Le manuel des chrétiens protestants - Émilien Frossard

II – Autorité et liberté.

Je vous parle comme à des personnes intelligentes, jugez vous-mêmes de ce que je dis. I Cor., X, 15.

L’autorité et la liberté sont deux éléments constitutifs de notre vie morale. On les retrouve dans toutes les conditions : dans la nation, dans la famille, dans les relations de chef à ouvrier, de maître à domestique.

Il faut la liberté pour conserver à chacun sa responsabilité individuelle.

Il faut l’autorité pour que notre liberté ne nous devienne pas fatale à nous-mêmes.

Le protestantisme possède ces deux éléments dans leur plus grand développement.

L’autorité religieuse, je veux dire l’objet, la source de la foi, la règle souveraine de la conduite, le but suprême de toute aspiration, se trouve, pour le protestant, en Dieu et en Dieu seul.

Par condescendance pour notre faiblesse, Dieu a rendu cette autorité accessible, humaine, en Jésus-Christ. Et comme Jésus-Christ n’a pas voulu perpétuer son règne d’une manière visible sur la terre, il a consigné l’expression de sa vérité et de sa volonté dans la sainte Écriture, de laquelle un de ses apôtres a dit « qu’elle est tout inspirée et propre à enseigner, à corriger, à convaincre et à former l’homme à la justice (2 Tim., III, 16). »

Dans l’origine les prophètes et les apôtres proclamèrent de vive voix la Parole de Dieu ; mais Dieu, qui connaît les faiblesses de notre infidèle mémoire et les écarts de notre imagination mensongère, a voulu laisser au milieu de ses enfants un monument inaltérable de sa vérité en la confiant à des écrits qui ont été transmis d’âge en âge sans aucune altération importante. Ces écrits s’appellent la Bible ou le Livre, la sainte Écriture. Ils se composent, comme chacun sait, de l’Ancien Testament, contenant la première alliance donnée à Israël, ancien peuple de Dieu, et le Nouveau Testament, contenant les conditions de la nouvelle alliance de grâce donnée au peuple chrétien, qui est aujourd’hui le véritable Israël du Seigneur.

Il y a bien aussi une tradition vivante de la vérité ; je veux dire que dans tous les âges il y a eu de vrais chrétiens qui annoncent la pure vérité par leur parole et par leur vie, et qui se succèdent, non par la génération naturelle, non par un ordre politique ou sacerdotal, mais par une filiation spirituelle, c’est-à-dire parce qu’ils croient aux mêmes vérités et sont enfants du même Père suprême, et frères dans la même grande famille ; mais comme il nous faut une règle pour discerner cette voix de la vraie Église de Jésus-Christ et pour la distinguer de tant de voix humaines qui retentissent autour de nous, comme il nous faut une pierre de touche pour séparer l’or pur de tant de métaux sans valeur, comme il nous faut une loi suprême entre tant d’interprétations de la pensée de Dieu, le Seigneur nous a donné le Livre auquel nous pouvons en référer pour savoir où est la vérité salutaire.

Cette règle, cette loi suprême, cette autorité irrécusable, c’est la Parole de Dieu.

Aussi, lorsqu’on nous demande quel est le chef qui nous gouverne dans notre religion, nous répondons : Jésus-Christ, unique et divin Fils de Dieu, expression de la présence et de l’amour de Dieu, est notre seul chef. Et quand on nous demande où nous pouvons nous instruire de ses volontés et de ses promesses, nous répondons :

La Bible, Toute La Bible, Rien Que La Bible[1].

[1] Par une confusion, dont nous ne comprenons pas bien l’origine, une foule de personnes entendent par la Bible seulement l’histoire de l’Ancien Testament. Je prie le lecteur de se rappeler que dans tout le cours de cet ouvrage nous prenons ce mot dans son vrai sens, à savoir, toute la Parole de Dieu contenue dans les livres canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Voilà notre autorité : nous n’en voulons point d’autres. Qu’on examine nos croyances et nos pratiques à l’aide de cette règle souveraine. Si l’on nous prouve que nous nous sommes égarés, soumis à l’autorité de la Parole de Dieu, nous ne craindrons point de nous rétracter ; mais tant que nous pourrons justifier notre foi, la Bible à la main, nous marcherons avec assurance dans notre voie, et nous persisterons à croire que nous sommes dans la vérité évangélique et dans le bon et sûr chemin de la vie éternelle.

Mais afin que cette autorité produise sur ses enfants une influence salutaire, moralisante, Dieu nous donne la liberté, c’est-à-dire qu’il nous propose la vérité ; mais il ne nous l’impose pas ; il veut notre soumission, non par crainte, mais par amour ; il veut régner, non sur des esclaves, sur des cadavres, mais sur des âmes vivantes qui se donnent le voulant et le sachant.

Aussi Jésus-Christ disait-il à ses apôtres : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car l’esclave ne sait ce que son maître fait, mais je vous appelle mes amis, parce que je vous ai enseigné tout ce que j’ai appris de mon Père (Jean, XV, 15). »

Et cette contrainte que Dieu ne veut pas exercer sur nous, à plus forte raison n’autorise-t-il aucun homme à l’exercer sur ses semblables. Aussi, laissant au milieu de nous sa Parole, il nous a donné la liberté de la lire, de l’étudier, de la sonder, afin que notre conviction soit fondée sur une connaissance personnelle, sentie, approfondie de la vérité même. C’est pourquoi les prophètes et les apôtres ont rédigé les saints livres en langue vulgaire, c’est-à-dire dans les langues le plus généralement comprises de leur temps : l’Ancien Testament en hébreu, le Nouveau en grec. Voilà aussi pourquoi les réformateurs les ont traduits dans les langues parlées dans les pays où ils voulurent propager ces saintes vérités ; Luther les traduisit en allemand pour les Allemands, Wiclef en anglais pour les hommes de son pays, Calvin en français pour notre patrie ; et voilà pourquoi la grande Société biblique, qui embrasse le monde entier dans sa propagande chrétienne, a fait traduire et imprimer la Bible en près de deux cents langues différentes.

Cacher la Bible au peuple, c’est l’asservir ; c’est substituer aux élans d’une foi libre, spontanée, cordiale, les influences énervantes d’une religion de vaines pratiques et d’obscurantisme.

Cacher la Bible au peuple, c’est faire injure à l’humanité en lui dérobant un privilège que Dieu lui a conféré ; c’est faire injure à la religion qui, au lieu de repousser la lumière, doit l’appeler et la répandre, et qui n’a le droit de se cacher que lorsqu’elle a peur, c’est-à-dire lorsqu’elle a tort ; c’est faire injure à Dieu en doutant de la clarté, de l’efficacité, de la suffisance de sa Parole pour convaincre et sauver ; c’est élever le commentaire au-dessus du texte, la tradition au-dessus de la loi écrite, l’œuvre de l’homme au-dessus de l’œuvre de Dieu, le prêtre au-dessus de Jésus-Christ.

Nous reconnaissons, il est vrai, que la Parole de Dieu renferme encore des obscurités et des mystères ; et où n’en trouve-t-on pas ? Les interprétations de ceux qui s’annoncent pour infaillibles en sont-elles donc exemptes ?

Nous reconnaissons aussi que sous le régime de la liberté les chrétiens pourront interpréter l’Écriture sainte de diverses manières ; et peut-on l’empêcher, et les interprètes qui se donnent pour infaillibles sont-ils donc à l’abri de toutes variations ?

Mais nous estimons que fermer le Livre ou le soustraire aux yeux de ceux qui ont le droit de le lire et de l’étudier n’est point un moyen d’atténuer ces difficultés. S’il est des révélations obscures, remarquez qu’elles le sont surtout pour ceux qui ne cherchent pas à s’en instruire ; la Bible sera-t-elle plus claire pour les Français parce qu’ils ne la liront qu’en latin, ou parce qu’on ne leur permettra d’en lire que des fragments ?

La Bible contient des obscurités ; mais ces obscurités touchent à l’essence de Dieu qui est mystérieuse par elle-même, et faut-il, à cause de ces ombres, se priver des clartés, des enseignements simples et accessibles dont elle abonde et qui font à la fois du Livre divin la nourriture saine et substantielle des esprits élevés, le lait léger et doux des enfants et des hommes simples ? Fleuve, comme le dit un chrétien des premiers âges, assez profond en certains lieux pour permettre à un éléphant d’y nager, et pas assez ailleurs pour qu’un petit agneau ne puisse le traverser à gué.

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