Oui, nous sommes protestants

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Les entrepreneurs

Il a déjà été question du rapport à l'argent chez les protestants. Mais il fallait aller plus avant pour mieux comprendre ce qu'il en est vraiment.

L'occasion de rencontrer Maurice Gontier, président-directeur général d'un important groupe financier. Il est aujourd'hui retraité, mais demeure très impliqué dans une fondation et diverses associations protestantes dont il a longtemps été le président.

Maurice Gontier, ancien P.-D.G. d'un groupe financier

Votre profession consiste à travailler avec l'argent ; vous maniez encore des sommes considérables. Quel est votre rapport à l'argent ?

Permettez-moi de vous faire remarquer tout d'abord que l'argent avec lequel je travaille n'est pas le mien ! C'est le fruit de l'épargne de mes actionnaires et celui-ci m'a été simplement confié. Ceci dit, je n'ai aucun complexe à l'égard de l'argent. L'argent ne doit jamais être un maître, mais seulement un moyen au service des hommes. Il est une semence. Souvenez-vous à ce sujet de la parabole des talents (Évangile de Matthieu. Le talent, à l'époque de Jésus, est une unité de valeur correspondant à six mille francs or). Jésus porte un jugement sévère à l'encontre du mauvais gestionnaire qui était allé cacher son talent dans la terre au lieu de le faire fructifier !

Nous devons tous nous efforcer d'être de bons et loyaux gestionnaires des talents qui nous sont confiés ; en faire le meilleur usage possible en vue d'obtenir le meilleur usage possible en vue d'obtenir la meilleure valorisation et la meilleure rentabilité sur les plans financier, économique et social. Et ce, bien entendu, dans le strict respect des règles éthiques.

Vous pointez la responsabilité du banquier dans les choix des opérations financières ! Quels sont les critères par lesquels vous allez justifier ces opérations ?

Il convient de bien distinguer en quelle qualité je suis amené à intervenir. Si c'est en qualité de banquier que j'apporte un concours à un client – qu'il soit simple particulier, commerçant ou industriel –, je dois me garder d'imposer mes propres choix dès lors que loi et morale sont respectées. J'ai alors un devoir de conseil ; je ne dois pas oublier que la responsabilité finale de l'opération appartient au client qui est normalement compétent dans sa branche et qui supportera en définitive les conséquences de ses choix. Par contre, lorsque j'interviens au titre de dirigeant de l'une des sociétés commerciales ou d'investissement que j'anime, je suis alors pleinement responsable de mes choix. Comme tout chef d'entreprise, je me décide après avoir pris l'avis de collaborateurs ou d'experts compétents en fonction de mes raisonnements et de mes intuitions, et en respectant les règles déjà évoquées.

Vous êtes protestant, chrétien et sensible aux plus démunis. Et vous travaillez au cœur même du capitalisme...

Nous vivons dans un système capitaliste, c'est le système économique le plus efficace sur le plan de la production de richesses. Mais, comme tout système économique ou politique, le capitalisme, pour bien fonctionner, a besoin de contrepoids qui permettent les adaptations qui s'avèrent nécessaires en raison de l'évolution des situations.

Il appartient alors aux pouvoirs publics et au législateur de définir et de mettre en œuvre les règles du jeu afin que ce système demeure tempéré, réglementé, humain et ne dégénère pas en un capitalisme sauvage qui conduirait à l'écrasement du faible par le fort. En un mot, afin que la redistribution des richesses demeure équitable.

Il est indispensable également que soient préservés les temps qui, dans la vie de chacun, échappent heureusement aux lois de la rentabilité, de l'offre et de la demande. La famille, les groupes amicaux, les associations constituent les lieux privilégiés de l'écoute, de la solidarité, de l'entraide et, pourquoi pas, de l'assistance privée dans la mesure où celle-ci vient compléter ou suppléer les mesures prises par les pouvoirs publics.

Les responsables économiques ont bien évidemment une vocation et une responsabilité particulières en ce domaine ; je constate qu'ils sont souvent à l'origine d'initiatives intéressantes.

Régine Doumerc, femme d'affaires

Sur la question de l'argent, quelques éclaircissements complémentaires nous viennent de Régine Doumerc, femme d'affaires dans le domaine des assurances. C'est au détour d'une interview que le propos sur l'argent est arrivé.

Dans votre itinéraire et dans votre formation de juriste, avez-vous l'impression que le tempérament huguenot, la mentalité protestante vous ont aidée ?

Tout à fait ! La rigueur et le respect extrême de la parole donnée sont certainement ce qui m'a différenciée de certains autres dans ma carrière. C'est oui ou non mais, lorsque c'est oui, c'est vraiment oui !

Cette manière d'être à l'égard de la parole donnée se retrouve sans doute dans l'attitude à l'égard de l'argent. Est-ce que vous avez une réflexion précise sur ce thème ?

Cette attitude a parfois provoqué de la gêne, mais aussi généré un très grand succès dans notre activité. Vous savez, je suis d'une famille démunie. A Noël, le cadeau du temple – une orange et un santon – me rendait folle de joie. Quand je vois la débauche aujourd'hui, je me dis que l'argent n'a plus de valeur. Or, il en a ! C'est lorsqu'on n'en a plus que l'on s'en rend compte. Je fais partie des personnes qui pensent que le gaspillage d'argent dans nos sociétés occidentales est absolument choquant.

L'idée de la spéculation alors ?

Tout à fait anormale !

Mais l'assurance, votre domaine, n'est-ce pas un peu la spéculation ?

Je dirige l'un des rares cabinets d'assurances à refuser la spéculation. Et c'est possible !

Vous est-il arrivé, dans votre activité, de devoir arrêter une action, un projet, parce que vous découvriez que vous étiez en train de trahir vos convictions personnelles, éthiques et religieuses ?

Oui, cela m'a infiniment coûté car il s'agissait d'une société dont j'ai été le pilier lors de sa création... Et je l'ai aussi payé durement pendant de nombreuses années, même avec les autres. Les hommes d'affaires ne connaissent pas tellement le langage de la morale. Et puis, on n'aime pas beaucoup les Zorro. Je l'ai été, et c'était dur ! Seulement, six ans plus tard, certains m'en ont félicitée parce qu'ils ont vu, avec le temps, que j'avais et raison. Mais six ans de traversée de désert, c'est long ! Or, aujourd'hui, seize ans plus tard, la justice demande aux dirigeants de ladite société de répondre de leurs actions, au nom de la morale et de principes fondamentaux. Ce que j'avais moi-même défendu, avant de partir !

Ces derniers propos de Régine Doumerc n'ont pas le ton de la revanche, mais celui de la satisfaction : le droit défendu alors par conviction protestante finit par payer.

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