la femme de Philippe II, qui devient reine en succédant à son demi-frère Édouard VI. Très catholique, elle exige du Parlement qu'il se soumette au pape et persécute les protestants, à tel point qu'elle est surnommée « Marie la Sanglante ».

A sa mort, la fille d'Anne Boleyn monte sur le trône. Le peuple, écœuré de l'attitude sauvage de Marie, est soulagé de voir qu'elle rétablit le protestantisme. Elle tente même de l'introduire en Irlande et, maladroitement, cherche à soumettre les catholiques de cette île. Les guerres entre catholiques et protestants d'Irlande ne font que commencer !

En Écosse, Marie Stuart, catholique élevée en France, monte sur le trône dans un pays devenu protestant – avec une certaine rudesse il est vrai – avec John Knox. Sa vie et ses mœurs scandalisent le peuple qui la pousse à l'abdication en faveur de son fils, Jacques, élevé dans la foi des réformateurs. Les espoirs catholiques pour l'Écosse viennent de s'évanouir. Marie Stuart se réfugie en Angleterre, mais comme Élisabeth la suspecte de vouloir lui ravir le trône, elle la fait mettre en prison puis décapiter. Cela provoque la colère du pape qui, du coup, offre l'Angleterre à Philippe II d'Espagne. Ce dernier arme une flotte pour conquérir l'Angleterre : l'Invincible Armada. La défaite de cette flotte est proportionnelle à ses prétentions. Philippe II accuse le sévère camouflet, et la Contre-Réforme échoue totalement.

Début des guerres de Religion en France

En France, après François Ier et Henri II, règne François II, époux de Marie Stuart, apparenté à la famille de Guise, dont le fanatisme catholique est connu de tous. Les protestants tentent d'enlever le roi afin de le soustraire à l'influence des Guise, mais ratent leur coup. Le règne de François II est très bref (1559-1560) et son frère Charles IX lui succède. De fait, Catherine de Médicis prend la régence. Elle tente une conciliation entre les Guise, les princes de sang, les jésuites et les protestants. Théodore de Bèze, fidèle collaborateur de Calvin, est le porte-parole des réformés. Lors d'un colloque, les débats prouvent que la conciliation est impossible et c'est grâce à l'influence de Michel de l'Hôpital que les protestants profitent d'une certaine tolérance (édit de Saint-Germain). Mais cette tolérance irrite François de Guise qui, surprenant des protestants rassemblés pour leur culte, à Wassy, les fait tous massacrer par ses soldats. Cette action provoque le début des huit guerres de Religion qui vont ensanglanter la France.

Catholiques et protestants prennent les armes. Catherine de Médicis fait appel au pape et à Philippe II. Les protestants, de leur côté, font appel à Élisabeth d'Angleterre. Les catholiques veulent extirper le protestantisme, les protestants veulent la liberté de conscience et de religion.

Trois Henri et une messe

L'un des faits les plus marquants de cette période est le massacre de la Saint-Barthélemy.

A l'occasion du mariage de Henri de Navarre (protestant et futur Henri IV) avec la sœur de Charles IX, toute la noblesse protestante est au Louvre. Catherine de Médicis, régente, n'aime pas l'influence sur son fils de Gaspard de Coligny, amiral protestant. Elle tente de le faire assassiner, mais l'attentat ne fait que le blesser.

Suite à cet événement, un conseil est tenu avec le roi. Sous la pression de sa mère, Charles IX décide de l'exécution de l'amiral, mais aussi du massacre de tous les protestants afin qu'aucun ne lui en fasse le reproche. Il vient de donner le signal tant attendu par Catherine.

Coligny est tué, défenestré et sa dépouille malmenée par la population qui s'acharne ensuite sur tous les protestants. Le massacre dure trois jours à Paris, puis c'est en province qu'il se poursuit. On estime que plus de cent mille personnes sont assassinées en France. Henri de Navarre ne sauve sa vie qu'en abjurant.

En apprenant la nouvelle de ce massacre, le pape manifeste sa joie en faisant frapper une médaille commémorative.

Charles IX meurt quelque temps plus tard et Henri III son frère, monte sur le trône. Loin de Paris, Henri de Navarre redevient protestant, mais surtout susceptible de monter à son tour sur le trône de France.

Henri III fait assassiner le duc Henri de Guise, à Blois, parce qu'il a peur de le voir prendre sa place puis est assassiné à son tour. La guerre des trois Henri prend fin avec l'arrivée d'Henri de Navarre qui, pour devenir Henri IV et roi de France, redevient catholique en lançant la fameuse formule : « Paris vaut bien une messe ! »

Par ses abjurations successives, Henri IV déçoit fortement ses partisans protestants, mais il leur accorde plusieurs libertés avec l'édit de Nantes, nouvel édit de tolérance (1558). Il est perpétuel et irrévocable. Il va pourtant être révoqué par son petit-fils, Louis XIV.

Prime d'abjuration

Au début du XVIIe siècle, on constate que le protestantisme s'est installé dans bon nombre de pays d'Europe. La Contre-Réforme en a ralenti l'extension, notamment en France, mais il s'est affermi en Angleterre, en Allemagne et dans les pays scandinaves.

Henri IV est assassiné par Ravaillac, sans doute à la solde des jésuites. Louis XIII monte sur le trône, et les querelles entre catholiques et protestants sont à nouveau assez vives pour entraîner des guerres. C'est l'épisode, entre autres, du siège de La Rochelle, ville protestante en rébellion avec Paris où règne le cardinal de Richelieu. La ville est soumise à la famine et doit se livrer. La solidarité protestante n'a pas joué au niveau national pour aider Le Rochelle qui s'est résolue à demander l'aide de l'Angleterre, en vain.

Plus tard, Louis XIV devient roi. Dans un premier temps, le cardinal Mazarin est l'homme fort de la régence, mais il est aussi homme de la tolérance. Il avoue être redevable et reconnaissant au patriotisme des protestants. Lorsque Louis XIV prend toutes les rênes du pouvoir, il se montre de moins en moins tolérant, influencé par ses confesseurs jésuites, le Père La Chaise notamment et bientôt Mme de Maintenon. Les libertés des protestants se réduisent peu à peu. On va jusqu'à offrir une prime aux protestants qui abjurent. Puis, encouragé par Bossuet, le roi envoie ses missionnaires bottés : les dragonnades. Ces soldats s'installent chez les protestants et y exercent mille pressions pour que les personnes reviennent à la religion du roi : vols, violences, viols sont les moyens utilisés par les « convertisseurs ».

La France perd les meilleurs de ses enfants

Suite à ces pressions, de nombreux protestants quittent le pays ou abjurent. Les résultats sont tels qu'officiellement il n'y a plus de protestants en France. Du coup, le roi révoque l'édit de Nantes puisqu'il n'a plus, selon lui, de raison d'être (1685). Les temples sont détruits, le culte protestant interdit. Les pasteurs ont quinze jours pour quitter le pays, tandis que les autres protestants ne peuvent plus sortir de France, sous peine de galères ou de prison. Ce qui n'empêche pas des milliers d'entre eux de fuir et d'être accueillis par plusieurs nations protestantes comme la Hollande, l'Angleterre, la Suisse ou l'Allemagne. Ces immigrés sont une véritable richesse pour les pays qui les accueillent. Les historiens reconnaissent aujourd'hui que cette révocation de l'édit de Nantes et ses conséquences ont provoqué une saignée intellectuelle et économique considérable en France. Par ailleurs, les pays protestants entament alors une politique de méfiance à l'encontre de cette France si méprisante à l'égard d'un grand nombre de ses sujets.

Ainsi se forgent les esprits

Cette longue et tumultueuse histoire forge l'esprit, voire la sociologie protestante plus que sa théologie. Ainsi, ce que Mazarin a constaté, à savoir le patriotisme des huguenots (protestants), se retrouve toujours et jusqu'à aujourd'hui grâce au nombre impressionnant de hauts fonctionnaires. Ce patriotisme s'est exercé également à l'extérieur des frontières, lorsque les protestants ont été accueillis dans tel ou tel pays, où ils sont rapidement devenus des citoyens actifs et entreprenants.

Cet esprit d'entreprise et d'implication vient aussi d'une perception de l'homme dans le monde. La liberté de conscience et donc la pensée libre, autonome et déterminante dans sa dimension personnelle, entraîne un fort esprit d'initiative. Le salut personnel, sans besoin d'intermédiaire, encourage une certaine indépendance, laquelle façonne l'individualisme par rapport à la collectivité. Cela pourrait entraîner un certain égoïsme préjudiciable si la théologie ne venait corriger ce travers. En effet, l'insistance biblique de l'amour du prochain et la mise en pratique nécessaire des commandements évangéliques contraignent les protestants à éviter l'écueil de l'individualisme.

Forts de ces réflexes nouveaux, dans l'exil forcé, les protestants emportent avec eux une intelligence qui manquera ensuite à la France, mais qui permet l'essor rapide des pays d'accueil. Le sens du commerce et des échanges avec une certaine probité et honnêteté permet l'accroissement de certaines fortunes. Faire prospérer l'entreprise passe par le bien-être des gens qui y travaillent. La diaspora encourage ensuite les réseaux et l'internationalisation des échanges.

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