Histoire de la restauration du protestantisme en France

14. Correspondance entre l’intendant du Languedoc et son subdélégué à Nîmes, à propos du rebaptisement (1751)

L’intendant à Tempié

Montpellier, le 13 août 1751.

Je n’ai encore reçu de vous aucuns états des religionnaires de votre département qui ont refusé d’envoyer à l’église leurs enfants baptisés au Désert pour les faire baptiser par les curés, et de ceux qui ont obéi aux ordres que vous avez donnés de ma part à ce sujet. Comme je ne veux plus différer à mettre ces affaires en règle, je vous prie de m’envoyer tous les états que vous avez reçus, et ceux qui vous manquent à fur et mesure que vous les recevrez ; observez en même temps de noter autant qu’il sera possible sur tous ces états les N. C. qu’il vous paraîtra convenable de faire arrêter par préférence et dont l’exemple pourra être capable de faire le plus d’impression.

Tempié à l’intendant

Nismes, 16 août 1751.

Monseigneur, en exécution de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le 13 de ce mois, j’ai l’honneur de vous envoyer les états des religionnaires de Nismes et du lieu de Beauvoisin, qui ont fait baptiser leurs enfants au Désert et qui ont refusé de les envoyer a l’église. Les deux curés de Nismes m’ont remis les états qui concernent cette ville ; et M. Jacomon, qui est le curé principal, y a joint un petit état de ceux qui ont obéi aux ordres que je leur ai donnés de votre part. Il m’a assuré qu’il me donnerait bientôt un supplément. A l’égard du curé de Beauvoisin. il ne m’a envoyé aucun état de ceux qui ont obéi, et je présume qu’il n’y a point de paroissiens dans ce cas.

J’ai l’honneur de joindre au mémoire du Sr Jacomon un état de ceux qu’il me parait convenable de faire arrêter de préférence, et dont l’exemple me parait capable de faire plus d’impression ; j’ai fait de même à celui du curé de Beauvoisin.

J’aurai l’honneur, à chaque courrier, de vous envoyer quelques uns des autres états qui m’ont été remis avec de pareilles notes.

Etat des N. C. de Nismes qu’il parait convenable de faire arrêter par préférence.

L’intendant à Tempié

27 août 1751.

Je vous envoie ci-joint, M…, des ordres pour faire arrêter et conduire au fort de Nismes les sieurs Valz, Molines, Dartain et Freboul, religionnaires de la même ville ; les nommés Roux, Girau, Puech et Rouvin, de Beauvoisin ; — les nommés Béchard, consul de Ledignan ; Lazare, lieutenant de juge d’Uchaud ; Gabian, consul de Vestric, et Fontaine de Bernis. — Je vous prie de tenir ces ordres secrets, et de les faire exécuter les uns après les autres, en commençant par ceux de Nismes. Exhortez Domergue, s’il vous plaît, à prendre bien ses précautions et ses mesures pour assurer ces captures : il vaut mieux les différer, s’il est nécessaire, que de les manquer en agissant avec précipitation. Je ferai payer les espions et les mouches qu’il emploiera, pourvu qu’il fasse les captures dont il s’agit ; mais si, par quelque événement imprévu, il ne pouvait parvenir à les faire toutes, ayez agréable de lui recommander un grand secret, afin que mes ordres ne transpirent en aucune façon. M. le comte de Moncan en adresse à M. de Beaupoil pour faire donner toutes les mains fortes nécessaires.

Je vous prie encore, M., d’avoir une attention singulière aux interrogatoires que vous fairez prêter en général à tous ceux que je ferai arrêter. Il est nécessaire de les faire questionner, outre les demandes ordinaires sur le fait de leur prévention (Ceux mariés à l’Église) :

  1. S’ils ont fait des abjurations par écrit, et entre les mains de qui ;
  2. Si depuis ces abjurations, et la bénédiction de leurs mariages, ils ont continué de fréquenter l’église ; s’ils ont approché des sacremens et combien de fois ;
  3. Quelles sont leurs dispositions à l’avenir par rapport à la R. C. A. R. ;

(Ceux mariés au Désert) :

  1. Par qui et où leurs mariages ont été bénis, et leurs enfants baptisés ;
  2. Si leur père et mère étaient anciens cath. ou prot., s’ils ont toujours eux-mêmes professé le protest., et n’ont jamais fait les fonctions de catholiques ;
  3. Quelles sont leurs dispositions pour l’avenir, soit par rapport à la R. C, soit sur l’obéissance qu’ils doivent aux ordres du Roy par rapport à la religion P. R.

Tempié à l’intendant

Nismes, le 30 août 1751.

M., j’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 27 de ce mois, avec les 12 décrets que vous avez décernés pour faire arrêter pareil nombre de particuliers de mon département. Je me suis concerté pour leur exécution avec M. de Beaupoil, lieutenant du Roy de cette ville, qui m’a promis de donner toute main forte sur les ordres qu’il m’a remis de M. le comte de Moncan, commandant de la province. Comme vous me faites l’honneur de me dire de les faire exécuter, les uns après les autres, en commençant par ceux de Nismes, j’en ai remis un à Domergue, en lui donnant les instructions nécessaires. Je vous supplie d’être persuadé que vos ordres seront exécutés à la lettre et sans précipitation, que je me conformerai à tout ce qu’ils contiennent, et par exprès à ce qui concerne les interrogatoires de ceux qui seront arrêtés et le secret qui sera gardé absolument.

Il se pourrait que la foire d’Alais retardât l’opération, si quelqu’un des intéressés s’y trouve ; auquel cas il n’y a pas de mal d’attendre leur retour.

L’intendant à Tempié

1er septembre 1751.

J’apprends, M., que les différents exemples que j’ai faits dans la ville et dans le diocèze d’Uzès contre les religionnaires qui ont fait baptiser leurs enfants au Désert ont produit de très bons effets, et que la plupart de ceux qui étaient tombés dans ce cas, s’empressent de faire supléer à l’église les cérémonies du baptême à leurs enfans, comme il y a lieu de croire que tout cela n’est point ignoré des N. C. de Nismes, et que j’espère toujours qu’ils prendront le parti de se mettre en règle, je veux bien encore, à cette considération, suspendre l’effet des ordres que je vous ai adressés le 27 du mois dernier ; ainsi je vous prie de ne point les faire exécuter ; si cependant il y en a quelqu’un qui le soit, lorsque vous aurez reçu cette lettre, vous pourrez faire pour ceux-là ce qui est prescrit par les mêmes ordres ; mais observez, s’il vous plait en même temps, si la condescendance dont je veux bien encore user à l’égard des religionnaires de Nismes, produira l’effet que j’en attends, parce que si elle ne servait qu’à augmenter leur obstination, ils peuvent compter que je ne les ménagerai pas davantage, et que je les obligerai tous sans exception à se mettre en règle par rapport au bapt. de leurs enfans. Le Roy s’est expliqué d’une manière précise à ce sujet, et il n’y a pas d’apparence qu’on souffre qu’ils résistent impunément à ses volontés, ni que je sois le premier à y contrevenir en dissimulant leur désobéissance ; ayez une attention singulière à tout ce qui se passera à ce sujet et à m’en informer.

Tempié à l’intendant

Nismes, 4 septembre 1751.

M., J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 1er de ce mois, pour suspendre l’exécution des ordres que vous m’aviez fait celui de m’adresser le 27 août dernier. J’ai retiré ceux que j’avais baillés à Domergue qui avait déjà pris des précautions pour les exécuter, j’en ai fait part à quelques-uns des religionnaires notables, et en ai fait apprendre les dispositions à quelques sindics des corps du commerce, pour qu’ils n’ignorent pas vos bontés et en même temps à quoi ils seront exposés, s’ils n’en profitent pas ; je pense cependant que les exemples de leurs voisins pourraient bien n’être pas assez frappants pour les amener à leur soumission, et je crains qu’il ne faille des exemples domestiques. « 

Tempié à l’intendant

13 septembre 1751.

M., Mrs les curés de Nismes, que je priais de m’apprendre, chaque jour, si quelques-uns des religionnaires de cette ville prenaient le parti de la soumission en faisant porter à l’église les enfants qu’ils avaient fait baptiser au Désert, depuis la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire pour-suspendre l’exécution des ordres que vous m’aviez donnés le 23 du mois passé, ne m’ont rien mandé. Au contraire, l’un d’eux qui est le principal, appellé M. Jacomon, m’a dit ces jours passés que personne ne s’était présenté pour obéir, ce qui me détermine à persister dans mon opinion que les religionnaires de Nismes qui sont dans ce cas ne prendront le party de la soumission qu’après des exemples domestiques.

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