Le manuel des chrétiens protestants - Émilien Frossard

XXV – Abjuration.

Sortez de Babylone ! Esaïe, XLVIII, 20.

Abjuration ! Ce mot réveille d’ordinaire la méfiance et l’appréhension. La pensée se porte en effet aussitôt sur des souvenirs de conversions achetées à prix d’or ou extorquées par la terreur. Et ce qu’on trouve odieux de la part d’une religion dominante, on ne l’approuve pas davantage de toute autre Église. Je me hâte donc de dire que notre principe protestant, qui n’attache de valeur à la foi qu’autant qu’elle est consciencieuse et libre, repousse de la manière la plus éclatante et la plus absolue toute tentative de lui gagner des adhérents autrement que par des convictions sincères et éclairées. Et si nous considérons l’établissement de l’Inquisition, la révocation de l’édit de Nantes, comme de diaboliques machinations, nous ne craignons pas de dire tout haut que nous croyons que Calvin a péché en approuvant la condamnation de Michel Servet ; que s’il est des monarques protestants qui usent de mesures restrictives contre les chrétiens dissidents, ils sont en contradiction flagrante avec le principe de leur religion nationale, et que tout autre acte d’oppression spirituelle, de quelque côté qu’il vienne, est entaché, d’injustice et même d’impiété…

Toutefois, ce principe de liberté de conscience, nous l’acceptons dans toutes ses conséquences ; et si, sous le bienfait de son application la plus large, nous voulons que chacun soit libre de rester dans la religion qu’il croit la meilleure, nous voulons que chacun soit également libre de choisir la religion qu’il préfère.

Ce dicton populaire partout répandu : Il faut mourir dans la religion où on est né, nous a toujours paru une tyrannique absurdité.

— Mourir dans la religion de ses pères ?

Oui, si elle est vraie ; non, si l’on découvre qu’elle est fausse. Autant vaudrait dire qu’il faut mourir dans l’ignorance, dans les vices, dans les crimes de ses pères. Nul ne peut accepter cette fatalité de la naissance sans une espèce de suicide moral.

Le principe de ce dicton proverbial est l’absence de tout principe ; cet attachement aveugle à une religion de naissance est l’absence de toute religion, car il réduit la religion à une position, à un nom, à une apparence. C’est ainsi que l’on condamne des nations entières à l’hypocrisie en les maintenant dans la profession extérieure d’un culte qu’elles ne pratiquent plus, de principes qu’elles ne croient plus.

L’observation la plus superficielle prouve que les nations les plus religieuses sont celles où il est entendu que chacun choisit le culte qui lui convient quand il est assez éclairé pour choisir par lui-même, et que si les cultes officiels peuvent perdre à cette indépendance de la pensée, la religion y gagne en sincérité, en lumière, en influence moralisante.

Si donc nous méprisons l’homme qui abandonne le culte de sa naissance à la légère, par intérêt, par peur, nous estimons celui qui, faisant usage de toutes les lumières qui lui ont été départies, examine sérieusement ce culte dans son principe fondamental, et n’hésite pas, quoi qu’il puisse lui en coûter en sacrifices d’affection et de position, à embrasser la croyance qui lui paraît le plus en harmonie avec les besoins de sa conscience et les lumières de sa raison.

Nous allons plus loin encore, et nous pensons que tout homme convaincu doit s’efforcer de convaincre les autres ; que celui qui a dans la tête une bonne pensée, dans son cœur un bon sentiment, dans son âme un bon principe, n’a pas le droit de tenir ces trésors enfouis, qu’il doit les répandre autour de lui, et qu’il n’a pas besoin, pour exercer ce ministère fraternel, d’être revêtu d’une charge officielle.

Il y a dans l’humanité une solidarité si étroite, que chaque homme est responsable vis-à-vis de son frère des lumières qu’il aurait pu lui communiquer.

Ce que nous disons des individus, nous le disons à plus forte raison des Églises ; elles sont atteintes de mort lorsqu’elles renoncent à s’étendre ; elles abandonnent leur principe, elles se réduisent au silence, elles n’ont plus de raison d’être lorsqu’elles ne cherchent pas à envahir le monde. Lorsqu’elles sont dans la vérité, elles emploient pour s’étendre des moyens conformes à la vérité : la prédication, l’instruction, la persuasion, la douceur, la prière, l’amour. Lorsqu’elles ne craignent pas d’employer la ruse, la politique, les séductions, les actes de violence, nous n’hésitons pas à dire qu’elles sont dans les sentiers de l’erreur et d’une flagrante infidélité.

Il y a diverses manières de juger un homme qui abandonne la religion dans laquelle il est né pour embrasser un autre culte.

Qu’un homme renie la foi de ses pères par la crainte d’un blâme public, par fausse honte, sous le vent de la persécution, en présence des douleurs du martyre, il est permis de dire de cet homme qu’il n’est qu’un lâche renégat.

Qu’un homme abjure son culte par motif d’ambition humaine, pour se concilier la faveur des grands, l’appui du pouvoir, les richesses et les honneurs du monde, on peut dire de cet homme qu’il est un hypocrite.

Qu’un homme passe successivement d’un culte dans un autre par inconstance, par inquiétude d’esprit, pour essayer d’une situation nouvelle, on peut dire de cet homme qu’il se fait un jeu de tout ce qu’il y a de plus sacré parmi nous.

Mais qu’un homme sérieux, sincère, pieux, reconnaisse les erreurs attachées au culte dans lequel il a passé son enfance ; guidé par la raison, par sa conscience, ou plutôt par les lumières certaines que nous fournit la révélation divine, qu’il ait le courage de s’affranchir du joug de l’erreur et d’affronter, s’il le faut, les moqueries du monde, les persécutions des fanatiques, la défaveur des grands : que n’écoutant que la conscience et le devoir, il embrasse la vérité évangélique…, un tel homme a droit à notre estime et à notre bienveillance. L’Église réformée ne repoussera pas un tel homme ; elle n’est pas jalouse de s’en acquérir d’autres.

L’admission d’un prosélyte dans l’Église réformée de France, diffère, quant à sa forme, selon les circonstances.

S’il s’agit d’un homme qui ait été constamment étranger aux rites chrétiens, je veux dire un païen, un mahométan, un juif, il va sans dire qu’il devra recevoir, avant tout, le sceau du baptême.

Si le prosélyte est né et a été élevé dans une des branches de la grande famille chrétienne, un catholique, un grec, par exemple, une commission consistoriale est chargée de s’enquérir de son instruction religieuse et de ses mœurs ; elle s’entoure de toutes les lumières propres à lui faire connaître les convictions intimes du néophyte, et, sur des renseignements favorables, le conseil presbytéral accepte le nouveau frère, après qu’il a déclaré lui-même formellement renoncer aux erreurs de sa naissance, et désirer être admis dans notre Église, en communion d’esprit, d’amour et de foi. Il devra déclarer aussi qu’il n’a été mu dans sa décision par aucun motif d’intérêt ni de pression extérieure, et que cette importante démarche est l’effet d’une conscience libre et éclairée. Cette réception est accomplie sans éclat et dans un esprit de prière.

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