Biographie de Napoléon Roussel

VII.
Le procès de Mansle

Nous avons vu parles lettres précédentes que diverses localités après Villefavard avaient demandé des secours religieux.

La Société évangélique de France envoya dans le département plusieurs évangélistes, et Napoléon Roussel, avançant toujours en pionnier, put leur laisser le soin de continuer les œuvres fondées, et dépasser lui-même les limites de la Haute-Vienne. De Rançon, petite ville de la Charente, il se rendit à Mansle, localité plus considérable, et y célébra un culte dès le 26 avril 1846. C’est là qu’une œuvre considérable devint l’occasion pour le clergé catholique de susciter à M. Roussel et à ses collaborateurs, M. Trivier, prêtre converti, et M. Lavallée, notaire, le procès dont nous avons parlé. Nous ne pouvons mieux faire que de citer la brochure qui en rend compte, et qui nous a été communiquée par la fille de M. Lavallée. Elle est datée de 1847 et porte comme suscription :

LIBERTÉ DES CULTES
procès de Mansle

MM. Napoléon Roussel, Trivier et Lavallée étaient accusés d’avoir formé une association religieuse sans autorisation du gouvernement. Ils avaient, au temps voulu, fait leur déclaration officielle au maire. Les réunions étaient assidûment suivies depuis deux mois et demi par des auditeurs toujours plus nombreux.

Dans l’espoir d’effrayer la population, d’entraver ce mouvement, peut-être de l’arrêter tout à fait, le tribunal de Ruffec condamna chacun de ses trois promoteurs à 50 francs d’amende et aux frais. Les prévenus interjetèrent appel devant le tribunal d’Angoulême, où l’affaire vint le 26 décembre 1846.

L’affluence des auditeurs obligea bientôt monsieur le président à se transporter de la salle de police correctionnelle à la vaste enceinte de la cour d’assises. La foule la remplit immédiatement et s’étendit encore dans la salle des Pas-Perdus.

Après la lecture de diverses pièces du procès, résumées dans ce qui précède, monsieur le président passe à l’interrogation des témoins.

Premier témoin, M. J.-Jacques Lambert,
juge de paix à Mansle.

Monsieur le président : Que savez-vous relativement au fait d’association imputé aux prévenus ?

Le témoin : Il est de notoriété publique qu’ils ont formé une association pour le culte de la religion réformée.

Monsieur le président : En avez-vous des preuves ?

Le témoin : Non, mais c’est ma conviction.

Un prévenu à l’avocat : Le témoin plaide, il ne dépose pas ; on lui demande des faits, il donne sa conviction.

Le témoin : Le local a été acheté par M. Roussel, l’acte a été passé par M. Lavallée.

Un prévenu à son voisin : Sans doute l’acte a été passé par M. Lavallée comme notaire, et non comme associé.

Le témoin : On avait loué le local avant de l’acheter. Il a été ensuite acheté au prix de 2400 francs ; on y a fait pour 7 ou 8000 francs de réparations.

Monsieur le président : Comment a-t-on payé ces dépenses ?

Le témoin : Il a été question, dans le procès, que M. Lavallée avait présenté une liste de cotisation ; le chiffre de la cotisation était de 10 francs, d’après ce que j’ai ouï dire.

Un prévenu à son avocat : C’est faux ! Qu’on cite une seule personne qui ait payé la cotisation !

Monsieur le président : Les prévenus ont-ils quelques observations à faire ?

M. Roussel : Oui, monsieur le président ; il n’est pas vrai qu’il y ait eu une liste de cotisation, mais simplement une lettre d’appel signée de quelques personnes, lettre qui m’était destinée et qui ne m’a jamais été envoyée ; quant à la cotisation, elle n’a été ni demandée ni versée : c’est une pure invention. Je défie qu’on cite un seul fait ! aussi le témoin n’allègue-t-il que des ouï-dire.

Monsieur le président au témoin : Combien pensez-vous qu’il y eût d’associés ?

Le témoin : Il y avait trente à quarante personnes formant la société ; le reste était des curieux.

Un prévenu : Excellents curieux, qui continuent par centaines, pendant neuf mois, à venir trois fois par semaine passer des heures entières dans un temple !

Monsieur le président au témoin : Mais comment trente ou quarante associés ont-ils pu payer de si fortes sommes pour le temple ?

Le témoin : Remarquez qu’il y avait cinq ou six cents auditeurs, et qu’à 10 francs chacun cela fait une assez forte somme.

Un prévenu : Maintenant qu’il s’agit de nous charger, on avoue qu’il y avait cinq ou six cents auditeurs ! et dans ces six cents on ne peut pas en citer un qui ait donné les 10 francs.

Second témoin, M. Machenaud, médecin,
maire de Mansle.

Monsieur le président : Dites ce que vous savez.

Le témoin : M. Lavallée m’a demandé l’autorisation d’ouvrir un temple, m’annonçant que M. Roussel avait l’intention de venir prêcher ; il me désigna le local, et je l’approuvai.

Monsieur le président : Avez-vous su si M. Roussel avait l’autorisation du gouvernement ?

Le témoin : Je ne l’ai pas demandé à M. Lavallée, mais je le supposais ainsi.

Monsieur le président : Les prévenus ont-ils quelque observation à présenter ?

M. Roussel : Oui, monsieur le président. Je demande comment il se fait que monsieur le maire, persuadé, comme il le dit, que j’étais autorisé par le gouvernement, a pu dès lors hésiter si longtemps à donner son approbation à l’ouverture du culte ? Pourquoi a-t-il fallu tant de pourparlers entre M. Lavallée et lui, quand il ne s’agissait que d’acquiescer à ce que l’autorité supérieure avait autorisé ?

Le témoin : Je savais que M. Roussel avait parcouru la France en prêchant l’Evangile. Je ne sais s’il y a eu cotisation pour payer le temple. J’ai ouï dire qu’on avait demandé. Je n’ai pas eu’ connaissance qu’il y avait eu réunion pour cela. La notoriété publique dit que M. Lavallée avait colporté une liste de souscription. Il ne m’en a point été communiqué. Je n’ai pas vu la liste.

Interrogatoire de M. le notaire Lavallée, prévenu.

En octobre 1845 j’étais à la campagne, lorsque M. Roussel vint me trouver et me demander s’il était vrai que les esprits, à Mansle, fussent portés vers le protestantisme. Je le lui confirmai. Il me dit qu’il reviendrait à la belle saison, et que, s’il oubliait sa promesse, il me priait de la lui rappeler avec quelques personnes. Il me dit qu’il achèterait un local et qu’il me donnerait procuration pour cela. J’écrivis plus tard à M. Roussel que la lettre signée de sept ou huit personnes avait été déchirée par moi, parce qu’un signataire avait été porté, par une contrainte morale, à retirer sa signature. Je n’ai recueilli aucune cotisation, ni colporté aucune liste. Trois ou quatre mois avant cette époque, j’ai ouvert, en faveur des réfugiés, une souscription ; on a sans doute confondu. M. Roussel m’avait dit que pour le temple il fournirait les fonds.

Interrogatoire de M. Napoléon Roussel, prévenu.

Je répète d’abord qu’il est étrange que monsieur le maire, me croyant autorisé par l’Etat, ait longtemps hésité à confirmer cette autorisation en approuvant le local. Je déclare qu’il n’y a eu aucune association, mais simplement un culte. Je suis venu sans être appelé par M. Lavallée, mais sur les déclarations d’un colporteur biblique, qui m’écrivit que de toutes parts on demandait un pasteur. Arrivé à Mansle le 26 avril, j’y fus si bien accueilli par la population, que je me décidai à ouvrir un lieu de culte le lendemain.

On s’étonne que j’aie pu faire construire le temple ; c’est cependant chose tout ordinaire : voilà le huitième lieu de culte protestant que j’ouvre au milieu des catholiques, et le cinquième temple que je fais construire moi-même. Voici comment je collecte l’argent : quand un mouvement se manifeste en faveur de l’Evangile au sein d’une nouvelle population, j’écris une lettre à un journal protestant, j’y fais un appel de fonds pour bâtir un temple ; ma lettre est reproduite dans d’autres journaux ; c’est ainsi, par exemple, que j’ai collecté 34 000 francs pour trois édifices élevés dans la Haute-Vienne. (Mouvement de surprise dans l’assemblée.)

Une personne dit à son voisin : « Ce n’est pas parmi nous, catholiques, qu’on eût trouvé ces 34 000 francs ! »

Interrogatoire de M. le ministre Trivier, prévenu.

Je suis venu à Mansle vers le milieu de mai, sur l’invitation de M. Roussel. Je savais que M. Roussel avait l’autorisation du maire, qu’il n’avait aucune délégation de Consistoire. J’ai su que les réunions étaient nombreuses. Je ne me suis pas informé des dépenses, sachant comment M. Roussel les couvrait ordinairement.

La parole est à M. Duplaisset, du barreau de Poitiers, défenseur des prévenus :

« Messieurs,

Je viens vous demander justice de la violation manifeste de l’une de nos plus précieuses libertés… Je viens protester contre une décision qui blesse profondément le droit le plus cher, le plus naturel, j’ajoute le plus inoffensif qu’il soit donné à l’homme d’exercer… Je viens soutenir qu’il nous est permis d’avoir une croyance, d’en pratiquer le culte extérieur toutes les fois qu’il ne contrarie ni l’ordre public ni les bonnes mœurs ; que nous, n’avons besoin pour cela ni de tolérance ni d’autorisation, et que nos modernes institutions, d’accord sur ce point avec la loi naturelle, n’ont jamais pu, n’ont jamais entendu dépouiller la dignité humaine d’une prérogative écrite dans la conscience et proclamée par la raison.

La liberté de croire !… la liberté d’honorer le Dieu que notre naissance nous impose ou que notre raison a choisi ! Croirait-on qu’à l’heure où nous vivons, un tel privilège ait besoin d’être défendu ? Voilà l’étrange question que soulève tout d’abord le titre seul de ce procès.

Près de deux siècles se sont écoulés depuis qu’au milieu des dragonnades de Louis XIV l’intolérance religieuse a jeté son dernier cri, voici soixante ans que la religion réformée a été rachetée de ses humiliantes réprobations ; il y a plus de trente ans que nous avons conquis le droit de tout dire, de tout écrire, de tout publier ;… toutes les libertés nous ont été successivement octroyées ; nous passons pour le peuple le plus progressif, le plus indépendant de la terre, et aujourd’hui, en 1846 ! en France ! nous nous demandons si la liberté religieuse existe !… Nous en sommes réduits à démontrer qu’il ne peut pas dépendre de l’autorité humaine de nous empêcher de croire ; que les élans de notre âme ne peuvent ; pas être soumis aux caprices d’un pouvoir quelconque ; que dans la hiérarchie administrative il n’est pas un fonctionnaire qui puisse régenter les plus nobles instincts, et qu’il n’appartient pas à un maire, à un agent de police, à un garde-champêtre de nous chasser du temple et de verbaliser contre notre foi ! !

Être obligé de démontrer cela ! Triste exemple des difficultés que rencontre la plus éclatante des vérités lorsque pendant des siècles elle a été méconnue ! Il semble que l’homme soit effrayé de ses propres conquêtes, et que plus il les a désirées, plus il les a payées chèrement, plus il doute de leur réalité.

Les faits de la cause sont fort simples : Au mois d’octobre 1845, M. le pasteur Roussel, l’un de ces hommes exceptionnels qui savent sacrifier à une conviction leur fortune, leur repos et leur vie s’il en était besoin, apprend, au sein même du Consistoire de Jarnac, qu’une partie des habitants de la petite ville de Mansle réclame un ministre du culte évangélique. M. Roussel ne s’en rapporte pas à des bruits peut-être mal fondés ; il se rend sur les lieux, consulte l’esprit et les besoins de la population, et, bien que cette première épreuve lui suffise pour être certain qu’il sera bien accueilli, il exige qu’une lettre collective lui soit écrite, et promet de venir prêcher l’Evangile à cette condition. La lettre est écrite, elle va être revêtue d’un grand nombre de signatures, lorsque certains antagonistes, inquiets et intolérants, font entendre quelques paroles d’intimidation. La pétition reste inachevée, mais le nouveau culte est dans les vœux de chacun, l’autorité municipale est bien disposée, et M. Roussel arrive à Mansle. Voici la réponse de monsieur le maire à la demande qui lui fut faite d’autoriser l’exercice du culte dans un local déterminé :

Mansle, le 19 avril 1846.

Monsieur,

D’après votre demande, je viens de visiter le local que vous m’avez désigné comme devant être le lieu de vos réunions pour prier et entendre les instructions de votre ministre protestant.

Le local m’a paru solide et salubre jusqu’à un certain point : les murs sont très humides ; mais comme il est très facile d’obvier à cet inconvénient en pratiquant dans la partie sud deux ouvertures parallèles, et en nivelant l’intérieur afin qu’il ne se trouve pas en contre-bas, et malgré que ce local laisse beaucoup à désirer sous le rapport de la décence, je compte sur votre zèle pour que toutes ces réparations soient exécutées dans l’intérêt du culte spécialement, et le plus promptement possible ; pour vous prouver, monsieur, qu’il n’entre point dans mes vues d’entraver la liberté ni les croyances, je vous autorise, ainsi que M. Roussel, votre pasteur, à inaugurer le local situé rue des Martins, appartenant à M. Limousin-Laplanche, le jour indiqué par votre lettre, le 26 de ce mois, 11 h. du matin. Veuillez agréer, etc.

Signé : Machenaud,
maire de Mansle.

Ainsi l’autorité, loin de se montrer ombrageuse et défiante, accordait sa protection et se préoccupait avec une touchante sollicitude des mesures à prendre dans un intérêt hygiénique et sanitaire.

C’est sous de tels auspices que le culte ; protestant fut inauguré à Mansle le 26 avril 1846. Depuis ce jour jusqu’au moment où je vous parle, il a continué sans que la paix et le bon ordre aient été troublés un seul instant.

Un mois après l’ouverture du temple, M. Roussel ne pouvait plus suffire aux besoins du culte, il lui fallait un auxiliaire ; il fit venir M. Trivier, qui n’était point encore consacré ministre, mais qui le fut immédiatement et reçut solennellement la consécration en présence de douze ministres venus exprès à Mansle pour procéder à cette cérémonie.

A partir de cette consécration, MM. Trivier et Roussel ont alternativement prêché l’Evangile. Ils l’ont fait avec abnégation et dévouement ; et malgré la légitimité de cet axiome : Il faut que le prêtre vive de l’autel, le désintéressement le plus complet a conduit ces deux ministres ; non seulement, ils n’ont rien demandé, rien reçu de leurs adeptes, mais M. Roussel se propose d’acquérir un terrain de ses deniers personnels, et d’y faire construire à ses frais un temple plus convenable que celui qui sert actuellement au culte.

Voilà ce qu’ont fait MM. Roussel et Trivier.

Quant à M. Lavallée, quel lien existe-t-il entre-lui et la prévention ? Quel rôle a-t-il joué ? Pourquoi est-il ici ? M. Lavallée aurait dit à MM. Roussel et Trivier : Soyez les bienvenus ! Il les aurait encouragés dans leur entreprise ; il aurait même servi d’intermédiaire entre eux et le propriétaire du temple improvisé ; puis il aurait été l’une des deux mille personnes qui se rendaient habituellement au temple. Voilà le crime de M. Lavallée, et si quelque chose doit nous étonner, c’est qu’on n’ait pas lancé 2000 assignations dans cette affaire, ce qui, à 50 francs d’amende par prévenu, eût été une bonne aubaine pour le Trésor. (Mouvement d’approbation.)

Si les trois prévenus ne défendaient pas un principe plutôt que leur personne, ils se borneraient à répondre qu’ils ont fait acte de soumission, qu’ils se sont adressés au magistrat local ; et que celui-ci les a autorisés à célébrer leur culte ; que, s’étant inclinés devant la loi, ils n’ont commis aucune infraction, n’ont encouru aucune pénalité et n’auraient jamais dû être condamnés. Mais ce n’est pas à l’ombre des faits, c’est sous l’égide du droit que s’abritent les prévenus. J’ai donc à démontrer que l’article 291 du Code pénal n’a pas la puissance qu’on lui donne, et que l’article 5 de la charte ne peut être ébranlé par une disposition qui, d’ailleurs, est de vingt ans plus-vieille que lui.

Si nous voulons savoir ce que c’est que l’association, écoutons le savant procureur général près la Cour de cassation, M. Dupin :

La liberté de conscience est un droit absolu de chaque citoyen ; la liberté de culte résulte non de l’association ou du choix des personnes, mais de l’identité des croyances : ce n’est pas par forme d’association que les coreligionnaires se réunissent, c’est par identité de croyance. Quant au gouvernement, il doit égale protection à chaque culte ; c’est pour lui un devoir absolu ; ce droit et ce devoir sont incompatibles avec l’autorisation préalable exigée par l’article 291.

Dans mon opinion bien arrêtée, dit encore M. Dupin, l’article 291 n’est point applicable aux réunions qui ont pour objet l’exercice réel d’un culte ; la célébration d’un culte est fort distincte des associations même pour objet religieux que l’article 291 a en vue.

Les choses se passaient donc ainsi :

L’autorité faisait sentinelle, et la plus active surveillance n’a pu découvrir autre chose que le plus profond recueillement. Le culte protestant semblait s’être acclimaté à Mansle, lorsque, tout à coup, le 17 juillet dernier, MM. Lavallée et Trivier reçurent, à la requête du procureur du roi, une assignation dont vous connaissez le libellé.

M. Roussel étant absent, il ne put recevoir l’assignation, ni, par conséquent, répondre à l’appel de la justice. MM. Lavallée et Trivier se défendirent seuls ; ils soutinrent qu’ils n’avaient commis ni délit ni contravention ; qu’ils tenaient de la loi le droit de se réunir dans un but de pratique religieuse ; que l’autorisation exigée par l’article 291 du Code pénal ne s’appliquait qu’aux associations proprement dites ; que l’article 5 de la Charte garantissait le libre exercice de tous les cultes. Ces raisons ne furent point accueillies, et le tribunal de Ruffec rendit, le 19 août dernier, le jugement dont il vous a été donné lecture. Plus tard, M. Roussel, qui avait été condamné par défaut, a fait opposition : même jugement a été rendu contre lui. Les trois prévenus ont fait appel, et nous sommes devant vous.

Il nous faut maintenant aborder la discussion, ouvrir la loi, et prouver que son esprit et son texte donnent un éclatant démenti à l’interprétation des premiers juges. »

(Suit l’examen du texte de la loi et des considérations sur l’intolérance et les persécutions religieuses.)

Nous risquerions de fatiguer quelques-uns de nos lecteurs en reproduisant en entier ce remarquable plaidoyer. Bornons-nous à dire que les accusés furent acquittés, mais avec des considérants contraires à la liberté religieuse, qui ne satisfirent point les amis de l’Evangile.

Le journal le Semeur, en rendant compte de l’issue du procès de Mansle, disait : « Malgré l’acquittement, les considérants de l’arrêt sont contraires au libre exercice des cultes.

MM. Roussel, Trivier et Lavallée ont gagné leur procès en fait. Puisse la cour de cassation, qui sera bientôt appelée à l’examen de la questiona, lui donner une solution doctrinale qui satisfasse moins l’intérêt privé que l’intérêt de tous. »

a – C’est le ministère public qui en avait appelé de ce jugement, pour obtenir contre les inculpés une condamnation…

Ce fut M. le comte Delaborde qui, après avoir une première fois plaidé la cause de M. Roussel pour l’affaire de Senneville, voulut bien se charger de porter aussi en cour de cassation celle des considérants du tribunal d’Angoulême. Le Semeur disait dans son numéro du 12 janvier 1848 : « Deux affaires de liberté des cultes, celle des baptistes de l’Aisne et celle des nouveaux protestants de Mansle, ont rempli jeudi dernier (6 janvier) toute l’audience de la chambre criminelle de la cour de cassation. Après le plaidoyer de la première par notre ami et collaborateur M. Delaborde, la seconde a été appelée. Comme la question, impliquée dans ce procès était une de celles soulevées déjà par le procès des baptistes, le défenseur n’a eu qu’à se référer à une partie de ce qu’il avait, déjà dit… Quoique dans l’affaire des nouveaux protestants de Mansle le pourvoi eût été formé par le ministère public, la cour n’a pas cassé le jugement du tribunal supérieur d’Angoulême, qui les avait acquittés. Tout en maintenant sa jurisprudence dans ses considérants, elle a refusé de voir dans les faits, tels que le jugement les relate, les circonstances nécessaires pour constituer le délit d’association. »

RÉCIT
de l’inauguration du temple de Mansle

(Copié dans le registre de l’Eglise.)

Le 20 septembre 1846 a eu lieu l’inauguration du temple. Le samedi soir 19 septembre a eu lieu à sept heures et demie un service de préparation où M. Croze, pasteur à Barbezieux, a prêché ; à ce service, il y avait plus de six cents personnes.

Le lendemain, dimanche, au service d’onze heures, le temple contenait environ quinze cents auditeurs, tant de Mansle que des environs : on pouvait dire de lui comme de la maison dans laquelle, un jour, était entré le Sauveur : Tant de gens s’y assemblèrent, que l’espace qui était devant la porte ne les pouvait contenir. (Marc 2.2.) M. le pasteur Croze a lu la Parole de Dieu et la Confession des péchés ; M. le pasteur Cambon, de Marennes, a fait la prière de dédicace, et M. le pasteur Roussel a prononcé le discours.

M. Roussel avait pris pour son texte ces paroles : Les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. (Jean 4.) Il a déterminé la nature de la véritable adoration, il a prouvé qu’elle sort du cœur et qu’elle est indépendante des lieux où les adorateurs se trouvent ; que tant que les hommes ont ainsi adoré Dieu, leur culte s’est maintenu et perfectionné de plus en plus, et qu’il a bravé toutes les persécutions. Jadis le Seigneur disait à ses disciples : Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus (Luc 12.4), ainsi les vrais adorateurs n’ont rien à craindre. Les hommes peuvent raser leurs temples de pierre, mais ils ne peuvent pas abattre dans les cœurs le temple du Saint-Esprit. Au contraire, quand certaines Églises remplacèrent l’adoration en esprit par une adoration plus ou moins dépendante de certains lieux, le culte dégénéra d’une manière rapide. D’abord il fallut des églises, hors desquelles on ne semblait pas pouvoir prier ; ensuite, on distingua dans l’église l’autel ; après, le saint auquel on avait consacré l’autel, la relique du saint, son image et jusqu’à la forme des vêtements qu’il avait portés. On alla plus loin, et l’on mit à la place des prières des mouvements corporels, des inclinations de tête, des baisers à la pierre, au bois ou au plâtre.

M. Roussel a fait comprendre qu’un pareil culte, toujours frappé de mort, devient impossible le jour où il n’a plus à sa disposition de belles cathédrales, et toutes les pompes qu’on y emploie pour séduire les sens et pour remplacer par des impressions nerveuses le culte en esprit et en vérité.

Après avoir, par de nombreux développements, fait ainsi connaître la nature du culte évangélique, M. Roussel, analysant deux volumes qu’il tenait à la main et qu’il avait trouvés dans la Bibliothèque d’Angoulême, apprit aux habitants de Mansle que leurs ancêtres avaient été protestants. L’un des volumes contenait une liste des églises protestantes de l’Angoumois en 1664, et Mansle était sur cette liste ; l’autre écrit, qui avait pour auteur le syndic du clergé d’Angoulême, était une réponse au premier. « Pourquoi les protestants demandent-ils des temples ? disait le syndic, digne organe de l’Eglise romaine ; pourquoi leur en donnerait-on ? Ils n’en ont pas besoin ; ils ont banni tout appareil et tout ornement extérieur : une cabane, une grange ou une halle leur suffit pour lire leur Écriture falsifiée, pour chanter leurs ridicules rimes de Marot, pour invectiver contre l’Eglise romaine. Pourquoi, encore une fois, s’attacher à des temples dont ils savent si bien se passer ? » Cette lecture a fait une impression profonde sur l’auditoire. Chacun semblait se dire : Les ennemis de notre foi n’ont rien oublié, rien appris ; ce sont toujours les mêmes sophismes, la même intolérance, les mêmes calomnies. M. Roussel lut encore quelques autres passages qui ne parurent pas moins instructifs. Le syndic se préoccupait de la réponse que l’autorité ferait aux prétendus réformés, voulait qu’on leur laissât les temples qu’ils avaient bâtis… dans les lieux où l’exercice du culte leur était interdit,… et qu’on leur ôtât les temples partout où ils avaient encore le droit de célébrer leur culte. Il s’écriait encore avec une fermeté qui prouve quel cas il faut faire de l’amour du clergé actuel pour la liberté religieuse : « Qu’ils apprennent que leurs maisons particulières ne sont pas entièrement libres !… »

Le digne syndic voulait pourtant la paix ; les discussions religieuses paraissaient troubler son sommeil, et il proposait deux moyens infaillibles pour y mettre un terme :

  1. Que tous les Français se fissent catholiques ;
  2. Que si enfin les protestants ne voulaient pas répondre à la bonté du roi, les lois qui avaient été faites contre eux fussent rigoureusement exécutées,… ce qui voulait dire bien clairement : Au nom de la paix, le catholicisme… ou la mort !…

M. Roussel fait remarquer que, pour obtenir la paix, il y avait deux autres moyens :

  1. Que tous les Français se fissent protestants, ou bien :
  2. Qu’on proclamât la liberté de conscience, et qu’on laissât enfin chaque homme servir Dieu selon qu’il en sentirait le besoin.

Après ce discours, on chanta le cantique suivant, composé pour la circonstance :

Dieu du ciel et de la terre,
Qu’il te plaise de bénir
Cette maison de prière !
Viens nous y faire sentir
La douceur de ta présence ;
Montre-nous par ton Esprit
A mettre notre espérance
Dans la croix de Jésus-Christ.

Seigneur, dans ton Évangile,
Tu fais connaître aux pécheurs
Un moyen sûr et facile
Pour éviter tes rigueurs.
Celui qui plein d’assurance
Croit qu’en la mort de Jésus
Il aura sa délivrance
Ne sera jamais confus.
C’est vers toi, Dieu débonnaire,
Que nous élevons nos cœurs !
Sois pour nous un tendre Père,
Comble-nous de tes faveurs !
Fais que de ton alliance
Nous gardions tous les statuts ;
Que toujours notre espérance
Soit en la croix de Jésus !

M. Pelet, pasteur à Nieulle, prêcha à trois heures, et M. Cambon à sept heures et demie, devant des auditoires nombreux et profondément recueillis.

A cette solennité assistaient MM. Burgess et Baptiste Noël, pasteurs à Londres, Kinnaird et Strachan, les uns et les autres députés des sociétés religieuses d’Angleterre ; Cambon, pasteur à Marennes, Pelet, pasteur à Nieulle, Croze, pasteur à Barbezieux, Mauroy, ministre du saint Evangile à Villefavard, Trivier, ministre du saint Evangile à Mansle, et M. le pasteur Roussel. M. Guy, pasteur à Jarnac et président du Consistoire ayant été appelé à faire un voyage, n’a pu assister à la cérémonie.

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