Le manuel des chrétiens protestants - Émilien Frossard

I – Les noms.

Ce fut d’abord à Antioche que les disciples furent nommés chrétiens. Actes, XI, 26.

Un nom, chez nous Français, est une puissance, soit pour éclairer, soit pour obscurcir la vérité. Ce nom peut avoir été donné par l’histoire, il devient alors une date ; il peut renfermer une injure, alors il nourrit un préjugé ; celui qui le porte peut se l’être donné à lui-même, alors il devient un engagement ou une dette ; il peut renfermer l’expression d’un principe, alors il demande surtout à être bien compris.

Quelle que soit l’origine des noms par lesquels on nous désigne d’ordinaire, il importe de leur donner leur valeur véritable.

Depuis le seizième siècle et en tout pays on nous appelle protestants. L’origine de ce nom remonte à la grande et solennelle protestation dénoncée par les princes de l’Allemagne contre l’inique oppression que Charles V s’arrogeait sur la conscience des peuples soumis à son empire.

Ce nom a été conservé aux chrétiens qui s’élèvent contre l’autorité du pape et contre les erreurs et les pratiques superstitieuses introduites de siècle en siècle au sein même du christianisme.

Nous sommes protestants à ce titre que nous nous séparons ouvertement des hérésies, des traditions fabuleuses, des commandements d’hommes qui altèrent et défigurent la sainte religion de l’Évangile.

Nous nous appelons aussi réformés ; c’est même le titre que la loi nous reconnaît en France. En portant ce nom nous allons plus loin qu’une simple protestation ; car il indique que non seulement nous nous séparons de l’erreur contraire à l’Évangile, mais encore que nous voulons revenir à la vérité positive et sacrée que ce même Évangile nous enseigne.

Par la suite des siècles et en conséquence de l’ignorance et des passions humaines, la sainte religion de Jésus-Christ avait été déformée : nous nous efforçons de la reformer. Notre religion n’est donc pas nouvelle, puisqu’elle est un retour au christianisme-primitif. Il est vrai que la grande Réformation a éclaté il n’y a que trois siècles.

Ce n’est que lorsque les abus sont arrivés à leur terme extrême que le protestantisme se manifesta d’une manière éclatante et générale. Mais ceux qui étudient l’histoire de l’Église savent bien que dans tous les siècles, à mesure que l’erreur se mêlait à la vérité, les vrais enfants de Dieu protestaient contre elle. Ainsi, devenir protestant réformé, ce n’est pas, comme quelques-uns le disent sans réflexion, abandonner la religion de ses pères, c’est au contraire y revenir. Ou pour parler plus exactement, c’est abandonner la religion de nos pères oublieux ou infidèles pour revenir à la religion de nos grands-pères chrétiens fidèles et primitifs.

Quand on veut boire de l’eau saine et limpide, ce n’est pas à l’embouchure d’un fleuve qu’il faut la chercher, mais bien à la source même où les premiers filets commencent à sourdre de la roche vive.

Nous pouvons nous appeler catholiques : ce mot signifie universel. En réclamant ce titre, nous prétendons appartenir à l’Église universelle. Cette Église est celle qui a été fondée par Jésus-Christ en qui nous croyons. Elle s’appelle universelle, parce qu’elle est répandue en tous lieux, qu’elle se manifeste en tous temps, qu’elle ne tient fatalement et exclusivement à aucun pays particulier, à aucune époque spéciale, à aucune institution politique, civile ou locale.

Ceux qui la composent sont chrétiens, non parce qu’ils adorent Dieu en telle langue, sous telle forme ; non parce qu’ils se rattachent à telle organisation, à tel clergé, à telle circonstance historique, à telle cérémonie, à telle Église de pierre, mais par le fait seul qu’ils croient sincèrement en Jésus-Christ, seul chef de l’Église, seul médiateur de la nouvelle alliance, seul intercesseur entre Dieu et les hommes, seul Sauveur et juge souverain.

Aussi, notre titre de catholique nous porte-t-il à tendre une main fraternelle à tous les vrais chrétiens, à quelque Église particulière qu’ils se rattachent d’ailleurs, quels que soient les points secondaires de croyance ou de pratique qui puissent encore les séparer de nous, assurés que ces divergences d’un ordre inférieur disparaîtront un jour pour ne laisser subsister dans l’Église de Dieu qu’un seul bercail, un seul troupeau, sous la direction d’un seul céleste berger.

Nous sommes apostoliques, c’est-à-dire que nous acceptons pour vraies toutes les doctrines prêchées par les apôtres, et que nous désirons nous conformer autant que possible aux mœurs et aux institutions des temps apostoliques.

Les apôtres nous ont laissé un monument de leurs enseignements dans l’histoire de leurs actes rédigée par saint Luc, dans leurs épîtres rédigées par saint Paul, saint Pierre, saint Jacques, saint Jude, saint Jean, comme les évangélistes avaient consigné dans leurs quatre livres l’histoire du Sauveur.

Ces livres, rédigés sous l’inspiration du Saint-Esprit, étant les bases de notre foi, tant que nous serons fidèles à leurs enseignements, nous aurons le droit de nous dire apostoliques, appartenant à la succession spirituelle et morale de ces envoyés du Seigneur.

Luther, Calvin, et les autres grands réformateurs, ont rendu au monde un inappréciable service en rétablissant dans l’Église le principe de l’autorité souveraine de la Parole de Dieu, les droits de la conscience humaine, et la doctrine capitale de la justification des pécheurs par la foi en Jésus-Christ ; mais tout en reconnaissant la valeur de ce service, nous ne sommes point les disciples de ces illustres docteurs ; nous ne nous disons ni luthériens, ni calvinistes : nous relevons directement de Jésus-Christ et de ses apôtres, et de ces derniers seulement en tant qu’ils ont été les fidèles prédicateurs de son Évangile.

Nous sommes catholiques, apostoliques… mais non romains. La Parole de Dieu ne nous dit nulle part que l’Église de Rome doive être distinguée des autres Églises, ni qu’elle ait aucun droit sur les rachetés de Jésus-Christ. L’Église de Jésus-Christ ne relève pas plus de Rome que de Paris ou de Londres.

Elle cesserait d’être catholique ou universelle si elle était localisée dans une ville ou dans une secte. Au point de vue national, nous sommes Français et non Italiens ; au point de vue religieux, nous sommes du règne de Jésus-Christ et non de l’évêque de Rome.

Mais de tous les noms qu’on emploie pour nous désigner, celui que nous portons de préférence, celui que nous désirons le plus de justifier par notre foi et par notre conduite, est celui de chrétiens évangéliques.

Chrétiens, c’est-à-dire disciples, imitateurs, adorateurs de Jésus-Christ.

Évangéliques, c’est-à-dire chrétiens, non à la manière de tant d’hommes qui prétendent l’être et qui ne le sont que d’apparence et de nom, selon leur vaine imagination, d’après les inspirations d’une foi ignorante, sans conscience d’elle-même, commandée par une autorité redoutée ou imposée par l’entraînement ou l’habitude… mais chrétiens éclairés par les magnifiques et infaillibles enseignements de l’Évangile, prenant l’Évangile, et l’Évangile seul, pour base de leur foi, pour règle de leur vie, puisant dans l’Évangile l’assurance de leur salut et de leur gloire à venir.

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