Le manuel des chrétiens protestants - Émilien Frossard

XV – Les sectes.

Dans les choses importantes, unité ; dans les choses douteuses, diversité ; en toutes choses, charité. Saint Augustin.

On fait grand bruit des sectes qui caractérisent le protestantisme. On en exagère le nombre, les divergences, les inconvénients. Il est sage de ramener ces faits à leur exacte portée.

L’Église invisible est une ; c’est-à-dire que tous les vrais chrétiens, quels que puissent être leur apparence extérieure, le nom qu’ils portent, la société à laquelle ils appartiennent, les formes de leur culte, reçoivent dans leur cœur et dans leur vie les mêmes principes fondamentaux qui sont à la base de l’Évangile, et sans lesquels le christianisme cesserait d’être le christianisme. C’est cette unité que Jésus-Christ prophétisait dans cette belle prière : « O Père, qu’ils soient un, comme nous sommes un (Jean, XVII, 22.). »

L’Église visible, institution qui a son côté humain, terrestre, et par conséquent imparfait, est divisée. Elle est divisée quand on la considère dans l’ensemble de la chrétienté. La chrétienté se compose des chrétiens catholiques romains, des chrétiens protestants, des chrétiens grecs, des chrétiens arméniens, des chrétiens coptes, des chrétiens abyssins, etc.

Si l’on prend chacune de ces branches de la chrétienté, on les trouve subdivisées, même celles qui prétendent le plus à une unité rigoureuse. L’Église grecque est divisée, comme on le voit surtout dans la Russie méridionale et dans l’empire ottoman. L’Église romaine est divisée, sinon dans la forme de son culte, du moins dans le principe même de l’autorité infaillible, que les uns placent dans le pape seul, d’autres dans les conciles, d’autres dans le pape présidant les conciles, etc. Les protestants sont divisés en diverses dénominations qui font le sujet spécial de ce présent chapitre.

Les sectes sont un état de transition inévitable entre l’unité par l’autorité et l’unité par la liberté. Dans cet état, les esprits sont en travail, les âmes sont éprouvées, la foi se forme et s’épure, et le formalisme disparaît.

Les sectes sont presque toujours un signe évident d’un grand réveil religieux. L’harmonie est plus facile dans le sommeil que dans l’activité, et le silence plus complet parmi les morts que parmi les vivants.

Il faut de deux choses l’une : ou imposer l’unité de la foi par l’autorité, alors vous aurez l’unité dans le silence et la mort ; ou donner la liberté en supportant la diversité, et alors vous aurez des âmes actives, sincères et vivantes.

Patience ! Les sectes ne sont que pour un temps ; laissez donc les hommes chercher la vérité à leur manière ; quand ils l’auront trouvée ainsi, ils n’en seront que plus consciencieux et sincères. Permettez donc ce que Dieu permet et ne maudissez pas ceux qu’il n’a pas maudits ; qui sait s’il ne permet pas ces divergences transitoires pour prouver qu’on peut être un chrétien pieux, un homme saint, un élu du ciel, hors de telle ou telle institution humaine ?

J’ai souvent trouvé dans des ouvrages hostiles au protestantisme des listes des sectes que l’on donnait comme produites par la Réforme ; ces listes étaient empreintes d’une insigne mauvaise foi dont le résultat était de donner à nos diversités des proportions et un caractère qu’elles sont bien loin de présenter en réalité.

C’est ainsi, par exemple, que quelques auteurs s’obstinent à nous rendre responsables de l’existence des mormons, tandis que ceux qui connaissent cette communauté savent bien qu’elle s’est mise complètement en dehors de la chrétienté, ayant substitué une Bible de son invention à la sainte Parole de Dieu, et que nous ne voulons pas plus accepter comme protestants ces hommes égarés que nous ne voudrions rendre l’Église romaine solidaire des flagellants des anciens temps et des saint-simoniens des temps modernes.

Les listes auxquelles nous faisons allusion trompent encore les gens peu éclairés en faisant autant de sectes des noms qui servent à en désigner une seule. Ainsi j’ai remarqué les noms suivants : protestants, réformés, évangéliques, bibliques, calvinistes.

En additionnant, nous avons cinq sectes ; or, celui qui écrit ces pages est tout cela à la fois, bien qu’il n’ait la prétention d’appartenir qu’à une seule Église, savoir : l’Église réformée de France. Que dirait-on de celui qui prétendrait que les mots catholiques, romains, papistes, ultramontains indiquent quatre Églises séparées, tandis qu’ils peuvent être revendiqués par une seule personne ?

Enfin on calomnie les sectes protestantes quand on les représente toujours comme prêtes à s’anathématiser les unes les autres, tandis que leurs divergences ne les empêchent point de s’unir fraternellement, soit pour travailler en commun à des œuvres de piété et de bienfaisance, soit dans l’intimité plus étroite encore de la prière et de la communion. L’Église réformée de France, en particulier, est heureuse d’offrir ses chaires aux prédicateurs fidèles de toutes les dénominations protestantes ; et la grande réunion œcuménique de l’Alliance évangélique a pour objet spécial de rapprocher les chrétiens de toutes sectes sur le terrain commun de l’orthodoxie évangélique, mettant ainsi en lumière le grand principe de « l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. »

Du reste, ce fait apparaîtra d’autant moins surprenant que l’on saura mieux apprécier l’histoire des sectes et leur caractère distinctif. Une étude approfondie de ce sujet important montrera que les différences qui existent entre les protestants tiennent soit à des origines historiques, aux caractères nationaux divers, soit à des divergences relatives au gouvernement ecclésiastique ou à la célébration extérieure du culte, éléments que les protestants considèrent comme étant d’un ordre secondaire quand on les compare aux grands principes fondamentaux de la foi chrétienne qui concernent directement la vie de l’Église.

Les protestants d’Angleterre sont gouvernés par des évêques, ceux de France le sont par des presbytères ; les premiers se mettent à genoux quand ils communient, tandis que les protestants de France se tiennent debout ; les uns ont de longues liturgies, d’autres en ont de courtes, d’autres n’en ont pas du tout.

De bonne foi, écartez ces différences, qui sont peu importantes quand il s’agit du salut et de la vie, et les divergences qui existent entre les Églises protestantes se réduiront à bien peu de chose, comme le prouve d’ailleurs le rapprochement chaque jour progressant qui fait de l’ensemble de ces familles protestantes une grande et compacte unité, que le réveil religieux, l’instruction, le développement de la charité et la bénédiction de Dieu rendent chaque jour plus éclatante et plus féconde.

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