Oui, nous sommes protestants

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Les fondements du protestantisme

L'autorité de la Bible

Nous l'avons vu dans les pages précédentes, le protestantisme se fonde sur la Bible, considérée comme la Parole de Dieu, seule et unique autorité : sola scriptura. Il faut se souvenir que toutes les Églises chrétiennes reconnaissent à la Bible une valeur prépondérante et les chrétiens n'ont pas attendu la Réforme pour découvrir son importance. Seulement, le protestantisme accorde à la Bible et à elle seule l'autorité. L'Église et ses conciles, la tradition et les dogmes qui découlent d'une interprétation de la Bible ne l'ont pas. Le protestantisme s'oppose notamment à l'Église catholique qui revendique le pouvoir d'interpréter le texte sacré et qui s'octroie, du coup, une autorité identique à la Bible, un passage obligé et donc usurpé.

Les réformateurs, puis l'ensemble des protestants, refusent de façon de plus en plus forte le droit à l'Église catholique d'être le seul interprète de la Parole de Dieu. Ni la tradition, ni le clergé ne doivent édicter le sens de la Bible. En fait, ce que la pensée de Luther a de révolutionnaire, c'est de dire qu'il n'y a pas d'unicité entre l'Église et la Bible. De la même manière qu'au XIXe siècle, le protestantisme va travailler à séparer l'Église de l'État, il travaille d'abord à séparer l'Église de la Bible.

Le protestantisme encourage également une lecture intelligente (individuelle), pour ne pas dire savante, de la Bible. Comme elle a pour lui une valeur unique et exclusive en matière de foi, elle doit être lue et étudiée par chacun, en utilisant pour ce faire tous les moyens scientifiques mis à sa disposition. Les réformateurs se sont élevés contres les lectures allégoriques, souvent fantaisistes de la Bible, pour promouvoir une lecture plus rigoureuse, éclairée des méthodes philosophiques chères aux humanistes. Les grammaires, les encyclopédies et la connaissance des langues anciennes doivent appuyer sa lecture. Riche des découvertes qui en découlent, il faut aussi rendre accessible au plus grand nombre cette Bible qui est faite pour tous. L'effort du protestantisme pour la mettre entre toutes les mains, sans cesse retravaillée, est un signe de cette volonté farouche.

La Bible est donc l'unique autorité en matière de foi. Elle montre le chemin du salut et enseigne la vie.

La théologie libérale du XIXe siècle a porté de rudes coups à l'autorité de la Bible en discréditant ses origines, ses auteurs, sa composition, ses objectifs. Aujourd'hui, la théologie libérale n'a plus de défenseurs sérieux, juste quelques héritiers, et elle a laissé place à d'autres coquetteries intellectuelles, non sans avoir vidé bon nombre d'églises de ses membres.

Les fondamentalistes évangéliques, en voulant absolument protéger l'autorité de la Bible des attaques théologiques libérales et critiques, ont forgé le principe d'inerrance biblique, principe qui veut que la Bible ne comporte aucune erreur dans quelque domaine que ce soit. Cette pensée est encore très présente dans une frange radicale du protestantisme, mais elle est aussi battue en brèche, y compris dans la mouvance néo-évangélique qui y voit une sorte de superstition spirituelle.

Il est important, à ce stade, de signaler la différence entre le fondamentalisme et l'évangélisme, deux branches du protestantisme que l'on confond souvent. (Voir II.1.)

Le salut gratuit

Sur ce point encore, les rappels historiques ont déjà permis de dire l'essentiel. Il se trouve défini en quelques lignes par l'apôtre Paul (surnommé parfois le « seul saint des protestants ») dans une de ses lettres :

« Vous êtes sauvés par la grâce, par le moyen de la foi, cela ne vient pas de vous, c'est le don gratuit de Dieu. » (Éphésiens 2.8)

Commentant cette affirmation paulinienne, Calvin déclare que c'est là le principal article de la foi chrétienne. Et il est vrai que ce point contient toutes les autres vérités bibliques. Le salut gratuit est la substance même de l'Évangile. Il est une exclusivité chrétienne remise au goût du jour et farouchement défendue par le protestantisme.

Le naturel, même religieux, conduit l'homme à gagner, à mériter ou à acheter son salut. Les bonnes œuvres, les pratiques pieuses et le sacrifice des adorateurs, dans bon nombre de religions, rendent les dieux favorables. La Réforme et le protestantisme signalent que le salut ne dépend ni de ce que nous sommes, ni de ce que nous faisons. Tout vient de Dieu, tout est grâce. Le salut est offert gratuitement à qui manifeste sa foi.

Il faut alors définir ce que le protestantisme appelle foi. A chaque page de la Bible, les termes « foi » et « croire » sont présents. Ce qui ne veut pas dire qu'il est facile de trouver une définition de la foi dans la Bible. La plus précise se trouve cependant dans le Nouveau Testament, toujours sous la plume de Paul :

« La foi, c'est l'assurance des choses qu'on espère, la démonstration de celles qu'on ne voit pas. » (Hébreux 11.1)

C'est dire que, par la foi, le croyant tient pour vraies des réalités qui sont maintenant invisibles, soit parce qu'elles sont à venir (en ce sens la foi est proche de l'espérance), soit parce qu'elles échappent à une connaissance expérimentale en vertu même de ce qu'elles sont. Quelles sont ces réalités ? L'apôtre Paul précise, ce que les protestants soutiendront ensuite avec force, que la foi est d'abord la foi en Dieu qui a créé le monde par sa Parole et qui a préparé, dans l'ancienne alliance (Ancien Testament) un salut réalisé maintenant par le Christ. Jésus est « celui qui guide la foi et la mène à la perfection » (Hébreux 12.2). Autrement dit, le Christ, centre des deux Testaments, est le chef de tous les croyants passés et futurs, d'Israël et de l'Église. Les croyants ne peuvent parvenir au salut que par cette union de foi avec Jésus-Christ1.

1 MENOUD Ph.-H. Vocabulaire biblique, Éditions Delachaux & Niestlé, 1964.

Pour le protestant, la foi se produit en l'homme, mais elle ne vient pas de lui. Elle est, elle aussi, un don de Dieu, une caution divine. Au moment de sa conversion, le croyant est habité par le Christ. La foi naît de cette présence active au cœur du chrétien.

La foi ressemble alors à l'amour qui peut s'emparer d'un être et qui va le saisir tout entier. L'apôtre Paul déclare que la foi vient de ce que l'on entend, et ce qu'on entend vient de la Parole du Christ.

La gratuité du salut découle donc directement de la venue de Jésus-Christ. On pourrait résumer l'œuvre du Christ en prenant les grandes lignes de l'Évangile de Jean. Ce dernier signale avoir écrit son évangile afin que les lecteurs croient que Jésus est bien le Christ, le Messie de Dieu, et qu'en croyant, chacun puisse avoir la vie. Croire, c'est admettre que Jésus n'est pas seulement le fils du charpentier d'une obscure bourgade d'Israël, mais qu'il est aussi Fils de Dieu, incarnation divine venue au monde pour y donner sa vie. Jésus est même le seul chemin véritable et vivant qui conduise à Dieu. Il déclare d'ailleurs :

« Nul ne vient au Père que par moi ! » (Jean 14.6)

Avoir la foi, c'est faire confiance en ce message.

Cette déclaration fracassante empêche toute autre voie, et notamment celle des mérites et des œuvres, mais aussi les sentiers intermédiaires comme l'intercession auprès des saints et de Marie, pour saisir quelque chose de Dieu.

Quand on dit que le protestant ne croit pas en Marie, il faut préciser, pour être juste, qu'il ne la prie pas, puisqu'il ne la considère pas comme médiatrice.

Concernant les œuvres et les mérites, le protestant usera volontiers d'une formule simple et claire : « Je ne pratique pas de bonnes œuvres pour être sauvé, mais parce que je suis reconnaissant d'avoir été sauvé ! »

La motivation est différente et la gratuité, de part et d'autre, sauvegardée. Mais la gratuité du salut n'entraîne pas une passivité de la part du protestant. Ses œuvres sont signes de la grâce dont il a été le bénéficiaire. Et ces œuvres, actions, solidarités, engagements seront d'autant plus utiles et efficaces pour le prochain et pour la société qu'ils n'entrent pas en comptabilité pour un quelconque salut méritoire ou une gloire personnelle.

Or, lorsque le protestant atteste que la foi et le salut viennent seulement de Dieu, il soulève une nouvelle question épineuse. En effet, si Dieu fait surgir la foi et accorde le salut gratuit chez l'individu sans que celui-ci fasse quoi que ce soit pour les mériter, pourquoi tout le monde n'est-il pas au bénéfice de cette grâce ? Comment le Dieu de l'univers et de tous les hommes ferait-il acception de personnes ?

La prédestination

A cette question précise qui soulève le difficile problème de la prédestination, le protestantisme propose trois réponses possibles.

La première est la plus périlleuse : Dieu fait ce qu'il veut ! Par une décision libre et souveraine qui n'accepte aucune remarque et ne donne aucune explication, Dieu décide de sauver quelques-uns, mais pas tous ! Les croyants ne sont pas meilleurs que les autres, ils ont juste la « chance » d'avoir été choisis, élus et prédestinés au salut. Par voie de conséquence, les autres n'ont pas cette chance et sont pré-destinés à la perdition.

Cette explication (proposée par Calvin) dérange fortement et divise le protestantisme, pour ne pas dire toute la chrétienté.

La deuxième piste est plus généreuse : Dieu sauve tout le monde ! La gratuité du salut oblige le salut pour tous et le salut de tous, d'une manière ou d'une autre, maintenant ou plus tard, ici ou ailleurs, d'accord ou pas. Les chrétiens sont privilégiés parce qu'ils ont été choisis dès leur vie ici-bas pour servir Dieu et le faire connaître ; mais ils ne peuvent avoir la prétention d'être les seuls sauvés. Cette pensée est défendue par les universalistes.

La troisième explication est plus prudente : les voies du Seigneur sont impénétrables ! Nous n'en savons rien, et comment pourrions-nous connaître la pensée insondable d'un Dieu trois fois saint, nous qui sommes de sinistres créatures, de vulgaires pécheurs ? Notre compréhension, notre perception, notre entendement sont limités. Nous ne pouvons rivaliser avec l'omniscience du Très-Haut. La foi doit nous conduire à avoir confiance en la justice de Dieu et nous sommes ses instruments pour le proclamer.

La justification et la sanctification

En théologie, l'action de Dieu envers l'homme, et notamment le don gratuit de la vie éternelle (le salut), porte un nom : la justification (rendu juste).

Sauvé gratuitement, sans le secours des œuvres, le protestant cherche pourtant à manifester sa reconnaissance par une vie d'obéissance et d'engagement pour son Dieu. C'est ce qu'on appelle « sanctification » (rendu saint).

Le protestantisme réinterprète les notions de justification et de sanctification. Pour être un peu synthétique, il est possible de résumer ainsi les choses.

Selon le catholicisme, la sanctification (être saint) conduit l'homme a être justifié (rendu juste) par Dieu qui lui offre le salut. D'où la nécessité des œuvres et des conduites exemplaires pour gagner ce salut.

Selon Luther et les Églises luthériennes, la justification et la sanctification coïncident et se renouvellent à chaque instant. Le croyant demeure un homme pécheur et Dieu ne veut pas en tenir compte, puisqu'il renouvelle sa grâce à tout moment afin de justifier encore et encore celui qui se reconnaît pécheur.

Selon Calvin et le protestantisme réformé, la justification venant de Dieu est l'initiative première et unique, entraînant aussitôt le salut. La sanctification est une conséquence, un processus en marche qui fait écho à un acte divin, lequel est acquis une fois pour toutes.

La subtile différence entre les perceptions catholique et protestante de la grâce, de la justification et de la sanctification a été expliquée de façon inattendue par André Gounelle, professeur titulaire de la faculté de théologie protestante de Montpellier, lequel a emprunté ses images à l'hindouisme.

Ainsi, quand un bébé singe se trouve en danger, sa mère vient à son secours. Le petit s'agrippe à sa mère qui l'emporte rapidement loin du danger. Le petit singe ne peut se sauver tout seul, d'où l'intervention de la mère. Mais il doit participer à son secours en se tenant fermement à la guenon. S'il lâche prise, il est perdu. L'hindouisme parle alors de la « grâce du singe », laquelle fait écho à la perception catholique du salut auquel le croyant doit participer.

L'hindouisme parle aussi de la « grâce du chat ». Quand un petit chat se trouve en danger, sa mère vient à son secours. Le chaton attend et la chatte le saisit dans sa gueule, par la peau du cou, pour l'emporter loin du danger. Pas de participation pour le chaton, c'est la mère qui fait tout.

C'est aussi l'image protestante du salut : Dieu fait tout !

Les sacrements

Pour Calvin, mais aussi pour saint Augustin, le sacrement est une cérémonie qui constitue le signe visible d'une chose sacrée et donc invisible. Le catholicisme reconnaît et pratique sept sacrements : le baptême, la confirmation du baptême, l'eucharistie, la pénitence, l'onction des malades, l'ordination et le mariage. De cette liste, le protestantisme n'en conserve que deux : le baptême, qui peut revêtir diverses formes, et la Cène (communion ou eucharistie). Pour le protestant, la liste est réduite en fonction des seules ordonnances du Christ.

C'est lors du repas pascal, juste avant son arrestation, son jugement et sa mise à mort, que Jésus recommande en effet à ses disciples de répéter le geste du partage du pain et du vin et de l'inscrire dans un mémorial :

« En effet, voici l'enseignement que j'ai reçu du Seigneur et que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain et, après avoir remercié Dieu, il le rompit et dit : “Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites ceci en mémoire de moi.” De même, il prit la coupe après le repas et dit : “Cette coupe est la nouvelle alliance de Dieu, garantie par mon sang. Toutes les fois que vous en boirez, faites-le en mémoire de moi.” En effet, jusqu'à ce que le Seigneur vienne, vous annoncez sa mort toutes les fois que vous mangez de ce pain et que vous buvez de cette coupe. » (1 Corinthiens 11.23-26)

Après sa mort et sa résurrection, Jésus est apparu aux disciples et les a envoyés dans le monde pour accomplir leur mission d'évangélisation. Ce sont les derniers mots relatés dans l'Évangile de Matthieu :

« Jésus s'approcha et leur dit : “Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez donc auprès des gens de toutes les nations et faites d'eux mes disciples ; baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à pratiquer tout ce que je vous ai commandé. Et sachez-le : je vais être avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde.” » (Matthieu 28.18-20)

A partir de ces deux textes, les protestants célèbrent Cène et baptême comme sacrements, par l'obéissance à Jésus-Christ.

Le terme même de « sacrement » dérange les protestants parce que l'aspect sacré qu'il recouvre peut conduire à la confusion et à l'erreur. Le protestant craint plus que tout la sacralisation et redoute la superstition qui peut en découler. Les évangéliques préfèrent parler « d'ordonnances du Seigneur ». Les réformés cherchent surtout à différentier la Cène et le baptême de l'ensevelissement, du mariage, de l'imposition des mains, des consécrations pastorales, en fait de tous les autres actes pastoraux.

Le baptême

Le protestant se réfère toujours à la Bible pour justifier ses choix et ses orientations. Il en est donc de même pour la question du baptême. (Voir II.1) La première mention biblique du baptême est en rapport avec l'arrivée et l'action de Jean, surnommé dès lors le « Baptiste ». Son baptême était « un baptême de repentance en vue du pardon des péchés » (Marc 1.4). L'eau est un signe de purification, ce qui était déjà le cas dans l'Ancien Testament, lors de cérémonies rituelles. Le message qui accompagnait le geste de Jean Baptiste insistait sur le renoncement à la vie passée et encourageait une vie nouvelle après s'être repenti. Il semble bien que Jésus, qui a été baptisé par Jean, n'ait pas lui-même baptisé d'autres personnes ; ce que firent pourtant quelques uns de ses disciples pendant le ministère terrestre de leur maître. En revanche, comme déjà signalé, Jésus, avant son ascension, a recommandé à ses amis de baptiser les gens de toutes les nations désirant se convertir. Cette consigne ressemble donc bien à l'obligation de l'appliquer à tous les nouveaux convertis.

Certains théologiens, tout au long de l'histoire de l'Église, y ont vu le moyen par lequel s'opère la conversion et la nouvelle naissance. C'est le cas de l'Église catholique et, avec quelques nuances, des luthériens, des anglicans et de la secte des mormons. Les calvinistes (réformés) ne voient dans le baptême qu'un signe anticipé de cette nouvelle naissance. Pour eux, le baptême n'est pas nécessaire au salut. Quant aux baptistes, ils considèrent le baptême comme un simple acte d'obéissance. Il n'est même pas une attestation du pardon de Dieu.

Aujourd'hui, dans le protestantisme, tous les protestants évangéliques sont théologiquement baptistes et pratiquent le baptême des croyants par immersion totale. La cérémonie se déroule parfois en plein air, dans des lacs ou des rivières.

A noter que l'on a retrouvé des baptistères datant de l'Église primitive qui attestent donc que le baptême par immersion était une pratique courante. Ils avaient parfois la forme d'un cercueil pour symboliser la mort de l'ancienne vie.

Les personnes baptisées confessent leur foi, témoignent publiquement de leur conversion et de leur appartenance à l'Église.

Dans certaines dénominations protestantes évangéliques, le baptême coïncide avec l'entrée dans l'église locale en qualité de membre, et permet alors au baptisé de commémorer la Cène. Dans d'autres, le titre de membre et l'accueil à la Cène ne sont pas liés au baptême.

Dans le protestantisme historique (luthéro-réformé), la pratique du baptême des enfants est courante (pédo-baptisme) pour ne pas dire normative. Les réformateurs insistaient cependant pour rappeler que les parents du baptisé devaient être chrétiens et s'engager à transmettre l'enseignement religieux (catéchisme) aux enfants. Pour eux, des parents non chrétiens faisant baptiser leurs enfants n'avait aucun sens.

La pratique du baptême des adultes est acceptée chez les réformés.

En mai 2001, lors du synode de Soissons de l'Église réformée de France (E.R.F.), la question du baptême et de la Cène a été rediscutée. Les décisions prises touchent donc la discipline concernant les sacrements, et la modifient dans le sens d'une plus grande ouverture vers de nouveaux arrivants.

Voici le texte concernant le baptême :

« En administrant le baptême avant que l'enfant soit en âge de comprendre, l'E.R.F. entend souligner la passivité du croyant dans le mouvement par lequel Dieu sauve. Elle dit à tous les baptisés et tout particulièrement aux parents que leur enfant ne leur appartient pas. Dieu, de qui il reçoit une identité différente de celle que donne à chacun son histoire personnelle, l'a aimé le premier. Cette conception du baptême exclut l'idée selon laquelle son efficacité dépendrait des dispositions personnelles du croyant.

Notre Église s'inscrit dans une tradition qui considère que le baptême des jeunes enfants est le geste sacramentel par lequel est signifié leur accueil dans l'Église de Jésus-Christ. Néanmoins, nous considérons que la présentation, qui répond à la demande parentale de bénédiction d'enfant, constitue un choix valable et riche au plan tant pédagogique que spirituel. »

Le pasteur Hubert Bost, l'un des initiateurs et rapporteurs au synode de la réflexion sur les sacrements, a regretté que la presse parle alors de révolution doctrinale chez les protestants. Il a précisé :

« L'E.R.F. a clairement manifesté sa volonté de toujours inscrire sa théologie des sacrements dans une fidélité au texte biblique, dans une relecture en bonne part des Pères de l'Église, dans un ressourcement aux textes fondateurs de la Réforme. Parler de révolution doctrinale à propos de cette décision est un contresens : c'est d'une fidélité doctrinale qu'il conviendrait de faire état ! Évidemment, être fidèle ne signifie pas être immobile, mais s'efforcer de répondre aux défis que notre temps propose à l'Église. »

Le ton de cette réponse, faite dans l'hebdomadaire protestant Réforme, est foncièrement inspiré de toutes les perceptions protestantes.

La sainte cène

Il n'est pas inutile de se reporter à ce que nous avons déjà dit sur le sujet lorsque nous abordions les divergences entre Luther et Zwingli.

Luther voit dans le sacrement de la Cène (mais aussi du baptême) le médium de Dieu. Dieu donne sa grâce par le moyen du sacrement. Dans un premier temps, les réformés (Zwingli) pensaient que le sacrement suit l'action de Dieu. Ainsi, Dieu manifeste sa grâce et le croyant sa reconnaissance vis-à-vis de ce don. Puis, Calvin peaufine cette perception et, avec diplomatie et équilibre théologique, affirme qu'il y a simultanéité : lorsque le croyant reçoit le sacrement, Dieu lui accorde sa grâce.

En fait, selon Luther, Dieu agit dans et à travers le sacrement. Selon Zwingli, Dieu agit avant le sacrement, lequel n'est plus qu'un signe de reconnaissance de la part du croyant. Selon Calvin, la grâce opère avec le sacrement.

En ce qui concerne la Cène, le corps et le sang du Christ ne sont pas donnés dans, ni avant, mais avec le pain et le vin.

L'équilibre de Calvin consiste à éviter l'aspect sacré, magique et superstitieux du sacrement et à éviter la dévaluation du geste institué par l'exemple du Christ. De plus, il insiste sur l'action du Saint-Esprit qui donne sens à ce geste. Or, l'Esprit est invoqué pour qu'il se manifeste chez le croyant et non pour qu'il pénètre le pain et le vin de la Cène, ou l'eau du baptême.

Nous signalions plus haut les nouvelles dispositions de l'Église réformée de France, prises sur ce thème par le synode de Soissons, en mai 2001. Voici le texte adopté touchant à la Cène :

« Consciente qu'elle n'est pas propriétaire du repas du Seigneur et contre toute velléité d'en limiter l'invitation en ajoutant des critères d'exclusion, et convaincue que, lors de la participation eucharistique, chaque croyant(e) reçoit l'Évangile de Jésus-Christ en partageant le pain et le vin, l'E.R.F. proclame l'universalité de cette invitation.

Même si l'ordre logique demeure, les itinéraires des croyants se sont individualisés au point que faire d'une étape (le baptême) la condition préalable de l'autre (la sainte cène) peut ne plus être compris. En revanche, replacés dans une dynamique de foi, baptême et cène se répondent avec richesse, à condition que l'église locale offre des lieux catéchistiques où ce lien avec la Parole, qui donne sens aux sacrements, est établi et mûri. »

Passeport ou non ?

Que ce soit le baptême ou la Cène, pour le protestant réformé et pour les évangéliques, ces sacrements ne donnent pas le salut. Ce sont des sacrements, pas des passeports. Le croyant est sauvé par l'action spécifique de Jésus-Christ (sa mort et sa résurrection) et non par des rites ou par des cérémonies. Ce qui explique qu'un enfant, voire un adulte, qui meurt non baptisé peut cependant être sauvé. C'est sa confession de foi en Jésus-Christ qui le sauve. L'exemple souvent invoqué est celui du brigand sur la croix qui, à l'ultime moment de sa vie, reconnaît en Jésus-Christ le Sauveur. Il s'entend alors dire :

« Je te le déclare, c'est la vérité : aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ! » (Luc 23.43)

Le brigand n'a, naturellement, pas un certificat de baptême à proposer !

Pour le protestant en général (le luthérien pense autrement), dans le pain et dans le vin il n'y a que du pain et que du vin. Aucune présence réelle du Christ ne transforme la substance des éléments, à l'encontre des catholiques qui croient au changement physique (pour ne pas dire chimique) du pain et du vin, et qui en font le corps et le sang du Christ (transsubtantiation).

Ainsi, le protestant ne change pas d'attitude à l'égard du pain et du vin, avant, pendant et après la Cène.

La Cène est une commémoration, un acte symbolique. Naturellement, elle n'est pas davantage un nouveau sacrifice.

La Cène est une invitation lancée par Dieu pour le croyant et non un acte du croyant offert à Dieu pour lui être favorable.

C'est pour cette raison que la Cène n'est pas l'acte central du culte protestant. L'acte central est l'écoute, l'étude et la méditation de la Parole de Dieu, la Bible. D'où l'importance de la prédication.

Chez les protestants évangéliques, la Cène demeure un acte symbolique, mais elle prend parfois plus de valeur que la prédication. En cela, les évangéliques, sans trop s'en rendre compte, sont plus proches des luthériens que des calvinistes, puisque les luthériens situent la Cène et la prédication sur le même plan.

Luther pensait que le Christ est aussi présent dans la prédication que dans le pain et le vin.

Le calviniste rencontre Dieu parce que Dieu vient à lui au travers de la prédication qui transmet le message de la Bible. Les sacrements en découlent : ce sont des auxiliaires, sans plus.

C'est pourquoi, dans les temples, la Bible domine la table de communion. Un culte peut ne pas comporter de Cène, mais il est impossible d'avoir un culte sans prédication.

En fait, les sacrements sont des visualisations de ce qui est vécu dans l'intimité et l'intériorité du croyant. L'action de Dieu par son Esprit, dans la vie du protestant, n'est généralement pas visible. Le protestant se fait baptiser non pour être sauvé, mais parce qu'il a expérimenté la conversion dans sa vie, dans son âme, dans son intelligence. Non pas pour, mais parce qu'il est déjà sauvé.

L'attitude est identique pour les « bonnes œuvres » pratiquées non pour gagner le ciel, mais par reconnaissance d'être sauvé, soucieux de faire la volonté de Celui qui a manifesté sa grâce et sa miséricorde.

Cas particuliers

Dans l'Armée du Salut, œuvre protestante d'évangélisation par l'action sociale, on ne pratique pas les sacrements parce que l'organisation n'est pas une église. Les adeptes de l'Armée du salut peuvent se faire baptiser et prendre la Cène, mais alors ils doivent rejoindre une église locale. Quand aux quakers, que l'on peut ranger dans la grande famille protestante, ils sont farouchement hostiles aux sacrements tant ils se méfient des formalismes.

Il faut aussi signaler que les sacrements ont un rôle pédagogique. Premièrement, ils doivent conduire la réflexion et le questionnement : pourquoi fait-on cela et quoi cela sert-il ? C'est en écho à l'institution de la Pâque juive. Lorsque Moïse reçoit les instructions de Dieu pour célébrer ce repas, il est dit :

« Vous et vos descendants, vous observerez toujours ces prescriptions. Quand vous serez entrés dans le pays que le Seigneur a promis de vous donner, vous accomplirez cette cérémonie. Si vous enfants vous demandent ce qu'elle signifie, vous leur répondrez... » (Exode 12.24-25)

C'est un écho du célèbre : « Écoute Israël ! »

Le deuxième aspect pédagogique des sacrements est la réponse au besoin de tout homme d'avoir des repères et des symboles afin de concrétiser des notions parfois abstraites. Calvin comparait les sacrements à des « béquilles dont se sert l'infirme pour soutenir sa marche ».

Hubert Bost, au synode de Soissons de 2001, insistait encore sur ce point important :

« Il nous faut toujours rappeler que notre Église réformée ne se prétend ni la propriétaire, ni l'exclusive détentrice des sacrements. Elle a reçu mission de prêcher l'Évangile et d'administrer le baptême et la Cène parce que la Parole, qu'elle soit lue, prêchée et entendue – ou encore visible – nous renvoie sans cesse au Christ, Parole de Dieu, par lequel notre vie personnelle et communautaire s'oriente et se réoriente. »

La place de la femme dans l'Église

Il est courant, aujourd'hui, pour illustrer la modernité et le libéralisme du protestantisme, de publier la photographie d'une femme pasteur. En Suisse, on a même forgé le terme « pasteure », là où les Français parlaient de « pastourelle ». La pastourelle n'est pourtant pas une femme pasteur, mais la femme du pasteur.

Le ministère féminin dans l'église protestante n'a pas été, et n'est toujours pas totalement acquise. La famille protestante se divise ici en deux blocs : luthéro-réformés d'une part, évangéliques d'autre part. Ce clivage découle d'une lecture différenciée de la Bible, et notamment du Nouveau Testament.

Dans le Nouveau Testament, Jésus-Christ accorde une véritable importance aux femmes. Dans l'Église primitive, elles l'ont aussi. Il est donc injuste de dire que le Nouveau Testament est antiféministe, machiste et phallocrate. Cependant, le rôle des femmes dans l'Écriture demeure second, sans doute à l'image de ce qu'Ève devait être pour Adam : une aide, un vis-à-vis, mais pas franchement un alter ego. En forçant l'image ou les termes, on en arrive facilement à un sexisme outrancier et non scripturaire. D'autant que l'apôtre Paul, forgeron de la théologie chrétienne, n'était pas tout à fait féministe. A plusieurs reprises, il recommande aux femmes de ne pas dépasser leurs prérogatives et de ne pas d'attribuer un ministère ou des responsabilités réservés aux hommes.

Pour des lecteurs orthodoxes, catholiques et fondamentalistes, les textes bibliques sont clairs et ne peuvent ni être rediscutés, ni mis de côté. Dès lors, pour eux, le ministère féminin n'existe pas et ne peut exister. Une femme prêtre serait un sacrilège à l'égard de la Parole de Dieu et de la tradition.

Un certain nombre d'évangéliques, également soucieux de respecter la Parole et de ne pas la faire évoluer dans des modes et des modernisations mondaines, refusent aussi le ministère féminin et rejettent avec force l'idée d'une femme pasteur. Ces mêmes réfractaires au ministère féminin n'ont pas hésité cependant à envoyer par milliers des femmes sur les champs missionnaires, ou à confier le catéchisme et l'instruction religieuse à des femmes de bonne volonté. Argumenter qu'il y a une différence entre des catéchèses, des missionnaires et des pasteurs en invoquant le rôle spécifiquement masculin de la prédication, ne parvient pas à convaincre. Pas plus que l'ascendant que pourrait prendre une femme sur une communauté d'hommes.

Pour les luthéro-réformés, il n'y a pas d'incompatibilité réelle et durable entre les restrictions pauliniennes (de saint Paul) et un ministère féminin aujourd'hui. Pour eux, il faut être capable de faire la différence entre ce qui est doctrinalement immuable et ce qui s'inscrit dans un contexte culturel précis. A l'époque de l'apôtre Paul, le rôle de la femme dans le bassin méditerranéen était parfaitement établi et limité, voire réglementé. Mais il n'est pas juste de donner une valeur permanente à ces limites et à ces règles. Le même Paul, parlant de ce que l'Évangile apporte dans la vie de la société, parle bien de libertés nouvelles :

« Vous êtes tous enfants de Dieu par la foi qui vous lie à Jésus-Christ. Vous tous, en effet, avez été unis au Christ dans le baptême et vous vous êtes ainsi revêtus de tout ce qu'il nous offre. Il n'importe donc plus que l'on soit juif ou non-juif, esclave ou libre, homme ou femme ; en effet, vous êtes tous un dans la communion avec Jésus-Christ. » (Galates 3.26-28)

Quoi qu'il en soit, le ministère féminin, désormais acquis chez les réformés et chez les luthériens, pose encore un problème aigu au sein du protestantisme évangélique2.

2 Dans les témoignages de pasteurs, nous vous proposons celui de Marie-France Robert, première femme pasteur luthérienne a avoir été nommée inspecteur ecclésiastique (troisième partie, chapitre 3, Les « institutionnels » du protestantisme). De même, vous trouverez au chapitre des engagements sociaux du protestantisme, un paragraphe important sur les sœurs protestantes, les diaconesses (deuxième partie, chapitre 3, Le protestantisme et l'action sociale). De quoi démontrer la place de la femme engagée dans l'Église protestante.

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