Oui, nous sommes protestants

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Les tentatives de rapprochement

L'Église catholique présente parfois les protestants comme des « frères séparés », même si récemment, Rome, par la voix du cardinal Ratzinger, a préféré parler à nouveau de « cousins éloignés ». Or, ces protestants sont soumis à la réalité qui est de s'unir pour exister. Alors, il faut bien fédérer tout ce petit monde éclaté. C'est la mission de la Fédération protestante de France.

La Fédération protestante de France (F.P.F.)

Fiche d'identité

– Création : 1905.

– 15 Églises ou unions d'Églises et 60 associations, représentant environ 500 institutions, œuvres et mouvements, sont membres de la F.P.F.

– 22 personnes, dont 4 femmes actuellement, composent le conseil de la F.P.F.

– Total des paroisses des Églises membres de la F.P.F. : 1239.

– Près de 1950 pasteurs dont plus de 10% de femmes.

– 900 000 protestants appartiennent à des Églises membres de la F.P.F.

– 200 000 autres personnes se réclament du protestantisme.

– 2% de la population est protestante en France ; 30% en Europe.

Unité, diversité, modernité

Créée en octobre 1905, un mois avant le vote de la loi de séparation de l'Église et de l'État, la F.P.F. rassemble la plupart des Églises et des associations protestantes de France.

Ces Églises, au nombre de quinze actuellement, appartiennent à toutes les sensibilités du protestantisme qui se sont manifestées depuis la Réforme : luthérien, réformée, évangélique, baptiste et pentecôtiste.

Quant aux associations, ce sont une soixantaine d'institutions, d'œuvres ou de mouvements travaillant dans des secteurs d'activité très divers : missions, relations internationales et développement, enfance, personnes âgées, action sanitaire et sociale, loisirs et vacances, éducation, communication, expression artistique, etc.

Vocation

La R.P.F. a pour vocation de contribuer au rapprochement de ses membres, de coordonner leur action et de les aider à assumer leurs responsabilités. Elle assure également un certain nombre de services communs : télévision, radio, information et communication, aumônerie aux armées et dans les prisons, recherche biblique, relation œcuménique, documentation.

La F.P.F. a par ailleurs pour mission de représenter le protestantisme français auprès des pouvoirs publics et des médias. A ce titre, il revient à son conseil, ou éventuellement à son président, de s'exprimer publiquement dans tous les domaines où le protestantisme croit devoir apporter un témoignage particulier qu'il souhaite se faire entendre dans le débat public.

La Fédération a aussi pour tâche de veiller à la défense des libertés religieuses en France et dans le monde, de favoriser le dialogue avec les autres Églises et associations protestantes (non membres de la F.P.F.), et d'encourager les relations et les initiatives communes avec les Églises chrétiennes non protestantes.

Unité plurielle

Les liens très étroits qui les unissent n'empêchent pas les Églises et les associations membres de la F.P.F. de conserver, en toute liberté, leur spécificité et leur identité, tant sur le plan théologique que pratique. Les Églises conservent leur appartenance confessionnelle propre et le fonctionnement ecclésiologique auquel elles sont attachées. C'est ainsi, par exemple, qu'elles n'ont pas toutes la même conception du baptême ni les mêmes points de vue sur telle ou telle question éthique ou sociale. Unité ne signifie pas absence de diversité, ni même de différence. Loin d'être considérée comme un obstacle qu'il conviendrait de supprimer, cette extrême diversité est vécue comme une richesse à vivre et à partager.

En revanche, toutes les Églises et associations membres de la F.P.F. s'engagent à partager un certain nombre de convictions communes exprimées dans la Charte de la Fédération : dans le seul but de rendre un témoignage commun à l'Évangile, elles reconnaissent comme centrale l'annonce du salut par la grâce et pratiquent sans restriction l'accueil mutuel à la sainte cène.

Centenaire, la Fédération protestante représente aujourd'hui une communauté d'environ neuf cent mille personnes et continue d'enregistrer des demandes d'adhésion, tant de la part d'Églises que d'associations.

La F.P.F. en chantier

Le chantier que le protestantisme français va connaître dans les années à venir est le dialogue voulu et engagé par le président de la F.P.F., le pasteur Jean-Arnold de Clermont, entre les Églises membres de la F.P.F., et celles qui ne le sont pas, tout en revendiquant leur appartenance au protestantisme1.

1 A ce propos, voir l'interview du pasteur Jean-Arnold de Clermont, troisième partie, chapitre 3, Les « institutionnels » du protestantisme.

C'est une question sérieuse car les Églises qui s'interrogent sur leur adhésion à la F.P.F. sont numériquement importantes. Ainsi les Assemblées de Dieu (A.D.D.), à elles seules, représentent une masse équivalente à l'Église réformée de France (E.R.F.). Autre Église non négligeable qui entre en dialogue : l'Église adventiste. A cela, il convient d'ajouter plusieurs Églises de types charismatique et néo-pentecôtiste.

Pour un pacte commun

Jean-Arnold de Clermont précise les conditions d'entrée à la F.P.F. en ces termes :

« Les conditions doctrinales ne sont pas maximalistes. La F.P.F. n'a pas de confession de foi que ses membres devraient signer. Elle ne se mêle pas des positions théologiques ou liturgiques particulières à chaque Église. Le pacte commun repose sur les affirmations centrales de la Réforme : le salut par la seule grâce reçu dans la foi, et l'Écriture comme seule norme. Mais ce n'est pas là que se situe l'essentiel de l'exigence. Il y a surtout la charte qui définit un certain état d'esprit : vouloir ensemble se conformer aux questions que pose la société dans laquelle nous vivons et oser prononcer une parole publique, même s'il faut mentionner des désaccords partiels. La F.P.F. regroupe des unions d'Église qui croient qu'il est spirituellement nécessaire de débattre tout d'abord entre elles, et ensuite avec les autres Églises membres, de toutes questions concernant le sens et la diffusion de l'Évangile. »

A cet égard, le président ne pense pas que l'élargissement à d'autres Églises serait de nature à poser des problèmes insurmontables : les positions sont déjà à l'heure actuelle tellement diverses qu'elles ne le deviendraient pas plus. Et il ne lui semble pas que la difficulté d'aborder les questions de société soit plus grande au sein de la Fédération qu'au sein de chacune des Églises qui la composent.

Pour le président, les dialogues entamés sont un défi à relever. Et ils s'étaleront sur plus de trois ans, montrant un des aspects typiques du protestantisme : sa capacité à toujours vouloir se réformer. Il s'offre ainsi un avenir.

Un syndicat protestant ?

Selon Jean-Arnold de Clermont, le fait que des Églises numériquement aussi importantes que les A.D.D.2 ou les adventistes pensent ou demandent leur adhésion, est une véritable chance pour la F.P.F. La question est posée à la fois aux Églises déjà membres et à celles qui aspireraient à le devenir. Cette question a trois volets importants que le président développe ainsi :

2 Assemblées de Dieu.

« Allez-vous préférer vous enfermer dans vos identités ou accepter d'être bousculés dans vos habitudes ?

Allez-vous saisir la chance que vous offre la F.P.F. pour vous poser les questions qu'exigent les transformations du monde où nous vivons, grâce à l'interpellation reçue au travers des pratiques de l'autre ?

Allez-vous faire l'effort, non pas d'adhérer à ce que fait l'Église voisine, mais au moins de comprendre pourquoi elle le fait ? »

Il précise encore :

« Il ne s'agit pas que la R.P.F. se limite au rôle de syndicat des protestants. La R.P.F. a pour vocation de cultiver parmi ses membres le goût de cheminer ensemble et de susciter de fraternelles et réciproques interpellations. »

Cas particulier : l'Alsace et la Lorraine

Lorsque l'on parle de protestantisme français, on signale volontiers les grandes régions où il est fortement implanté : les Cévennes, le Languedoc-Roussillon, la Vallée du Rhône et, bien sûr, l'Alsace, ou le grand Est. Avec l'Alsace et la Lorraine, nous rencontrons une situation particulière liée également à son régime concordataire.

Lorsque la F.P.F. a été créée, en 1905, l'Alsace n'était plus française mais sous l'autorité impériale allemande de Guillaume II. La loi de 1905, qui faisait une séparation nette entre l'Église et l'État français, ne touchait pas cette région qui bénéficiait encore, et jusqu'à aujourd'hui, des articles organiques de 1802, en vertu desquels Napoléon Bonaparte avait octroyé la rémunération des prêtres, des pasteurs et des rabbins par l'État, l'enseignement religieux à l'école, et une organisation spécifique qui veut que, pour le protestantisme, le président et le vice-président soient nommés par décret du Premier ministre ; le ministre de l'Intérieur étant le ministre de tutelle. C'est pourquoi ce dernier est également ministre des Cultes. Paradoxe étonnant dans une république laïque.

L'héritage

Pour comprendre qui sont ces protestants alsaciens et leurs particularismes, il faut passer – encore et toujours – par l'histoire et la sociologie. Dans les premières pages de ce livre déjà, nous avons parlé de l'Alsace, de Strasbourg et de Martin Bucer. Bucer, ce réformateur, se situait dans la ligne d'un protestantisme strasbourgeois alsacien, marqué à ses origines par son irénisme, voire sa tolérance. (Bucer ne tenta-il pas de réconcilier Luther et Zwingli sur la question de la Cène ?) Cette vertu de tolérance n'était pas partagée dans tout le protestantisme naissant. Pour s'en convaincre, il suffit de constater l'attitude intolérante et fanatique de John Knox en Écosse. Mais Strasbourg vivait dans un climat très différent. La ville devint d'ailleurs une ville refuge pour les anabaptistes suisses, persécutés autant par les catholiques que par les réformés. Une communauté de réfugiés francophones trouva naturellement sa place dans cette ville. D'ailleurs, Calvin lui-même y exerça un ministère pastoral durant quelques années, chassé qu'il avait été de Genève.

Alors que le XVIe siècle aura été marqué par un formidable brassage d'idées dans la tradition d'un humanisme à dimension européenne, le siècle suivant sera, comme partout ailleurs avec le sursaut, notamment, de la Contre-Réforme, le siècle des orthodoxies confessionnelles triomphantes et du statu quo religieux, bousculé seulement par les armes.

En 1648, l'Alsace devient française grâce au traité de Westphalie. Strasbourg est une ville libre et elle résistera à Louis XIV jusqu'en 1681. La cathédrale est restituée au culte catholique alors que les chorals de la Réforme y avaient résonné pendant près de cent cinquante ans. Il y avait bien une résistance protestante, mais Louis XIV ne pouvait l'écraser comme il le fit en Cévennes, par exemple, car les princes allemands surveillaient de près cette Alsace sans cesse convoitée.

Le XIIIe siècle fut un siècle lumineux pour l'Alsace grâce au rayonnement de son université. Le prestige de cette dernière fut tel que Goethe et Metternich-Winneburg y étudièrent longtemps.

Le rationalisme, là comme ailleurs, gomma les antagonismes religieux en même temps qu'il asséchait la sève théologique originelle de la Réforme. C'est dans ce contexte que le mouvement de Réveil prit racine, dès les années 1830, avec sa double composante orthodoxe et piétiste.

Aujourd'hui, réformés et luthériens cohabitent facilement, d'autant que les pasteurs de ces églises sont formés à Strasbourg, dans la même faculté de théologie.

Les évangéliques alsaciens

Il convient aussi de parler de la mouvance évangélique également très présente en Alsace. Nous avons déjà parlé des anabaptistes, aïeux des mennonites ; ces derniers forment une communauté assez dispersée géographiquement, mais très liée fraternellement. Les mennonites connaissent aujourd'hui un certain renouveau, lié à la fois à un retour à leurs convictions historiques et à une implication plus forte dans la société et dans les débats de société.

Les méthodistes sont également présents, avec quelques implantations significatives comme une importante clinique à Strasbourg, et une maison de retraite non moins importante. Les églises méthodistes d'Alsace tentent, actuellement, un rapprochement avec les églises méthodistes « de l'intérieur ». En 2000, ces églises méthodistes d'Alsace ont décidé, lors de leur synode, de ne pas entrer à la F.P.F. Ce refus (à quelques voix près) a été reçu amèrement par les méthodistes eux-mêmes, lesquels ont repris leur dialogue avec cette F.P.F. dont ils aimeraient devenir membres. La démocratie dans le protestantisme comme ailleurs est une chance et un risque.

Bon nombre d'églises évangéliques indépendantes ont aussi vu le jour en l'espace d'un siècle et demi. Elles se sont parfois composées de déçus des autres communautés protestantes, voire catholiques, mais aussi de nouvelles personnes, converties suite à des programmes d'évangélisation. Les communautés de tendance pentecôtistes connaissent, comme ailleurs en France, une croissance rapide, avec cependant un brassage de personnes souvent de passage. Les baptistes sont présents, mais liés à des structures différentes avec, notamment la Fédération des églises baptistes et l'Association baptiste. La première est membre de la F.P.F., la seconde y est très hostile. Depuis une vingtaine d'années, des églises charismatiques ont vu le jour et certaines sont conduites par de véritables leaders qui rassemblent autour d'eux plusieurs centaines de paroissiens chaque dimanche. Les pratiques parfois peu orthodoxes de certaines de ces églises entraînent des procès et des suspicions sérieuse quant à leur fonctionnement, proche de celui des sectes. Ces églises se réclament, en général, plus d'une conception évangélique fondamentaliste que d'un protestantisme historique.

Si la branche évangélique du protestantisme alsacien est en plein essor, il n'empêche que les luthéro-réformés restent majoritaires. Ils représentent environ 20% de la population alsacienne à eux seuls (plus de 70% pour le Bas-Rhin), alors que la moyenne en France est de l'ordre de moins de 2%. Un peu plus du quart des protestants d'Alsace est à Strasbourg, avec sept églises luthériennes (E.C.A.A.L. : Église de la Confession d'Augsbourg d'Alsace-Lorraine) et deux réformées (E.R.A.I. : Église réformée d'Alsace-Lorraine).

Il y a, en Alsace-Lorraine (départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de Moselle), deux cent cinquante-deux pasteurs payés par l'État français, en vertu du régime concordataire de cette région. C'est le cas également pour les prêtres et les rabbins. Depuis quelques années, c'est la demande des musulmans pour leurs mollahs.

L'Église réformée de France (E.R.F.)

Cette Église existe depuis longtemps mais, en 1938, une proposition d'élargissement est faite afin de rassembler plusieurs Églises jusqu'alors séparées par des confessions différentes. C'est ainsi que cette année-là, une nouvelle Église réformée de France rassemble naturellement les réformés, mais aussi la plupart des églises réformées évangéliques, quelques églises libres et quelques églises méthodistes. La fusion n'est pas acceptée par tous et des communautés de chacune de ces confessions demeurent en retrait de cette nouvelle E.R.F.

Le conseil œcuménique des Églises (C.O.E.)

Il est né en 1948 à Amsterdam. A ce moment-là, il rassemble 146 Églises de toutes les confessions chrétiennes à l'exception de l'Église catholique romaine. Actuellement, le C.O.E. regroupe trois cent vingt-cinq églises et représente quatre cents millions de fidèles. Il est « une association fraternelle d'Églises qui confessent Jésus-Christ comme Dieu et Sauveur selon les Écritures et s'efforcent de répondre ensemble à leur commune vocation pour la gloire du seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ».

Jusqu'à ce jour, l'Église catholique refuse d'entrer comme telle dans le C.O.E., même si elle y est présente en qualité d'invitée.

Le C.O.E. a son siège à Genève.

Un nombre important d'Églises de type évangélique n'en font pas partie. Du coup, ces Églises ont mis sur pied d'autres organismes internationaux comme le Conseil international d'Églises chrétiennes (I.C.C.C.).

L'Alliance évangélique française

C'est en 1846, à Londres, qu'est organisée une rencontre internationale de chrétiens évangéliques du monde entier. Quatre mille personnes étaient présentes pour mettre sur pied l'Alliance évangélique universelle. La même année, en France, des groupes d'alliance évangélique se forment dans diverses villes, mais c'est en 1847 que va naître l'Alliance évangélique française. L'A.E.F. se consacre, notamment, à la réalisation d'un programme d'entraide mutuelle pour la propagation de l'Évangile, la défense des libertés chrétiennes et la recherche de solutions aux problèmes d'intérêt général ; elle s'interdit d'intervenir dans l'organisation ecclésiastique des églises.

Elle se veut donc un lieu de rassemblement en vue d'une action commune, à l'intention de tout individu, association ou groupement chrétien, mais de caractère et d'esprit délibérément évangélique.

Elle réclame de ses membres l'adhésion à une confession de foi précise.

La Fédération évangélique de France

Les délégués de douze associations évangéliques créent en 1969 à Paris, l'Union d'églises et associations évangéliques françaises. Cette union devient, quelques temps plus tard, la Fédération évangélique de France (F.E.F.)

Cette fédération veut établir et développer des relations fraternelles, rapprocher ses membres en vue d'un témoignage évangélique sur le fondement de la Bible tout entière, assurer la représentation, la libre expression et la défense des intérêts évangéliques dans de nombreux domaines.

Actuellement, la F.E.F. compte plus de 230 associations dont une dizaine d'unions d'églises, 140 églises locales indépendantes, plus de 20 sociétés missionnaires et autant de sociétés d'évangélisation.

Ses membres doivent également adhérer à une base doctrinale évangélique, ainsi qu'à des articles de foi touchant la réception du Saint-Esprit, l'œuvre du Saint-Esprit dans le croyant, l'évaluation des dons spirituels, le parler en langues, la guérison divine et la prophétie.

Ces articles, qui se veulent très distants avec les églises de type pentecôtiste, doivent être signés par les membres « sans réserve mentale ».

A noter que depuis l'an 2000, les responsables de l'Alliance évangélique française et ceux de la Fédération évangélique de France cherchent à établir des passerelles entre les deux organisations.

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