Histoire de la restauration du protestantisme en France

V
Le Protestantisme et la Régence
(1715-1723)

Confiance des religionnaires à l’avènement du duc d’Orléans. — Une première déclaration trouble leurs illusions. — Indifférence du Régent ; conversation avec Saint-Simon. — Les affaires religieuses sont toujours dirigées par les anciens conseils de conscience et de l’intérieur. — Plaintes de Bâville. — Déclaration de 1716 ; lettre du duc d’Antin. — Consternation des religionnaires. — Plaintes et requêtes ; lettre d’Antoine Court à Roquelaure. — Mesures contre les réfugiés ; persécution incessante et générale en France : Picardie, Bretagne, Saintonge, Guyenne, Dauphiné, Poitou, Languedoc. — Résignation des protestants. — Sentiments de patience que leur inspire Antoine Court et dont il entretient l’énergie ; preuves. — Curieuse aventure : France et Espagne. — La cour craint un soulèvement des religionnaires du Languedoc et du Poitou ; elle leur fait écrire par Basnage et par Pictet ; elle envoie enfin des députés : — Etonnement d’Antoine Court ; réponses qu’il fait au député de la cour. — La vérité sur Scipion Soulan. — Espérances que ces événements font naître chez les protestants. — Paroles d’Antoine Court — La persécution recommence en Bretagne, Dauphiné, Poitou, Languedoc. — Découragement général : — Lettre à Roquelaure. — Protestations de fidélité. — Règlements du Synode de 1721. — Continuation de la persécution.

C’est avec une entière confiance, avec joie, que les protestants avaient salué à la mort de Louis XIV l’avènement du duc d’Orléans. Ils avaient pensé qu’une ère de tolérance allait désormais s’ouvrir, et que tous les édits qui pesaient sur eux disparaîtraient en même temps que celui qui les avait signés.

[Joly de Fleury en convient aussi : « Les nouveaux convertis se sont persuadés, depuis la mort du feu Roi, que l’indulgence dont on a usé pendant les premières années du règne de Louis XV (!) pouvait leur faire espérer le rétablissement de l’exercice de leur religion. » Extrait d’un rapport de La Fare. Bibliothèque nationale, Mss. n° 7046, p. 213. On dit généralement que la Régence fut pour le protestantisme un temps de tolérance, presque de liberté religieuse. Rien n’est moins fondé ; ce chapitre et le chapitre viii en fourniront la preuve.]

Une première déclaration troubla leurs illusions. Le Régent signifia hautement « qu’il maintiendrait les édits contre les religionnaires. » Il ajoutait toutefois « qu’il espérait trouver dans leur bonne conduite l’occasion d’user de ménagements conformes à sa clémencea. » Cette seconde phrase raviva et raffermit leurs espérances. Le maintien des édits, pensèrent-ils, n’était qu’un acte de pure politique, et ils coururent en foule aux assemblées qu’Antoine Court et ses collègues commençaient de convoquer. — De cruels événements ne devaient pas tarder à leur montrer sous leur vrai jour les intentions du pouvoir.

aHistoire de la Régence, par Lemontey. Paris (1832.)

N’est-ce pas sous l’empire de cette pensée que fut écrite cette requête naïve et charmante dans son embarras, envoyée au Régent, en 1716, par les religionnaires du Dauphiné ? — Ah ! pour rien au monde, ils n’auraient voulu le compromettre.

« Monseigneur, quatre ou cinq personnes du nombre des religionnaires du Dauphiné, osent prendre la liberté d’écrire à Votre Altesse Royale, sans oser cependant signer leur lettre, pour l’assurer premièrement de leur soumission profonde et leur fidélité inviolable et lui donner avis en même temps que quelques-uns des leurs, qui habitent dans les hameaux et villages de la campagne, se sont émancipés depuis quelques semaines de faire des assemblées, dans la seule vue toutefois de prier Dieu et se consoler ensemble, sans le moindre port d’armes, quel que ce puisse être, en secret, autant qu’il leur a été possible, et sans aucun tumulte, désordre ni sédition. — Dès que nous avons été informé de la chose, nous pouvons, Monseigneur, assurer Votre Altesse Royale, avec la dernière sincérité, que nous n’avons rien négligé de ce qui peut être en notre pouvoir pour l’empêcher et pour réprimer ce zèle hors de saison. Comme la prudence ne nous a pas permis de nous transporter dans les endroits où ces assemblées peuvent se former, de peur que quelques catholiques d’un zèle outré et trop ardent n’eussent pu imputer nos démarches à un motif directement opposé à celui qui nous les aurait fait entreprendre, nous n’avons cessé d’être aux aguets les jours de marché pour avertir les paysans de notre connaissance d’être sages, de demeurer tranquilles, de discontinuer ces sortes d’assemblées et de se contenter de prier Dieu chacun chez soi et dans sa famille. Nous leur avons recommandé fortement de donner le même avis, de main en main, à tous leurs voisins ; en un mot, d’être fidèles au Roi, et de ne rien faire contre les lois d’un gouvernement aussi équitable que celui de Votre Altesse Royale, sous lequel nous avons tous le bonheur de vivre. » Archives nationales, TT. 463. (Avril 1716.)

Le duc d’Orléans n’avait personnellement aucune haine contre « les huguenots, » comme il les appelait ; il était même animé d’intentions bienveillantes à leur égard, et un jour, en 1716, il les manifesta clairement.

Les religionnaires ajoutaient à tous les embarras que lui avait légués le feu roi ; ils s’adressaient à lui pour mille procès, et la difficulté de concilier les édits et déclarations de Louis XIV le jetaient dans de grandes perplexités. Ce jour-là, il se prit donc de pitié pour ses sujets huguenots. « Louis XIV les avait traités avec cruauté ; l’Etat avait souffert de la révocation de l’Edit de Nantes ; cette mesure avait ruiné le pays et excité des haines mortelles : pourquoi ne rappellerait-on pas les réfugiés dans leur patrie ? ». — Il parlait ainsi devant Saint-Simon. Le noble duc fut d’abord stupéfait. Mais reprenant quelque calme, il se hâta de ramener son royal interlocuteur à de plus justes sentiments. Il lui rappela les désordres et les guerres civiles dont les huguenots avaient été les instigateurs depuis Henri II jusqu’à Louis XIII. Il parla de leurs prétentions et des embarras qu’ils avaient donnés à Henri IV. Louis XIV avait abattu l’hydre ; pourquoi, au lieu de jouir en paix d’un si grand repos domestique, irait-il de son gré faire ce que le feu Roi avait eu le courage et la force de rejeter avec indignation, « quand, épuisé du blé, d’argent, de ressources et presque de troupes, et à la veille des plus calamiteuses extrémités, ses nombreux ennemis voulurent exiger le retour des huguenots en France, comme l’une des conditions sans lesquelles ils ne voulaient point mettre de bornes à leurs conquêtes ni à leurs prétentions ? » — Le Régent fut déconcerté. Il rompit brusquement l’entretien, et ne parla plus désormais ni de tolérance ni du rappel des protestantsb.

bŒuvres de Saint-Simon, édition Chéruel, t. XIV, chap. i.

Cette anecdote que raconte Saint-Simon peint assez bien le duc d’Orléans. Ses intentions pour les religionnaires étaient excellentes, mais il n’avait ni la volonté ni le temps de les exécuter. Il avait à liquider la succession d’un règne, il avait le duc du Maine, Law, la banque, les intrigues d’Espagne ; accablé d’affaires, comment s’occuper sérieusement des nouveaux convertis ? …

S’il n’essaya point de s’occuper de leur condition, ceux qui depuis si longtemps poursuivaient en France la disparition du protestantisme et qui avaient su mettre à leur dévotion l’esprit, la volonté et la puissance de Louis XIV, se gardèrent bien d’imiter sa réserve et de partager son indifférence. Ils étaient restés au pouvoir, et ils n’entendaient point perdre par un changement de règne le fruit de leurs longs et patients travaux. Le vieil ordre de choses n’avait pas encore été aboli, les anciens conseils, de conscience et de l’intérieur fonctionnaient toujours à Paris : la persécution devait donc suivre son cours.

Les premières assemblés du Désert qu’Antoine Court, au lendemain de la mort de Louis XIV, avait convoquées en Languedoc, avaient excité une assez vive émotion. Bâville et Roquelaure, à Montpellier, dans le premier moment de colère, en avaient immédiatement écrit à la cour. — Ici, il faut tout citer :

« M. le duc de Roquelaure et M. de Bâville donnent avis de quelques petites assemblées qui se sont tenues en Languedoc, et proposent de rendre une ordonnance pour les empêcher. Il faut répondre à M. de Bâville et à M. de Roquelaure qu’ayant rendu compte à Mgr le duc d’Orléans des lettres qu’il nous écrit au sujet de…, et de l’ordonnance en forme de placard que M. de Bâville a proposé qu’il fut rendu pour défendre les assemblées ; Son Altesse Royale a jugé à propos de m’ordonner de rendre compte au conseil de Régence de ce qu’ils proposent, et il a été décidé d’expédier l’ordonnance que je lui envoie, pour qu’il la fasse imprimer et afficher incessamment. »

[Archives nationales, TT. 322. (17 mai 1716.) C’est la minute probablement de la réponse du conseil de Régence. — Malgré d’actives et de patientes recherches au ministère de la guerre, aux Archives nationales, aux Archives des départements, nous n’avons pu retrouver la correspondance échangée entre les intendants et la cour au sujet des religionnaires, pendant les années 1715-1723. Il a fallu nous contenter de quelques rares pièces égarées et trouvées ici et là. Les Archives du secrétariat de la maison du roi ont une déplorable lacune de 1706 à 1719 ; et à cette dernière date, elles ne contiennent guère que des lettres de Maurepas sur les affaires du Poitou.]

En effet, au mois de mai ou de juin 1716, parut et fut affichée dans tous les bourgs et villages du Languedoc une ordonnance royale qui, après avoir énuméré toutes les lois restrictives promulguées sous l’ancien règne pour empêcher les assemblées, continuait ainsi : … « Cependant toutes ces lois ne pouvant contenir l’endurcissement des nouveaux convertis qui continuent de faire des assemblées prohibées et défendues par des ordonnances, il était nécessaire d’y pourvoir et de renouveler les mêmes défenses pour l’entière exécution des intentions de Sa Majesté. Ainsi le procureur général du Roi a requis être ordonné que les ordonnances, édits et déclarations du Roi prohibitives des dites assemblées, seront exécutées suivant leur forme et teneur, conformément à la volonté du Roi ; et ce faisant, être faites itératives inhibitions et défenses à tous les nouveaux convertis du ressort de la cour, de quelque qualité et quelque condition qu’ils soient, de faire aucun exercice de la religion prétendue réformée, ni de s’assembler pour cet effet, sous prétexte de prières ou culte de la dite religion de quelque nature qu’il soit, en aucun lieu, en quelque nombre, ni sous quelque prétexte que ce puisse être, ni de faire des assemblées ou quelque exercice de la religion autre que la catholique, apostolique, romaine, et, sous quelque prétexte que ce soit, de recevoir aucuns ministres et prédicants, ni d’avoir aucun commerce avec eux, directement ou indirectement… » (Archives nationales, TT. 463.)

Le 5 août de la même année, parut encore une lettre du duc d’Antin aux évêques, où il les priait d’envoyer la liste des écoles de leurs diocèses et des lieux qui en manquaient, afin que les enfants des nouveaux convertis ne pussent pas retomber dans les égarements de leurs pères, faute d’éducationc.

c – N° 17, vol. G, p. 505. — V. aussi Recueil des Edits, Déclarations et Arrêts dit Conseil concernant la R. P. R. A Rouen (1729).

Rien n’était donc changé. Ce nouveau règne que les religionnaires avaient salué avec tant de joie, dont ils attendaient avec certitude la fin de leurs maux, comptait à peine une année d’existence, et déjà il avait promulgué une ordonnance terrible qui rappelait les plus terribles du règne précédent et qui montrait clairement l’intention de la cour de ne point se départir de cette inflexibilité et de cette rigueur dont le feu Roi avait donné, pendant de si longues années, de si éclatants et si nombreux exemples. La stupeur fut immense. Et la consternation qui suivit fut d’autant plus profonde que les espérances avaient été plus hautes.

« La plupart de ceux qui sont restés, écrivait un protestant, s’étaient flattés qu’après la mort de Sa Majesté, qui était obsédée par les Jésuites, leurs grands ennemis, ils pourraient jouir de quelque liberté, puisque Votre Altesse Royale sait très bien que la religion doit se persuader et non se forcer. Mais ils sont bien loin de leur compte, puisqu’ils voient revivre les mêmes rigueurs, et qu’ils sont comme l’oiseau sur la branche, prêts à tout moment d’être exterminés… » (Archives nationales, TT. 469. 1716.)

De leur côté, les religionnaires de Guyenne ajoutaient à propos d’une assemblée surprise :

« Hélas ! combien de maux ne leur a-t-on pas fait souffrir pour leur religion, depuis trente-deux ans que l’on les persécute à outrance, que l’on a ruiné et réduit un nombre infini de gens à la mendicité, que l’on a gardés en prison, renfermés depuis vingt-cinq et trente ans, (d’autres ont été mis dans les couvents pour avoir des prétextes de leur avoir leurs biens), que l’on a exécutés plusieurs fois, et que l’on a enfin réduits à la dernière extrémité … » (Ibid., TT, 363 — V. aussi Pièces et documents, n° 8)

Antoine Court prit lui aussi la plume et dans une lettre à Roquelaure qui commandait en Languedoc : Le clergé, disait-il en substance, continuait donc de les peindre sous de fausses couleurs, puisqu’après trente années de disgrâces, on renouvelait contre eux les plus sévères édits du temps passé. Malgré leur fidélité, ils se voyaient exposés sous la Régence aux mêmes rigueurs qui les avaient frappés sous Louis XIV. De quel crime cependant pouvait-on les charger ? D’être attachés à leur religion et d’en faire profession au Désert ? Mais était-ce un crime ! Etaient-ils des factieux ? On savait bien que non. En vain avait-on surpris leurs assemblées, fait des prisonniers, tiré sur une foule inoffensive, ils n’avaient jamais eu recours à des représailles : ils s’étaient laissé emprisonner, tuer « comme des agneaux sans défense. » Ils demandaient peu. Ils ne réclamaient ni le droit de s’assembler dans les villes, ni la permission d’élever des temples ; ils sollicitaient simplement la permission d’aller dans les bois, au Désert, invoquer en pleine liberté le Dieu de leurs pères… Au surplus, continuait-il, quel que fût l’accueil fait à leur demande, ils étaient trop convaincus de la nécessité de leurs assemblées pour y renoncer ; et depuis longtemps ils avaient fait le sacrifice de leur vie au triomphe de leur foi. Mais ils mourraient sans murmurer, et quelles que fussent les souffrances qu’on leur réservât, rien n’arracherait de leur cœur les sentiments d’amour qu’ils nourrissaient pour le roi et pour la monarchie. (N° 46, cah. II. 1716)

Ces protestations et ces prières demeurèrent sans résultat. La cour, menée déjà, poussée et dirigée par le clergé, avait résolu de poursuivre jusqu’à son accomplissement l’œuvre entreprise par Louis XIV. Rien ne pouvait, en ce moment du moins, la faire dévier de la ligne de conduite qu’on lui avait tracée. Quelques mois après l’ordonnance contre les assemblées, elle prit des mesures contre les réfugiés qui, sur le faux espoir de jours meilleurs, s’étaient hâtés de revenir dans leur patrie. Elle leur interdit l’accès du sol natal, et leur défendit de passer la frontière, s’ils n’abjuraient publiquement le protestantisme. Bien décidée à en finir, elle voulait ainsi circonscrire le mal pour le mieux étouffer.

[La cour dut envoyer aux intendants et aux commandants militaires une lettre circulaire écrite dans ce sens. Malheureusement nous ne la possédons pas. Mais le fait n’est pas douteux, et si nous ne connaissons pas le texte de cette circulaire, nous en connaissons certainement l’esprit par les lettres des intendants et des commandants à leurs subdélégués.]

« Le feu roi, écrivait l’intendant de Bretagne, a donné des ordres pour empêcher que les religionnaires réfugiés dans les pays étrangers rentrassent dans le royaume, sans faire dans la première ville frontière un nouveau serment de fidélité, et sans promettre, s’ils ne font pas en même temps abjuration de la R. P. R., de la faire incessamment. Et comme quelques-uns pourraient tenter d’y revenir à l’occasion des changements qui viennent d’arriver, j’ai reçu l’ordre de Sa Majesté de faire arrêter ceux qui pourraient rentrer dans cette province, sans avoir dessein de satisfaire à ces conditions… »

Et plus loin :

« … C’est afin que vous teniez la main à l’exécution de ce règlement, sans vous en départir en aucune manière, que nous vous faisons savoir que telle est la volonté de la Régence … » (V. Histoire des Églises de Bretagne, etc., t. III, p. 213.)

En Dauphiné, Médavid accentua la pensée de la cour, et mit dans l’exécution de ses ordres une rigueur militaire :

« … Je vous supplie, Monseigneur, de donner ordre à Messieurs les curés de votre diocèse de vous envoyer un état exact de ceux qui sont revenus dans leurs paroisses, qui n’ont pas fait abjuration, et de vouloir bien m’en informer, afin qu’en y envoyant des troupes, je puisse la leur faire faire ou les faire sortir de la province… » (V. La société protestante dans les Hautes-Alpes, etc., p. 425, 494, 505 Août 1716.)

Quant au Languedoc, Roquelaure terminait ses instructions par ces lignes : « … Si après cela, il ne laisse pas d’en revenir quelqu’un, ne manquez pas, s’il vous plaît, de le faire arrêter et de me l’envoyer en sûreté. »

Voici la lettre tout entière (N° 17, vol. H, p. 286.) :

A Montpellier, ce 14e septembre 1717.   

« Quoi que je ne doute pas, Monsieur, que vous n’ayez toute l’attention que vous devez à ce qu’il n’arrive rien dans votre département contre le bien du service du Roi et de la tranquillité publique ; je dois néanmoins vous faire savoir qu’il est nécessaire que dans la conjoncture présente, vous ayez une application particulière à veiller sur ce qui se passe, observant surtout d’être informé bien régulièrement de tous les étrangers, gens inconnus et suspects qui pourront arriver ou même passer dans les lieux de votre inspection, afin que vous soyez en état de les faire arrêter, s’il y a lieu, et donner avis conformément aux instructions qui vous ont été remises. Il est bon de vous faire remarquer que vous ne devez point avoir égard aux passeports que les réfugiés français prennent à Genève, en Suisse, ou en différents endroits, des ministres des puissances étrangères, et que les réfugiés ne peuvent revenir en cette province, sans qu’ils en aient une permission du Roi, ou une de moi ; si après cela il ne laisse pas d’en revenir quelqu’un, ne manquez pas, s’il vous plaît, de le faire arrêter et de me l’envoyer en sûreté. Je suis, Monsieur, très parfaitement à vous.

      Signé : Le Duc de Roquelaure. »

Ces vieux commandants, ces intendants choisis par Louis XIV pour donner les derniers coups au protestantisme expirant n’étaient pas hommes en effet à abandonner le système de terreur qu’ils avaient pratiqué avec tant de succès. Aussi, dès que les volontés du pouvoir se furent nettement manifestées, la persécution, quelque temps interrompue, reprit-elle son cours ordinaire.

En Picardie, Bernage fit battre le pays par les troupes, et se donna le plaisir de courir, de nuit, sus aux assemblées. (V. Histoire de Picardie, etc., p. 276.)

En Bretagne, des mariages furent annulés et des enfants séquestrés. (V. Histoire des Églises de Bretagne, etc., t. III, p. 215. 1715-1718.)

En Saintonge, Chamilly brûla les maisons de ceux qui allaient au Désert. (V. Histoire de la Régence, etc., t. II, p. 145 et 146.)

En Guyenne, Berwick écrivit un jour que les nouveaux convertis tenaient des assemblées et qu’il serait d’avis d’ordonner aux troupes de charger celles qui se tenaient dans le voisinage de leurs quartiers. Le Régent approuva aussitôt le dessein, et ajouta que les prédicants devaient être punis de mort. Une assemblée ayant été convoquée, les soldats marchèrent contre les fidèles et les dispersèrent. (V. Œuvres de Saint-Simon, etc., t. XIV, chap, i.)

En Dauphiné, Médavid disait avec un sourire, à propos d’une exécution qu’il venait de faire : « J’espère que le châtiment que je viens d’infliger à ceux de la vallée de Bourdeaux servira d’exemple à ceux de la province, et qu’ils se comporteront de manière à ne pas attirer chez eux mes missionnaires … » (Février 1719)

Dans le Poitou, on se livra à la chasse des prédicants ; vingt-cinq hommes, — gens de rien, laboureurs, tisserands, valets de ferme, — furent obligés de se réfugier en Angleterre, envoyés aux galères ou pendus. (V. Bullet., t. IV, p. 224, et n° 17. vol. R.)

Bâville, en Languedoc, et Roquelaure ne pouvaient se laisser dépasser. Ce dernier écrivait au gouverneur d’une ville : « Outre l’attention que vous devez avoir à exécuter bien régulièrement le contenu de votre instruction, je vous dirai encore que vous devez vous attacher particulièrement 1° à empêcher qu’il ne se tienne des assemblées, 2° à faire arrêter sans ménagement ni complaisance tous les étrangers, les inconnus et les suspects (N° 17, vol. H, p. 286 et 290). » Recommandation inutile ! Nul n’était disposé à ménager des séditieux que l’on croyait domptés, et qui donnaient de nouveau des signes de leur indomptable esprit de résistance. En 1715, Roquelaure avait cru pouvoir désarmer vingt-cinq mille hommes des milices bourgeoises, mais ce qu’il en restait, joint aux troupes régulières, était suffisant pour contenir les religionnaires. De tous côtés, il envoya des détachements et mit les soldats en campagne ; le nombre des espions fut augmenté, les têtes des prédicants mises à prix, et les traîtres encouragés à découvrir les assemblées. Un prédicant fut arrêté et pendu ; plusieurs réunions du Désert furent surprises et dispersées. Au commencement de l’année 1717, on apprit qu’une assemblée devait se tenir dans les Cévennes, près d’Anduze, au Désert. Les dragons accoururent pour donner « la chasse. » Ils saisirent soixante-quatorze personnes et les conduisirent à Montpellier. Roquelaure condamna vingt-deux hommes aux galères perpétuelles, les femmes à la prison, et le bourreau reçut l’ordre d’aller planter au milieu de la place d’Anduze un poteau où seraient inscrits les noms des condamnés. La punition ne parut même pas assez sévère. Il n’y avait dans cette ville que trois compagnies du régiment de Brie ; on y envoya dix nouvelles compagnies avec leur état-major. Où loger tous ces gens de guerre et comment les nourrir ? Le conseil de la ville dut pourvoir à tout ; il emprunta, réquisitionna, et plaça les soldats chez les habitants. La cour alors se déclara satisfaite (V. Histoire de l’Église d’Anduze, etc., p. 758). — La même année, une assemblée se tint aux environs d’Uzès. Plusieurs personnes furent prises et frappées de différentes peines. Duvillar, commandant dans le diocèse, écrivit aux Consuls, en envoyant un exemplaire du jugement :

« Il faut que vous avertissiez tous les habitants qu’il y a présentement des ordres plus rigoureux que par le passé, pour punir sévèrement ces sortes d’assemblées. Les communes sont chargées de tous les frais qui se font pour le jugement des coupables et pour la nourriture des femmes qui sont prises aux dites assemblées, qui sont condamnées à une prison perpétuelle, et entretenues aux dépens de la paroisse d’où elles sont. Outre cela, la paroisse où l’assemblée s’est tenue est encore accablée par un logement de troupes qui n’en sortiront point qu’ils ne l’aient entièrement ruinée. »

[V. Bullet., t. IX, p. 138. — Duvillar ne faisait qu’exécuter les ordres de la cour. Voici deux fragments de lettres du conseil, à la date de 1718, qui ne peuvent laisser aucun doute sur l’esprit qui l’animait :

« Le Régent approuve fort, Monsieur, le jugement que vous avez rendu en condamnant aux galères les deux hommes qui ont été pris dans l’assemblée de nouveaux convertis tenue dans le champ de Rouvière, et la détention de quatre femmes, comme aussi de faire payer les frais de la procédure et la gratification du dénonciateur par la communauté de Florac et une communauté voisine, en punition de ce que quelques-uns y ont assisté, ce petit châtiment devant produire un bon effet pour l’avenir. Il ne restait que pouvoir attraper le prédicant pour en faire un exemple. » (Histoire de l’Église de Montpellier, etc., p. 367. 1718.)

« On me donne avis qu’il y a, dans les Cévennes et dans le diocèse de Mende, un grand nombre de prédicants qui ne se cachent presque plus, et qui pervertissent tellement les peuples qu’il ne reste presque plus de traces de religion dans certaines paroisses. J’ai eu l’honneur d’en rendre compte à Son Altesse Royale, qui m’a parue touchée de ces désordres… Elle a ajouté qu’il y avait deux bataillons dont vous pouvez disposer pour les répandre dans les lieux infectés par ces prédicants » Ibid., p. 550.]

Les religionnaires cependant, pillés, traqués, condamnés, jetés aux galères, n’avaient de prières que pour le Roi. En toutes occasions, ils s’appelaient « les très humbles et fidèles sujets de sa Majesté. » Ils allaient au Désert, il est vrai, malgré les édits, mais s’ils continuaient de fréquenter les assemblées, ce n’était nullement pour faire acte d’opposition : ils croyaient accomplir un devoir. « Nous protestons, écrivait Court, contre tous ceux à qui il appartiendra, que nous voulons rendre à notre prince ce qui lui est dû ; mais nous croyons qu’il ne nous est pas permis de négliger pour un peu de temps notre salut et celui de nos frères (N° 46. Lettre à Basnage. 1719.). » Ce point excepté, ils s’inclinaient devant le pouvoir qui les frappait et subissaient ses arrêts sans murmures, patiemment, presque avec respect, comme un châtiment envoyé par Dieu.

C’est Antoine Court qui avait mis au cœur des anciens Camisards ces sentiments de patience, et chaque jour, il en entretenait l’énergie faiblissante par ses exhortations. Avec la même force qu’il avait prêché le Réveil et la nécessité de l’Ordre, il leur recommandait maintenant la paix, la douceur, la charité ; il leur parlait des malheurs qu’ils s’étaient jadis attirés par leurs violences et par la guerre ; il les suppliait de se soumettre religieusement aux rigueurs de la persécution. Au commencement de son ministère, il avait trouvé le pays frémissant. Le souffle guerrier qui avait animé les compagnons de Cavalier animait encore quelques hommes hardis et supportant difficilement les exactions des intendants (V. Histoire des Camisards, etc., préface). Il n’eût fallu qu’une étincelle pour rallumer l’incendie. A force d’efforts, par ses prédications, par les synodes, par le réveil de la piété, il était parvenu à comprimer ce penchant à la révolte. Et cependant, en 1719 encore, il était obligé de reconnaître que s’il cessait d’exhorter le peuple, il s’élèverait aussitôt « des séducteurs et des scélérats qui feraient des ravages effroyables (N° 46, cah. IV.). » Cette crainte le rendait attentif et pressant. Si pareil malheur fût en effet arrivé, il savait que la cause du protestantisme français était définitivement perdue. Le but qu’il voulait atteindre, c’était la liberté ; mais pour y parvenir, il n’avait vu, il ne voyait encore qu’un seul moyen : la résignation.

En 1718, les troupes arrêtèrent Etienne Arnaud, et un détachement le conduisit d’Alais à Montpellier. Le détachement ne comptait que quarante soldats ; il était facile à quelques hommes résolus de se mettre en embuscade sur la route, de l’attaquer et de délivrer le jeune prédicant. La chose fut décidée. Mais, avant d’accomplir ce dessein, on consulta Court. Celui-ci était le collègue d’Arnaud ; il l’aimait comme un ami, comme un frère ; il se fût dévoué pour l’arracher à la mort. Cependant, lorsque les conjurés lui confièrent leur projet, il leur défendit de le mettre en exécution « préférant ne pas risquer de mettre tout le pays en feu, et voir un frère sceller de son sang les vérités qu’il avait prêchées, que de lui rendre la liberté pour édifier encore le peuple. » Et comme il avait agi pour Arnaud, il eût ordonné qu’on agît pour lui-même.

Un très curieux événement survint bientôt qui permit aux religionnaires de donner au Régent de nouvelles assurances de leur fidélité à la monarchie.

Le duc d’Orléans voyait depuis 1715 l’Espagne conspirer contre la France. Il avait, il est vrai, conclu contre elle la triple et quadruple alliance, fait marcher ses soldats vers les Pyrénées, vu Byng anéantir la flotte espagnole et déjoué la conspiration de Cellamare. Mais rien ne pouvait accabler celui qui était l’âme de ces complots : Albéroni. Ce premier ministre de Philippe V, toujours vaincu, jamais abattu, ne cessait de lui susciter des embarras. Après l’insuccès de Cellamare, loin de désespérer, il préparait aussitôt un grand coup pour une époque prochaine. Il forcerait, disait-il, l’empereur par une lointaine diversion de Ragotzi à lui lâcher l’armée de Sicile, il paralyserait l’Angleterre par une petite flotte jacobite, et il soulèverait enfin la France en faveur de son maître Philippe V. Projets peu sérieux, mais qui préoccupaient le Régent.

Au printemps de 1719, une étrange nouvelle arriva tout à coup à Paris. Les protestants, séduits par des émissaires espagnols, étaient en armes ; ceux du Poitou s’étaient déjà mis en révolte, ceux du Languedoc allaient se soulever. Le duc d’Orléans s’effraya. Une nouvelle guerre de Camisards l’obligeait en effet à détacher une partie de ses forces, et toutes lui étaient nécessaires pour faire face à l’armée espagnole. Combien de temps d’ailleurs faudrait-il pour vaincre ces rebelles ? Louis XIV en était venu difficilement à bout. Ne serait-ce pas comme jadis une longue guerre de partisans qui ajouterait à ses embarras présents ? N’était-il pas à craindre que ce soulèvement soutenu par Albéroni ne devînt l’origine d’un soulèvement général en faveur de Philippe V ? — Peut-être alors le Régent se souvint-il de la conversation qu’il avait eue avec Saint-Simon, et lui vint-il comme un repentir de n’avoir pas enlevé aux religionnaires par sa clémence le droit de s’insurger contre ses rigueurs.

Cependant il fallait agir, et sans tarderd. Le comte de Morville, ambassadeur de France en Hollande, fut chargé par le duc d’Orléans d’engager Basnage à écrire à ses coreligionnaires pour leur recommander la soumission. Le professeur Pictet reçut de son côté à Genève de semblables ouvertures. Pictet et Basnage écrivirent aussitôt. L’opuscule de ce dernier avait pour titre : Instruction et lettre pastorale aux Réformés de France sur la persévérance dans la foi et la fidélité pour le Souverain, à Rotterdam, chez Abraham Acher (15 juin 1719). La cour de France le fit imprimer et répandre à profusion : on en remplit le Poitou et le Languedoc. Les prédicants étonné se concertèrent aussitôt, et, le 30 juillet 1719, ils firent par la plume de Court une longue et belle réponse au célèbre pasteur de la Haye. Les Camisards, disaient-ils entre autres choses, n’étaient ni des leurs, ni leurs chefs ; ils les répudiaient. L’esprit de révolte ne les animait point, mais un esprit de paix. « Nous voulons, avec la grâce de notre Seigneur, jusqu’au dernier soupir de notre vie, en rendant à César ce qui est à César, rendre aussi à Dieu ce qui appartient à Dieu. » C’est du ciel seulement qu’ils attendaient leur délivrance, et ils laissaient à Dieu le soin de faire éclater sa miséricorde et sa sagesse dans leurs misères et leurs perplexités. (V. Bullet., t. V, p. 54. 1719.)

d – N° 46, cah. IV. — Cette aventure y est tout au long racontée.

Antoine Court, ne sachant rien de ce qui se passait à Paris, prenait vers cette époque les eaux minérales à Euzet (N° 46, cah. IV). Un jour, il reçut deux courriers. Le premier lui demandait un rendez-vous, le second lui en marquait un pour affaires importantes. Ignorant si ces deux hommes étaient mandés par la même personne, il indiqua pour lieu de l’entrevue une petite ville, Durfort. Là, il rencontra deux protestants de Nîmes qui se disaient envoyés par un député de la cour, M. Génac de Beaulieu, et qui lui remirent divers papiers. Dans une lettre, M. de Beaulieu invitait Court à ne plus convoquer d’assemblées et à prémunir les religionnaires contre les insinuations des émissaires de l’Espagne. « Soyez assuré, ajoutait-il, que celui qui prend la liberté de vous écrire est peut-être plus au’ fait de toutes les affaires qu’aucun de vous, et qu’il vous souhaite de toute son âme toutes les bénédictions du ciel et de la terre (N° 1. t. II, p. 107. 13 août 1719). » Il l’exhortait en finissant à suivre les sages avis de M. Pictet. Court trouva en effet une lettre de Pictet et une autre du marquis de Duquesne. Le dernier demandait des détails sur un nommé Scipion Soulan, le premier exhortait les protestants à la fidélité, comme Basnage et comme le pasteur Vial l’avaient fait encore tout récemment :

« Au Au nom de Dieu, mes chers frères, tenez vous sur vos gardes contre tous ceux qui cherchent à vous perdre ; regardez comme vos ennemis tous ceux qui vous parlent de secouer le joug du prince qui vous gouverne, quelque prétexte qu’ils prennent pour ce sujet ; souvenez-vous surtout qu’on ne peut vous faire de semblables propositions, sans déshonorer notre religion… D’ailleurs, mes très chers frères, que pouvez-vous attendre de l’Espagne, qui s’est toujours déclarée l’ennemie capitale de notre sainte religion et qui, dans les siècles précédents, n’a pu s’assouvir du sang de nos pères ? Vous devez surtout considérer que le cardinal qui gouverne cette puissante monarchie ne pourra jamais être de vos amis, et que, quelque caresse qu’il vous fasse aujourd’hui, il ne laissera pas de vous tourner le dos. » (Ibid., p. 73. Avril 1719.)

Cela se passait dans les premiers jours d’août. Le Régent en effet très inquiet, et n’osant trop compter sur l’effet de la lettre de Basnage, avait envoyé M. de Beaulieu en Languedoc, et un M. de la Bouchetière dans le Poitou pour se mettre directement en rapport avec les principaux protestants et les tenir en garde contre les intrigues étrangères.

Court stupéfait fit aussitôt chercher Duplan dont les conseils lui étaient précieux. — Dès le lendemain, il répondit à ces diverses lettres. Il écrivit à M. de Beaulieu « que la révolte, les massacres, et tous les horribles excès qui s’étaient commis au commencement du siècle, avaient apparemment fait présumer aux amis et aux ennemis de la France que les protestants de cette province seraient plus disposés que les autres du royaume à écouter les promesses et à se laisser séduire aux flatteuses espérances que les loups travestis en brebis voudraient leur donner pour les engager dans une guerre qui favoriserait leurs pernicieux desseins ; mais qu’ils pouvaient l’assurer que les prédicateurs avaient soin de répandre parmi le peuple les mêmes maximes de piété envers Dieu, de charité envers le prochain et de fidélité envers le Roi, que Jésus-Christ et les apôtres avaient enseignées dans leurs écrits ; qu’ils faisaient leurs assemblées sans armes, sans tumulte, et uniquement dans les vues de glorifier Dieu et de travailler au salut du prochain ; qu’on y priait Dieu pour le Roi et son Altesse ; que ceux qui présidaient à ces assemblées étaient tous gens connus ; qu’on n’en recevait point qui n’eussent été examinés et approuvés par des gens capables ; que ce n’était plus de ces Rolan furieux, ni de ces Cavalier qui se servaient du glaive de fer pour faire la guerre à leurs ennemis ; — que c’étaient aujourd’hui des soldats qui n’employaient que l’épée de l’esprit, des agneaux toujours prêts à répandre leur sang pour le salut de leur prochain, bien loin de penser à sacrifier les peuples à des passions criminelles ; — et que si le duc Régent pouvait lire dans leurs cœurs, il y verrait écrit en lettres d’or ineffaçables la fidélité et le dévouement de leur cœur pour le Roi et le service de son Altesse. » (N° 1, t. II, p. 125. 20 août)

M. de Beaulieu était un gentilhomme du Dauphiné animé d’excellentes intentions. En arrivant dans le Languedoc, il s’était lui-même facilement convaincu de la fausseté des bruits qui avaient effrayé la cour. Les assemblées étaient fréquentes sans doute, mais la province était tranquille. La lettre d’Antoine Court le rassura complètement. Il répondit aussitôt « qu’il avait lu avec un singulier plaisir et une très grande édification les réponses qu’il leur avait plu de lui faire, qu’il louait leur zèle, et qu’il priait le Seigneur de tout son cœur qu’il continuât à leur inspirer toute la prudence nécessaire dans des occasions aussi périlleuses et aussi délicates. » — Une chose cependant piquait vivement sa curiosité. Le Régent avait été certainement informé d’un soulèvement dans le Poitou et dans le Languedoc. Qui l’avait pu ainsi tromper ? Court ne tarda pas à lui répondre.

« J’ai reconnu, Monsieur, que vous souhaitiez une information plus exacte de la disposition des esprits et des cœurs des protestants de ce pays. Vous voudriez aussi nous persuader toujours à suspendre nos assemblées pour quelque temps, et vous nous dites qu’il serait de notre intérêt de découvrir ceux qui ont la malice de prévenir la cour contre nous en donnant de faux avis… — Outre que je crois presque impossible de découvrir ceux qui ont donné de faux avis à la cour sur notre fidélité, il me semble qu’il n’est pas fort nécessaire, attendu que nous ne doutons pas que ce soit nos ennemis, — ces personnes qui regardent le pape comme infaillible, maître absolu du droit divin, du temporel des rois et de la vie comme de la conscience des peuples, et qui, sous un voile de piété, un masque de religion et des intentions bien dirigées, se croient tout permis, et croient rendre service à Dieu en employant la fraude, la calomnie et la violence pour nous rendre odieux et nous faire périr entièrement, s’il leur était possible. » (N° 1, t. II.)

Les protestants en effet ignoraient les projets d’Albéroni et n’avaient jamais réfléchi aux chances d’un soulèvement dans une guerre généralee. Les religionnaires du Poitou s’étaient rendus à des assemblées, il est vrai, mais n’ayant d’autre dessein que d’implorer Dieu.

e – Court de Gébelin affirme cependant que l’Espagne avait réellement envoyé des émissaires, mais qu’ils avaient été éconduits… Monde primitif, t. VIII, p. 5 et suiv.

« Il est certain, écrivait M. de la Bouchetière, qu’on a fait très grand tort à tous ces pauvres gens de dire que leurs assemblées étaient fomentées par les ennemis de l’Etat. Ils n’ont jamais eu d’autre dessein que de prier Dieu, et, lorsqu’ils l’ont fait, ils ont toujours prié pour la conservation du Roi et pour la prospérité de M. le Régent. Ils n’ont jamais eu de ministres. C’a toujours été l’un d’entre eux, qui après avoir appris quelques sermons, le leur a récité, et cela sans aucun tumulte et sans armesf. »

f – N° 1, t. II. Cette lettre est aussi confirmée par celle de M. de Luques. Bullet., t. IV, p. 237.

Un ennemi acharné, — probablement un prêtre du diocèse de Nîmes, — avait donc, sans nulle preuve, dénoncé les protestants.

Les avis qu’il donnait devaient être cependant précis. Il y parlait d’un certain Scipion, dit Soulan, comme de l’instigateur du soulèvement. Le marquis de Duquesne priait en effet Antoine Court dans une lettre remise par M. de Beaulieu de prendre des renseignements sur ce mystérieux personnage.

Le jeune prédicant ne le connaissait pas. Il mit néanmoins quelques hommes en campagne et parvint bientôt à réunir quelques informations. Scipion Soulan était né à Saint-Hilaire, dans le diocèse d’Alais ; sa mère tenait un cabaret sur le chemin qui conduisait d’Alais à Nîmes. C’était un jeune homme de vingt-cinq ans, inquiet, joueur, libertin, aimant la bonne chère. Il avait combattu de bonne heure, étant encore berger, avec les, Camisards, et avait été pris et enrôlé dans le régiment de M. de la Fare qui, lui voyant quelque talent, l’avait nommé officier. Après avoir commis un vol, Soulan était parti pour Venise, où on assurait qu’il avait été capitaine. Peut-être de Venise était-il passé en Espagne, et là, pour gagner quelques pistoles, avait-il promis à Albéroni de faire soulever les protestants du Languedoc. Mais il avait dissipé l’argent et n’avait point soulevé les religionnaires. Peut-être encore avait-il essayé d’enrôler quelques hommes et de les pousser à la révolte, mais ses tentatives avaient été apparemment si faibles et les oppositions qu’il avait rencontrées si grandes, qu’il avait dû abandonner son projet. En tous cas, son entreprise n’avait pas même été connue. « Sans doute, disait Court, le fameux Cavalier a été berger ; mais les temps sont changés, car encore qu’on laisse peser sur les réformés les édits escroqués par les faux dévots à son bisaïeul, ils ne se révolteront pas, quand même on leur assurerait la liberté de conscience et d’exercer publiquement leur religion. » (N° 1, t. II, p. 216 1719.)

Court cependant concevait les espérances les plus grandes, et son cœur s’ouvrait à la joie. L’héroïque conduite qu’il avait conseillée allait donc porter ses fruits ! Le Régent allait connaître quels sentiments d’amour et de dévouement animait les réformés ! Il n’était point douteux que les mesures rigoureuses que, malgré lui, il avait maintenues, ne fussent aussitôt retirées ! … Prenant les protestants pour des rebelles, il les avait jusqu’alors laissé traiter comme tels ; les voyant en réalité paisibles et soumis, il reviendrait à la clémence. L’occasion était solennelle. Il venait de déchirer l’édit de 1715, en reconnaissant officiellement l’existence des protestants ; il allait déchirer les autres, par justice et par reconnaissance, et arrêter la persécution contre des sujets fidèles et dévoués.

Ces espérances étaient partagées par les meilleurs esprits. Une des personnes que M. de Beaulieu avait envoyées à Court pour lui porter ses lettres, lui écrivait : « Depuis que je vous ai quitté, mille réflexions m’ont roulé dans l’esprit. La situation où paraissent les affaires fait concevoir les plus grandes espérances pour le rétablissement de l’Église. » Et il conseillait d’écrire au député gentilhomme, afin qu’il employât son crédit auprès du Régent en faveur des protestants.

Un colloque où assistaient les collègues d’Antoine Court fut aussitôt tenu. Le jeune prédicant aimait les choses simples et claires ; il proposa d’écrire directement au duc d’Orléans. Mais on fit des objections et on résolut de n’écrire qu’à M. de Beaulieu. Deux lettres furent composées : l’une traitait des assemblées, l’autre du dévouement des protestants au Roi. Tout ce qui avait été déjà dit sur ces deux sujets y était répété en des termes à peu près semblables.

Ces grandes nouvelles colportées par les fidèles, par les prédicants, couraient cependant la province et la remplissaient de joie. Duplan profita de ce moment pour recommander encore une fois la patience et la résignation.

[« Il est bon que je vous informe que les Puissances n’ignorent pas vos noms ; elles savent tout ce qui se fait dans ce pays. C’est pourquoi il est plus nécessaire que jamais de redoubler nos prières envers Dieu, afin qu’il change le cœur de nos ennemis en notre faveur. Le frère Court sait que nous avons informé la cour de notre innocence et de notre fidélité pour le Roi ; mais cela ne suffit pas. Il faut que nous n’ayons dans toutes nos actions pour but que sa gloire et le salut de nos prochains… » N° 12, p. 15. (1719.)]

Soin bien inutile ! Ce n’était plus ni la colère ni la haine qui agitaient les âmes, mais un sentiment d’incroyable bonheur. A peine pouvait-on croire à la réalité de ces événements. « O abîme, s’écriait Court, des richesses de la sagesse et de la providence de Dieu en la conduite de son Église ! Que ses voies en cet égard, comme dans les autres, sont incompréhensibles et difficiles à trouver ! Qui aurait, je vous prie, imaginé que la Providence nous eût fait naître, il y a quelque temps où on ne nous regardait que comme des malheureux abandonnés de Dieu et des hommes, une pareille occasion, qui nous donne tant de jour à donner des marques incontestables de notre fidélité et de notre obéissance envers Sa Majestég. »

g – N° 1, t. II, p. 134 Page détachée, sans date ni signature. Ce doit être un fragment de sermon ou de lettre pastorale.

Les mois s’écoulaient. Fontarabie, Saint-Sébastien avaient été pris et les vaisseaux de Philippe avaient été brûlés ; l’Espagne était vaincue. Aucun changement ne s’était encore produit dans la condition des protestants ; mais l’espérance d’un état de choses meilleur vivait toujours, et l’on continuait, sans être trop inquiété par les troupes, à fréquenter les assemblées. Cette espèce de liberté entretenait les illusions.

Ni les édits cependant, ni les ordonnances n’avaient été abrogés. La cour n’avait point dévié de sa ligne de conduite, et si, quelques mois durant, elle s’était relâchée de la sévérité dont elle avait déjà donné tant de preuves, elle n’avait nullement songé à promulguer un édit de tolérance. Les événements l’avaient momentanément obligée de suspendre l’application des ordonnances, mais elle entendait bien la reprendre, dès que la prudence et la politique lui en donneraient le loisir et la permission.

Elle le prouva bientôt.

En Bretagne, en 1720, le substitut du procureur général se plaignit que plusieurs religionnaires négligeaient ou refusaient d’envoyer leurs enfants aux écoles catholiques. Le parlement ordonna aussitôt à tous les pères, mères, tuteurs, de les y envoyer, « et nommément ceux issus de parents qui ont fait profession de la R. P. R., » — sous peine de cent livres d’amende. La Vrillière écrivait de son côté à l’intendant :

« Son Altesse Royale ayant appris que les déclarations du Roi sur l’instruction des enfants des nouveaux convertis, étaient fort négligées, m’a ordonné de vous écrire que son intention est que, dans l’étendue de votre département, vous teniez la main à ce que les instructions publiques se fassent régulièrement par ceux qui en sont chargés, et que les pères et mères, tuteurs et curateurs y envoient leurs enfants sous les peines y portées. »

La même année, un marchand de Saint-Saturnin fut accusé d’empêcher ses enfants d’aller aux offices et aux instructions de l’église. Quelques mois se passèrent ; l’ordre arriva un jour d’enfermer ses deux filles au couvent des Ursulines et son fils au couvent des Mathurins. (V. Histoire des Églises de Bretagne, etc., p. 219 et suiv.)

En Dauphiné, les protestants continuaient de passer la frontière pour aller faire bénir leurs mariages à Genève. « Je les ferai arrêter, écrivit Médavid, et traduire à leurs frais dans la tour de Crest ou dans les prisons les plus prochaines, jusqu’à ce qu’ils aient fait réhabiliter leurs mariages aux formes ordinaires de l’Église… C’est de cette manière que j’en use dans les autres diocèses de l’étendue de mon gouvernement, où l’on s’aperçoit que ce châtiment a beaucoup rebuté leur ardeur à cet égard. » (V. La Société protestante dans les Hautes-Alpes, etc., p. 425 495, 505. 1720.)

Dans le Poitou, les assemblées se multipliaient, devenaient de plus en plus nombreuses à Niort, à Saint-Maixent et dans les autres lieux « infectés. » De la Tour, l’intendant, ne savait à quelles mesures recourir pour arrêter le mal, et Chamilly s’adressait chaque jour à Paris pour demander des instructions. Les instructions ne tardèrent pas à arriver : « J’ai trouvé, lui manda-t-on, S. A. R. dans les mêmes sentiments que je vous ai marqués par ma précédente, savoir qu’on ne fasse encore autre chose qu’arrêter les prédicants, les lecteurs, ceux qui prêteront leurs maisons pour tenir les assemblées et quelques-uns des principaux qui les composent (Archives nationales O1 368, p. 32. Mars 1719). » Et quelques jours plus tard : « J’apprends avec plaisir l’emprisonnement du prédicant de Niort. S. A. R. est persuadée qu’en s’attachant, comme vous le faites, à faire suivre et arrêter ses semblables, on parviendra facilement à dissiper les assemblées dont ils sont les mobiles … » Rien n’empêcha cependant la continuation des assemblées, ni la prise du prédicant, ni les courses de la maréchaussée. — Que faire ? On afficha dans toutes les villes et tous les villages l’ordonnance déjà vieille de 1716.

« Comme ces gens, Monsieur, qui s’assemblent au préjudice des défenses portées par les déclarations du Roi se laissent séduire de la fausse idée que, n’ayant point été renouvelées dans ce règne, ils peuvent se dispenser d’y obéir, je vous adresse, par ordre de S. A. R., une ordonnance qui, sans rien prescrire de nouveau, déclare nettement l’intention de Sa Majesté sur l’entière observation des anciennes déclarations. Vous aurez agréable de la faire publier, afficher et exécuter, de concert avec M. le comte de Chamilly auquel j’en envoie autant pour en user de concert avec vous. Mgr le duc d’Orléans, qui ne fait aujourd’hui que ce qu’il fit il y a quelque temps en pareille occasion pour la Guyenne et pour le Languedoc, s’en promet, et de votre attention, le même succès. »

[« De par le Roi,

Sa Majesté informée que quelques particuliers, nouveaux convertis, s’étant imaginés sans fondement que les assemblées pouvaient être permises entr’eux pourvu que l’on n’y portât point d’armes, en ont tenu quelques-unes au préjudice des Ordonnances rendues à cet égard, et voulant sur cela faire savoir ses intentions et les détromper des idées chimériques que des esprits mal intentionnés leur ont suggérées, Sa Majesté, de l’avis de Monsieur le Duc d’Orléans, a déclaré et ordonné, veut et entend que les Ordonnances et Déclarations, rendues sur le fait des assemblées des nouveaux convertis, soient ponctuellement exécutées ; fait défense à toutes personnes de se trouver à aucune, sous peine d’être punis, aux termes desdites Ordonnances, Edits et Déclarations. Mande et ordonne Sa Majesté au Gouverneur, Lieutenants Généraux, Commandant et Intendant de Poitou, Baillis, Sénéchaux, Prévôts, Juges, leurs Lieutenants et tous autres ses Justiciers et Officiers qu’il appartiendra, de tenir la main chacun à son égard, à l’exacte observation de la présente Ordonnance, laquelle Sa Majesté veut être publiée et affichée partout où besoin sera, à ce qu’aucun n’en prétende cause d’ignorance.

   Fait à Paris, le vingt-unième mars mil sept cent dix-neuf.

      Signé : Louis. Et plus bas : Phélypeaux. »

(Archives nationales, O1, 368, p. 43. (Mars 1719.)]

L’effet produit par cette publication et par les arrestations qui la suivirent de près fut, paraît-il, considérable, car les religionnaires frappés d’épouvante quittèrent leurs demeures et prirent la fuite. Il fallut les rassurer. « S. A. R. m’a ordonné de vous faire savoir que son intention est que vous disiez et fassiez dire aux principaux d’entre eux que le Roi leur pardonne à condition de tenir à l’avenir une conduite plus régulière, et qu’ils peuvent librement et sûrement se rendre à leurs maisons et à leurs affaires ; et, pour leur en ôter tout lieu d’en douter, que vous fassiez mettre en liberté ceux qui ont été arrêtésh… » Mais à peine revenus de leur panique, ils reprirent la route du Désert, prudemment d’abord, avec éclat bientôt. En vain Maurepas écrivait-il de Paris : « S. A. R. a paru très satisfaite de votre attention aux démarches qu’on a faites pour déconcerter les assemblées. Il y a lieu de croire qu’elles cesseront par la manière sérieuse dont ces malheureux voient qu’on s’y prendi. » Aucune menace ne put les arrêter. Les prédicants ne se lassèrent pas de convoquer des assemblées, et les religionnaires de s’y rendre, quelles que fussent les peines dont la cour les frappât.

h – Archives nationales, O1, 368, p. 67. (Mai 1719.)

iIbid., O1 369, p. 110, 174, 184. (1720.)

En Languedoc, Bâville était récemment parti, — en 1718, — mais son successeur, Bernage, intendant de Picardie, avait déjà donné trop de preuves de sévérité pour que les religionnaires pussent se flatter de trouver en lui sinon un défenseur, un protecteur du moins de leurs droits. Ayant appris que les assemblées se multipliaient rapidement, il en écrivit à la cour, et la cour mit aussitôt à sa disposition de nouvelles troupes pour parcourir « les lieux infectés par les prédicants ». La persécution recommença.

[Voici la liste des intendants du Languedoc dans les soixante premières années du dix-huitième siècle : Avril 1718, Bernage ; — Janvier 1725, Louis-Basile de Bernage fils, conseiller du roi, maître des requêtes ; — Septembre 1743, Le Nain ; — Janvier 1751, Jean-Emmanuel de Saint-Priest.

On continua aussi d’enlever les enfants : c’était une vieille habitude. Nous ne mentionnons ici le fait que pour mémoire, car on remplirait plusieurs volumes de faits semblables.

« Versailles, ce 13 avril 1720. — M. l’Evêque de Lavaur m’a écrit la

lettre ci-jointe, sur ce que le sieur Chomel de Saint-Laurent, religionnaire très opiniâtre, n’envoie pas sa fille aux instructions ; et sur le compte que j’en ai rendu au Roi, Sa Majesté m’a expédié l’ordre que vous trouverez ci-joint pour faire mettre cette fille dans le couvent de Sainte-Claire de la ville de Lavaur ; et il sera a propos que vous teniez les mains à ce qu’il paye la pension et les frais de l’exécution. On ne peut, Monsieur, vous honorer plus parfaitement que je le fais. »

          Signé : Saint-florentin. »

Le 25 septembre 1720, l’archevêque de Narbonne faisait encore demander au marquis de la Vrillière qu’on voulût bien enfermer au collège des Jésuites de Toulouse un jeune protestant de cette ville. « D’ailleurs, ajoutait-il, il a du bien suffisamment pour être entretenu. »

Nous ne mentionnons aussi que pour mémoire les lettres de ce genre-ci :

« A Monsieur Azaïs. J’ai reçu, Monsieur, avec votre lettre du 25 du mois dernier, un mémoire qui contient vos raisons sur les plaintes que l’on m’avait portées contre vous. Vous ne pouvez disconvenir qu’elles avaient quelque fondement, puisqu’il est certain que vous avez fait, un jour maigre, un repas en maigre et en gras, publiquement, dans un pré, ce qui a causé du scandale. Soyez donc plus circonspect à l’avenir, sans quoi on ne pourrait s’empêcher de sévir contre vous. »

          Signé : La Vrillière. » (Bullet., t. VII, p. 38.)

Bernage accompagné du duc de Roquelaure entreprit un voyage dans la province, fit comparaître devant lui les principaux protestants de chaque ville, et après leur avoir défendu de tenir des assemblées, il leur déclara qu’ils avaient tout à espérer de la bonté du Régent, mais tout à craindre de sa sévérité, s’ils persistaient à enfreindre ses ordres. Et en même temps, il demandait à la cour qu’elle voulût bien mettre aux ordres du duc de Roquelaure le commandant d’Alais, M. d’Yverni. « Il fallait, disait-il, un officier de caractère dans le pays, avec des pouvoirs suffisants. » Cela se passait une année à peine après la députation de M. de Beaulieuj. En 1720, une assemblée fut surprise et dissipée à Fougères, près de Bédarieux, (V. Histoire de l’Église de Montpellier, etc., p. 549.), et une autre près de Nîmes, dans la caverne de la Beaume-de-Fades. Il y eut plusieurs condamnations. Un grand nombre de femmes et de filles furent dirigées sur les ports de mer, pour être transportées en Amérique. En 1721, de nouvelles assemblées furent dispersées à Nîmes et à Saint-Hippolyte, et les prisonniers furent envoyés à Alais pour enterrer les victimes qu’y faisait la peste.

j – V. Histoire de l’Église de Montpellier, etc., p. 265.

Les religionnaires découragés comprirent bien alors qu’il ne serait fait aucun changement dans leur situation, et que rien, ni leur fidélité, ni leur soumission, ni leurs protestations de dévouement, ne pourrait ébranler l’inexorable volonté qui les avait voués à la persécution.

Un proposant s’adressa au duc de Roquelaure et à Bernage. Il croyait les protestants calomniés ; il ne pouvait imaginer que ces rigueurs fussent exercées sans motif et sans cause.

« Il est certain que, si quelque scélérat venait dans quelque ville du royaume voler, blasphémer le saint nom de Dieu, paillarder, chanter des chansons infâmes, on ne lui dirait rien, ou du moins trouverait-il des amis et d’indulgence. Mais si quelque personne craignant Dieu y venait faire une prière ou chanter quelque psaume, ce serait un scélérat, un rebelle, un criminel de l’Etat… Il semble que nous ne soyons pas des chrétiens, mais de monstres de nature indignes de vivre, et, dans cette ignorante fureur, on nous déchirerait avec les dents. »

L’auteur protestait de nouveau du dévouement des réformés, et, prenant l’offensive, il prouvait que le catholicisme qui les accusait de rébellion avait été lui-même le plus grand ennemi de l’Etat. Il s’inclinait néanmoins, sans murmure ni colère, devant la force qui les opprimait, il prenait Dieu à témoin de l’innocence des religionnaires et le priait de bénir leurs persécuteurs. « Nous continuerons à demander votre protection par des prières et des vœux, et demander au ciel votre prospérité et celle du Roi, et celle des dignitairesk. »

k – N° 17, vol. F, p. 262. (1721.) Gaubert était l’auteur de cette apologie.

Ces derniers mots n’étaient ni une amplification oratoire ni dans un but politique ; un sentiment vrai les avait inspirés. « Dans tous nos sermons, écrivait-on, dans toutes nos lettres, nous exhortons le peuple à la soumission et fidélité au Roi. » Et le Synode de 1721, tenu en Vivarais, disait dans un de ses règlements :

« Tous les pasteurs et proposants se rendront sujets aux puissances supérieures, et y porteront le peuple autant que leurs forces le leur pourront permettre. Et, pour cet effet, tous les pasteurs et proposants jurent par la foi qu’ils ont au nom de Jésus-Christ d’obéir au Roi de France en toutes choses, sauf aux ordonnances qui pourraient être préjudiciables à la foi et à l’Église. D’ailleurs, la vénérable assemblée enjoint à tous de faire prière pour le Roi et pour ses conseillers, non seulement aux assemblées, mais aussi dans les familles particulières, et principalement aux pasteurs. » (N° 17, vol. G. p. 382. 1721)

Une si grande soumission et des preuves si éclatantes de dévouement ne trouvèrent pas grâce cependant devant les persécuteurs. Les mesures de rigueur furent maintenues, bien plus, multipliées. En 1720, la cour prorogea pour trois années les défenses aux nouveaux catholiques de disposer de leurs biens (V. Recueil des Edits, Déclarations, etc.). On continua de poursuivre les assemblées et de les dissiper ; les prisonniers furent condamnés aux galères, et les prédicants mis à mort ; bientôt même on vit à Montpellier se dresser le gibet, C’était comme, une préparation à la déclaration de 1724.

Claude Brousson, Antoine Court, Jacques Rogner, avaient tour à tour pensé que la patience et la résignation désarmeraient la cour. Les faits semblaient donner à leurs prévisions un cruel démenti.

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