Histoire de la restauration du protestantisme en France

11. Copie de la lettre du nommé Court, ministre de la religion prétendue réformée, écrite à M. la Devèze (1744)

Monseigneur, c’est avec la plus vive douleur que j’ai été informé qu’en donnant une interprétation sinistre à mon retour en France, on m’a taxé d’être venu y apporter le flambeau de la rebellion.

Une accusation aussi affreuse et aussi contraire à mes sentimens m’oblige d’exposer aux yeux de Votre Grandeur la conduite que j’ai tenue pendant le cours de l’exercice de mon ministere dans ce royaume, ma retraite aux pays étranger et le motif de mon retour.

A peine eus-je atteint l’age de raison que je fus témoin de l’horible et sanglante scène que les camisars donnèrent dans cette province, je gémissois de leurs égaremens sans pouvoir y remédier.

Leurs principaux chefs désarmés par la douceur de M. de Villars et la clemence de Louis le Grand, ou détruits par la juste severité des peines qu’on leur infligea, cette detestable troupe de rebelles fut dissipée ; mais le fanatisme enfanté par l’ignorance regnoit encore parmi ces rebelles dispersez, se produisoit dans leurs assemblées secrettes, et sembloit n’attendre qu’une occasion, et un chef, pour rallumer le feu de la rebellion.

Pour prevenir ce malheur, je resolus d’eclairer ces esprits tenebreux et indociles de la lumière de l’Évangile, dont les divins preceptes sont le plus ferme appuy des souverains. Je commençai cet important ouvrage en l’année 1713. Je m’introduisis dans leurs assemblées, j’y vis avec horreur des gens se disant ou se croyant inspirés du Saint-Esprit et des femmes même erigées en predicateurs, je me conciliai la bienveillance du peuple en lui adressant la parolle, et avec de mediocres talens, dans un age peu avancé, je fus écouté avec attention et suivi avec empressement. Après avoir fait ces premiers progrès dans les cœurs, sans aucun caractère, je me preparai a obtenir un mission legitime ; revêtu de cette mission, je m’associai des compagnons dans le ministere, et de concert avec eux je formai plusieurs Églises sur la discipline qui etoit en vigueur avant la revocation de l’Edit de Nantes : le culte fut retabli dans sa pureté, la saine morale prechée, le fanatisme éteint et l’esprit de revolte aneanti.

En l’année 1719, M. le duc d’Orléans regent envoya dans la province un gentilhomme du Dauphiné pour nous informer des mouvemens que se donnoit le cardinal Alberoni pour soulever les protestans en faveur de l’Espagne, et nous aprendre qu’un nommé Scipion Soulan s’étoit promis de favoriser les desseins de l’Espagne. Au bruit de cette nouvelle je fis assurer S. A. R. de la part des protestans d’une fidelité inviolable pour Sa Majesté, et que, loin d’ecouter les insinuations séditieuses de Scipion Soulan, ils seroient les premiers à l’arrêter et à devenirs ses accusateurs.

En l’année 1723, les nommés Vesson et Hue surnommé Mazel, predicans qu’on avoit chassés du corps des pasteurs, l’un pour être fanatique, l’autre pour des opinions contraires a la religion chretienne, furent pris à Montpellier et condamnés au derniers suplice.

Après leur exécution, M. de Bernage pere, lors intendant de cette province, écrivit une circulaire à ses subdelegués par la quelle il les chargeoit de faire proposer à ceux qui prechoient dans le desert que s’ils vouloient sortir du royaume il leur donneroit des passeports.

Cette proposition m’ayant été faite, je fis dire à M. de Bernage que si l’on connoissoit les services que mes collegues et moi rendions à l’Etat, en instruisant le peuple et l’affermissant dans les devoirs de bons et fideles sujets que nous leur inculpions et repetions sans cesse, bien loin de nous offrir des passeports, on travailleroit à nous retenir dans le royaume et on nous empecheroit de sortir.

En l’année 1726, je renouvellai les assurances de la fidelité des protestans dans une lettre que j’ecrivois en leurs noms à M. de la Fare commandant de la province.

En l’année 1729, tout le peuple étant effermi dans la religion et dans les preceptes de soumission aux souverains qu’elle prescrit avec tant de force, et ayant un nombre suffisant de pasteurs pour le maintenir dans l’observation de ces preceptes, je me retirai dans le païs étranger.

Peu d’années après, il s’eleva des dissentions sur certains points de la discipline entre l’un des pasteurs de cette province et quelques-uns de ses collegues ; un grand nombre de fidelles prenant part à ces discutions formèrent deux partis dont l’animosité reciproque etoit prette à eclater d’une maniere scandaleuse.

J’employai d’abord ma plume à faire cesser ces dissentions, mais n’ayant pu y parvenir par mes écrits, voyant la guerre s’allumer dans l’Europe et la France enveloppée dans cette guerre, je craignis que cette désunion qui etoit dans les Églises de cette province n’y causât quelque trouble contraire au bien de l’Etat, et je me flatai que ma presence et mes bons offices pourraient prevenirs ces malheurs.

Je n’ai point été trompé dans mon attente, Monseigneur. Arrivé depuis peu de mois dans cette province, a peine ai-je parcouru rapidement les lieux ou regnoit la discorde, que les deux partis ont donné leurs interets à des arbitres dont ils sont convenus et du nombre desquels je me suis trouvé.

Un jugement de conciliation authorisé par un sinode national et acquiescé par toutes les parties interessés a réuni tous les esprits, rendu la paix à nos Églises, et assuré la tranquilité publique à cet egard.

Je m’occupe à présent, Monseigneur, à faire publier cette paix dans tous les lieux dont elle avoit été bannie, et à l’affermir dans tous les cœurs des pasteurs et des fidelles par mes exhortations, et à prier le Seigneur qu’il rende cette paix aussi durable que solide.

Cet objet quoi qu’intéressant n’a pas rempli toutes mes vùes, les circonstances de la guerre m’ont inspiré le dessein de porter nos Églises à faire des reglemens de discipline, pour inculper de plus en plus aux pasteurs et aux troupeaux la fidelité qu’ils doivent à leur souverain, les vœux qu’ils sont obligés de faire pour la conservation de sa Sacrée personne et la prospérité de son regne, et pour tous ceux qui sont revêtus de son authorité ; mais je leur dois cette justice qu’ils ont prevenu à cet égard mes éxhortations et rendu mes precautions inutiles, que leur inclination secondant leur devoir à cet égard, je n’ai eu que des applaudissemens à leur donner, et qu’ils n’ont pas même besoin qu’on leur recommande la perseverance dans un devoir qui est profondement gravé dans leur cœur.

Je les ay trouvés tous disposés à sacrifier leurs biens et à verser jusqu’à la dernière goute de leur sang pour le bien et l’avantage de l’Etat et pour l’honneur de la gloire de Sa Majesté.

Les ministres qui prechent parmi eux ont les mêmes sentimens, ils rapellent sans cesse aux peuples qu’ils instruisent leur devoir à cet égard.

Les assemblées, qu’ils convoquent pour rendre à Dieu un culte qui lui est du et qu’ils regardent aussi comme un devoir indispensable, ne sçauroient faire de la peine, elles ne sont point incompatibles avec les devoirs des fidelles sujets. Les premiers chretiens qui furent les sujets les plus fidelles qu’eurent jamais les Empereurs s’assembloient pour prier Dieu, pour participer aux misteres de leur religion et pour s’instruire de leurs devoirs, et par ces assemblées ils conserverent la pureté de leurs mœurs et de leurs doctrines, ce qui força leurs ennemis même à leur donner des louanges.

Les protestans du royaume suivent l’exemple de ces saints personnages, leurs assemblées ont les mêmes objets et les mêmes motifs ; on ne voit pas que l’Église ait jamais fait aux premiers chretiens un crime de leurs assemblées religieuses ; les sujets du roi seroient-ils plus coupables qu’eux ? Il est trop religieux, il est trop équitable, notre invincible monarque, et le digne pere d’un peuple dont il fait le délice pour empêcher que des sujets fidelles ne rendent à Dieu leurs hommages et ne le servent de la maniere qu’ils croyent lui être la plus agreable ; il sçait que la religion est le plus fort lien de la société civile, et que sans elle il est impossible qu’elle puisse se maintenir.

En effet, Monseigneur, ôtés la crainte de quelque divinité, plus d’obligation de confiance, plus de gage de la vérité et de la justice, et par consequent plus de confiance mutuelle entre les hommes, car comment se fier a une personne, l’en croire sur sa parolle et lui confier ses interets, si on n’a pour garant de sa fidélité que la force des loix humaines desquelles il croira pouvoir se soustraire, et s’il n’a pas à craindre des peines qu’il ne sçaurait éviter ? Comment un souverain peut-il se reposer sur la fidélité de ses sujet sans religion ? ils ne lui demeureront fidelles qu’autant qu’ils croiront que leur intérêt particulier le demandera ou qu’ils seront retenus par la crainte de sa puissance.

C’est precisement le cas dans lequel se trouveroient un grand nombres des sujets du roi sans les assemblées religieuses dont je parle. Nés dans une religion dont ils ont succé les principes avec le lait, il est bien difficile de deraciner de leurs cœurs ces préjugés et de leur faire embrasser sincèrement une autre religion. Il resulte pour l’ordinaire que n’en connoissant bien aucune, ils se livrent à l’irreligion et s’abandonnent à tout ce qui peut favoriser leurs passions ; il n’est pas moins dangereux de leur ôter les moyens de s’instruire des devoirs de la religion dans laquelle ils sont nés, dès que ces devoirs ne tendent qu’a leur bonheur personnel, au bien de la vie civile, à l’avantage de l’Etat et à maintenir les peuples dans la fidelité qu’il doivent à leur souverain.

Il vous est tres connu, Monseigneur, qu’il y a grand nombre de sujets du Roi, protestans, incapables de pouvoir s’instruire par eux mêmes des devoir de leur religion, n’y d’en instruire leurs familles ; quel préjudice n’aporteroit pas à l’Etat et au roi une pareille ignorance si les assemblées n’avoient évité un pareil malheur. C’est là, Monseigneur, que les protestans ont apris leurs devoirs envers Dieu, le Roi, l’Etat et les prochains ; c’est là qu’ils ont puisé les sentimens dont je les ay representés a votre grandeur remplis et penetrés pour Sa Majesté. S’ils eussent toujours eu comme ils ont aujourd’hui des veritables pasteurs pour les instruire, aucun d’eux ne fut jamais tombé n’y dans le fanatisme n’y dans la rebellion ou tomberent quelques uns au commencement du siecle, et dont la conduite est encore en horreur et le sera à jamais à tous ceux qui professent la religion protestante.

Voila, Monseigneur, ce que j’ai cru devoir mettre sous les yeux de vôtre grandeur, j’ai crû surtout qu’il étoit de mon devoir de lui exposer ma conduite et mes sentimens. Je n’ay rien avancé que je ne puisse justifier par des miliers de personnes, par des ecrits et par des faits. Ainsi votre grandeur pourra juger presentement de cet homme qu’on lui a dépeint, à ce qu’on m’a assuré, la torche de sedition à la main. Il est affligent de repousser les traits d’une calomnie aussi énorme, mais il est tres consolant de produire sa justification aux yeux d’une personne illustre, aussi éclairée qu’équitable. C’est cette douce consolation que je goute, Monseigneur, en vous adressant mon apologie, et en vous assurant du profond respect avec lequel j’ay l’honneur d’être,

Monseigneur, de vôtre Grandeur, le tres humble et très obeissant serviteur,

Antoine Court.

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