Biographie de Napoléon Roussel

XV.
Traités Roussel

Nous laisserions une lacune assez considérable dans cet aperçu de l’œuvre de M. Roussel, si nous ne parlions pas de ses traités qui, en leur temps, furent parmi les plus connus de ses ouvrages.

Ce genre de publications répondait d’une manière toute spéciale à la tournure de son esprit. Aussi le cultiva-t-il avec une prédilection marquée dès le commencement de sa carrière et jusqu’à sa fin. Ses traités peuvent se ranger sous trois chefs principaux : controverse contre l’Eglise romaine ; apologétique ; édification. La liste de ces écrits en contient, sauf erreur ou omission, quatre-vingt-neuf.

Les plus répandus, furent, sans contredit, ceux contre l’Eglise romaine, les premiers surtouta, tirés à plusieurs éditions, et quelques-uns à 150 et 200 mille exemplaires.

a – La plupart ont été, ces vingt dernières années, traduits en italien, et sont encore largement répandus.

On se rappelle que de ce nombre douze eurent les honneurs d’une condamnation juridique et pendant vingt ans au moins ne purent être réimprimés ni circuler en France. De là leur rareté actuelle. Sous la forme rapide, incisive, d’un dialogue populaire, ils battaient en brèche, sans ménagements, les erreurs de l’Eglise romaine, à laquelle l’auteur n’épargnait à l’occasion, ni l’arme, toujours un peu dangereuse, du ridicule, ni celle d’une logique inexorable qui met ces erreurs tantôt en opposition flagrante avec le plus simple bon sens, tantôt avec les enseignements les plus positifs de la Parole de Dieu.

Nous voudrions faire quelques citations qui pussent donner une idée générale de ces traités : l’embarras du choix nous arrête, leur variété même étant un obstacle à ce que la citation de l’un d’entre eux donne une juste idée de l’autre.

Prenons au hasard dans les Soldats du pape, Petit catéchisme à l’usage des catholiques romains. Pour en comprendre la portée, il faut nous rappeler l’état de la France à cette époque, l’influence politique des prêtres, et les espérances de liberté religieuse que la Charte de 1830 avait fait naître, sans toutefois les réaliser.

Demande. Qu’est-ce que le pape ?
Réponse. Un roi d’Italieb.
D. Quels sont ses soldats ?
R. Les prêtres.
D. Du pape-roi, quels sont les ministres ?
R. Les archevêques.
D. Et les colonels ?
R. Les évêques.
D. Et les chefs d’escadrons ?
R. Les vicaires-généraux.
D. Et les capitaines ?
R. Les archiprêtres.
D. Et les lieutenants ?
R. Les chanoines.
D. Et les sergents ?
R. Les curés.
D. Et les caporaux ?
R. Les desservants.
D. Donc tous commandent ?
R. Oui, et le peuple obéit.
D. Combien d’hommes dans cette armée ?
R. Quelques millions.
D. Où sont-ils ?
R. Partout.
D. Combien en France ?
R. Quarante mille de toutes armes et de tous grades.
D. Qui les enrôle ?
R. Le pape.
D. Et qui les paie ?
R. Le roi.
D. Pour qui se battent-ils ?
R. Pour le pape.
D. Et qui les loge ?
R. Le roi.
D. Du pape, quelles sont les armes ?
R. Des bulles.
D. Quel est le plus puissant : la bulle du pape ou le glaive du roi ?
R. Avec ses trois cent mille glaives, le roi ne peut m’ôter ni me donner un seul désir ; avec sa simple bulle, le pape commande à quarante mille hommes, façonnant des millions de volontés.
D. Le pape commande-t-il au roi ?
R. Non, mais il approuve ou annule ses ordres.
B. Le pape commande-t-il aux préfets ?
R. Non, mais il inspire les évêques.
D. Les évêques commandent-ils aux maires ?
R. Non, mais ils passent le mot d’ordre aux curés.
D. Et qui prêche dans la paroisse ? est-ce le maire ?
R. Non, c’est le curé.
D. Qui confesse ? est-ce le maire ?
R. Non, c’est le curé.
D. Qui décharge des pénitences ? est-ce le maire ?
R. Non, c’est le curé.
D. Qui ferme l’enfer ?
R. Le curé.
D. Qui ouvre le ciel ?
R. Le curé.
D. Qui donc est le serviteur de l’autre ?
R. Ce n’est pas le curé.
D. Quel intérêt les soldats-prêtres ont-ils à servir le pape-roi ?
R. Le pape nomme les cardinaux et confirme les évêques ; les évêques présentent les curés et placent les desservants.
D. Cette armée a-t-elle des troupes auxiliaires à l’intérieur ?
R. Les moines et les nonnes.
D. Et des espions à l’étranger ?
R. Les jésuites, mâles et femelles.
D. Quelles sont les armes de ces soldats ?
R. L’inquisition pour le corps, la damnation pour l’âme.
D. Sur qui font-ils feu ?
R. Sur le peuple.
D. Quelles sont leurs citadelles ?
R. Les églises.
D. Et leur enceinte continue ?
R. Les couvents.
D. Quel est leur genre de combat ?
R. L’embuscade.
D. Où ?
R. Au confessionnal.
D. Qu’est-ce que la confession ?
R. Le plus sûr moyen de connaître les secrets.
D. Quoi de plus ?
R. Une école où la pénitente apprend le mal qu’elle ignore.
D. Et encore ?
R. Une étude où le curé-notaire dirige les consciences, les aumônes et les héritages.
D. Ce dernier fait est-il probable ?
R. La loi l’a prévu.
D. Qui va se confesser ?
R. La femme.
D. Qu’est-ce qui rassure le mari ?
R. Le célibat du prêtre.
D. Et qu’est-ce qui devrait l’effrayer ?
R. Ce même célibat.
D. Résumez votre pensée sur l’armée papale.
R. C’est l’étranger dans la patrie, une puissance dans l’Etat, une caste dans la société. Tout ce qu’elle gagne, nous le perdons. Un prêtre de plus, c’est un citoyen de moins. Un couvent élevé, c’est une ferme abattue, et comme ces gens-là vivent de notre argent, de notre travail, sans nous rendre ni travail ni argent, il s’ensuit que plus ils prospèrent, plus nous dépérissons. Élevés par le peuple, ils emploient leur puissance à s’asservir le peuple. Donnez-leur l’argent pour ouvrir une école, fonder un hospice, ils vous vendront ensuite l’entrée de l’école et de l’hospice au prix de votre influence et de votre liberté. Recevant gratuitement et vendant cher, ils ne peuvent que s’enrichir, et par leur or gouverner les consciences et les passions. Jadis, il ne leur fallut que le rétablissement des autels, plus tard les petits séminaires, et bientôt le monopole de l’instruction. Jadis, ils ne voulaient que le prêtre ; aujourd’hui, ils ont des ordres religieux ; prenez patience, ils demanderont bientôt l’inquisition, et, revenant en arrière à force d’avancer, ils vous donneront à vous, peuple, des dîmes à payer, à vous, rois, une pantoufle à baiser.
D. Que faire donc pour arrêter la marche de cette monstrueuse armée, qui nous écrase sous son pied d’éléphant ?
R. Tout simplement lui arracher ses deux défenses.
D. Lesquelles ?
R. La confession et le célibat.
D. Que faire pour amener les prêtres au mariage ?
R. Ne plus leur envoyer de femmes à confesser.
D. Mais, sans nous confesser, le prêtre ne voudra plus nous donner l’absolution ?
R. Tant mieux ; c’est à Dieu que nous irons la demander.
D. Mais, le prêtre marié n’osera plus offrir le sacrifice de la messe ?
R. Tant mieux ; nous aurons recours au grand sacrifice de-Jésus-Christ.
D. Mais, nous n’aurons plus les conseils du confessionnal ?
R. Tant mieux ; nous irons chercher ceux de la Bible.
D. Plus de casuistes pour nous guider ?
R. Nous implorerons les secours du Saint-Esprit.
D. Plus de pénitences ?
R. Nous n’en aurons que plus de temps pour sanctifier notre vie.
D. Plus d’indulgences ?
R. N’y comptant plus pour l’avenir, nous veillerons mieux sur notre conduite.
D. Mais enfin qui pardonnera nos péchés ?
R. Eh ! ne voyez-vous pas que je ne vous arrache au pardon mensonger de l’homme que pour vous conduire au pardon véritable de Dieu ? Qui vous pardonnera, si ce n’est l’offensé ? Qui est mort pour vous, si ce n’est Jésus-Christ ? Qui vous donnera la force de bien vivre, si ce n’est l’Esprit-Saint ? Ah ! laissez là l’institution humaine pour vous élever à l’institution divine. Ne voyez-vous pas qu’il y a deux choses complètement différentes, que jusqu’à ce jour vous avez confondues : l’Eglise et la religion ; les prêtres et Jésus-Christ ; la parole des hommes et la Parole de Dieu ? Si vous ne savez pas encore en faire la différence, écoutez :

b – C’était à l’époque du pouvoir temporel du pape, époque qui paraît déjà si éloignée, si étrange !

Je suppose que, sentant vos péchés, vous alliez à un prêtre demander l’absolution, que vous dira-t-il ?

Supposez ensuite qu’au lieu d’aller au prêtre romain vous veniez à Jésus-Christ lui-même parlant dans la Bible ; que répondra-t-il à l’aveu de vos fautes fait avec confiance et repentir ? Ce qu’il répondit à la grande pécheresse : Tes péchés te sont pardonnés : va-t’en en paix, ta foi t’a sauvée. (Luc 7.48-50.)

De ces deux pardons, lequel vous semble le plus simple, le plus noble, le plus grand ? Lequel sent l’homme ? Lequel sent Dieu ? Comparez.

Enfin, lorsque vous aurez répandu aumônes, récité chapelet, fait pèlerinage, accompli neuvaines, brûlé cierges, payé messes, endossé cilice, jeûné, maigri, porté médaille, baisé relique, ployé genoux, dites, pensez-vous en être beaucoup mieux disposé à vivre saintement à l’avenir ? Tout cela vous fera-t-il aimer la justice, la pureté, la tempérance ? Je ne sais : mais attendez. Revenez à ce Jésus, Fils de Dieu, qui vous a dit : Tes péchés te sont pardonnés. Si vous croyez à sa parole, qu’éprouverez-vous à la nouvelle de ce don magnifique du ciel, sans réserve, sans pénitence, sans condition ? Ah ! si je ne puis dire ce que vous sentirez vous-même, je puis dire au moins ce que sentit Magdeleine : elle aima beaucoup Jésus, parce que Jésus lui avait beaucoup pardonné ; elle inonda ses pieds de ses larmes de reconnaissance, et mérita le plus bel éloge qui soit jamais sorti de la bouche du Sauveur. Voilà ce que fit Magdeleine, et si, comme elle, vous étiez pardonné par Jésus, voilà ce que vous feriez. (Voyez Luc 7.36-50.)

Mesurez à cette heure la distance immense, l’abîme profond qui sépare l’Eglise de Rome de l’Evangile de Jésus-Christ : là un pardon mesquin, vendu et pour quatre jours. Ici un pardon sublime, donné et pour toujours ! Chez le prêtre, un pardon qui se perd et que chaque jour il faut acquérir contre quelques tours de chapelet. Chez Jésus, un pardon imperdable et payé par son sang ! Au confessionnal, un pardon qui provoque de nouvelles fautes, car on sait comment les acquitter soi-même et à bon marché. Sur la croix, un pardon qui inspire l’horreur du péché, car ce péché a crucifié un Ami, un Sauveur ! Devant le prêtre, la mesquinerie d’une pénitence. Devant Jésus, la mort d’un Dieu ! Dites, dites, de ces deux pardons lequel vous semble venir de Dieu et lequel inventé par les hommes ?

Ah ! jetez loin de moi ce vain attirail de formes, de jeûnes, de macérations ! J’ai bien autre chose à faire ; j’ai ma vie à dépenser en œuvres d’amour, de courage et de pureté. Je ne flagellerai plus ma chair, mais je purifierai mon cœur ; je ne marmotterai plus des prières latines incomprises et fatigantes, mais avec élan de cœur je crierai à mon Dieu : Merci, merci, mon Père, tu m’as sauvé ! Je veux t’aimer, aimer mes frères et vivre moi-même dans la sainteté.

Emportez vos images ; ma Bible me suffit !

Retirez vos chapelets ; je ne compte plus mes prières !

Débarrassez-moi de vos jeûnes ; je ne veux plus m’abstenir que du péché !

Merci, merci, mon Père ; tu m’as sauvé !

Ce fut à l’époque de ses travaux d’évangélisation dans la Haute-Vienne et la Charente que M. Roussel écrivit la plupart de ses traités de controverse répandus en très peu de temps dans plus de la moitié de la France, et presque toujours reçus et lus avec avidité.

L’un d’eux a un caractère tout spécial. Il fut écrit exclusivement en vue des prêtres et envoyé à tous ceux de France, sans exception, au nombre de quarante mille environ.

L’Appel aux prêtres, issu d’une généreuse intention en faveur d’une classe d’hommes pour lesquels l’auteur avait une compassion profonde, eut quelques bons résultats ; un certain nombre d’hommes sincères entrèrent, à cette occasion, en rapport avec M. Roussel et furent attirés à l’Evangile, Plusieurs quittèrent la prêtrise. Cependant, pour le grand nombre, les difficultés étaient trop considérables ; ceux qui étaient lassés du joug de Rome auraient tous voulu, que M. Roussel leur procurât un gagne-pain ; c’était impossible. D’autres, au contraire, ne trouvèrent rien de mieux à répondre que des lettres d’injures, dont quelques-unes sont de tristes spécimens du plus triste style clérical ; ces malheureux oubliaient jusqu’aux règles de la plus simple décence, plusieurs s’y révélaient comme de dignes précurseurs de MM. Zola et compagnie.

Il paraît cependant qu’un prêtre au moins, parmi les opposants, répondit d’une manière convenable, par la voie de la presse. Nous pouvons du moins le conclure de la réponse que nous avons trouvée à son adresse, écrite par M. Dussaud, étudiant en droit. Cette réponse contient une page que nous reproduisons ici, parce qu’elle trace à grandes lignes le portrait de celui dont nous écrivons la biographie.

« Monsieur le curé,

J’ai lu votre réponse à M. Napoléon Roussel. Dès l’abord, j’ai cru qu’il serait bon de vous désabuser sûr ce que vous pensez quant à la personne de son auteur… M. Roussel n’a jamais été prêtre catholique. Né à Sauve (Gard), il a été dès 1831, après avoir fait des études à Genève, pasteur à Saint-Etienne (Loire), puis à Alger, puis à Marseille, et il est maintenant occupé à l’évangélisation des catholiques romains de l’ouest de la France où, par parenthèse, il a beaucoup d’occupations et beaucoup de procès, comme vous pourriez vous en convaincre en lisant les Archives du christianisme, journal de Paris dont la mission est de servir d’organe aux Eglises réformées de France. M. Roussel, âgé de quarante ans environ, est père de famille depuis une quinzaine d’années. Je connais M. Roussel. C’est un homme qui parle bien, qui joint à un sérieux sans affectation une grande présence d’esprit, une politesse exquise et des manières distinguées. Vous vous trompez, monsieur, quand vous attribuez à M. Roussel le but de faire mieux passer ce qu’il dit au clergé français en le couvrant de ces mots : Chers amis. Ce n’est pas là une précaution oratoire, c’est l’expression vraie d’une pensée vraie. M. Roussel, comme celui qui vous écrit, comme tout chrétien biblique, voit dans chaque prêtre un sujet d’affection ; d’affection mêlée d’amertume si c’est un prêtre hypocrite et prévaricateur ; d’affection mêlée d’estime et de commisération si c’est ce qu’on appelle un bon prêtre… M. Roussel est un homme dont la vie entière est consacrée à la propagation de ses convictions, un homme qui a dépensé beaucoup d’argent pour la cause de ce qu’il croit être la vérité, un homme qu’aucun travail, qu’aucune fatigue n’arrête,… que n’ont pas arrêté les difficultés et les dépenses de son Appel adressé à quarante mille personnes, ni plus ni moins ; que n’ont pas arrêté les injures qui devaient pleuvoir sur lui, et qui ne lui ont pas manqué, car tout le monde, tous les prêtres, monsieur, n’ont pas pris la voie de la presse pour lui répondre, et tous n’ont pas jugé à propos de lui parler sérieusement et avec politesse… »

D’autres traités, tels que Simple histoire, les Deux Indiens, avaient pour objet l’annonce de l’Evangile pur et simple sans controverse aucune ; d’autres, les Déistes sans Dieu, Foi et incrédulité, montrent sous une forme populaire le néant des assertions contraires à l’Evangile. Ces premiers traités, au nombre d’environ quarante-quatre, furent ensuite réunis en deux volumes sous le titre de Traités Roussel (1848). Les condamnations judiciaires étant survenues, il fallut ensuite faire une édition expurgée, qui parut sous le nom de Choix de traités Roussel, et dont les douze connus sous le nom de Rome et compagnie furent retranchés, ainsi que quelques autres. Plus tard, M. Roussel reprit la plume pour parler au peuple ; mais les temps avaient changé ; les superstitions romaines n’étaient plus le grand ennemi à combattre, et c’est d’un autre côté qu’il tourna ses attaques.

Voici comment il s’exprime dans une lettre particulière (6 octobre 1860), à propos d’un écrit de controverse qu’un de ses amis songeait à publier, au moment où Garibaldi cherchait à chasser le pape de ses Etats :

« Garibaldi se charge du pape et compagnie,… les préoccupations ne sont plus là. Le public se moque bien de ce qu’à dit ou n’a pas dit tel concile ! Il faut parler aux gens de nos jours d’eux-mêmes, de leur époque, sous peine de n’être pas lu. Le catholicisme romain n’a plus besoin d’être démoli, il est par terre ! Ce qui reste de lui dans le cœur humain y restera toujours sous une forme ou sous une autre ; c’est la piété s’alliant au plaisir ; un compromis entre la religion et la passion.

Ce qu’il faut donc combattre de nos jours, c’est l’incrédulité plutôt que la superstition. L’incrédulité est aussi abondante que le catholicisme est rare. Une bonne apologétique, voilà ce qu’il nous faut.

Mon besoin d’être court et populaire me fait donc adopter le traité de quatre pages, et c’est là que je vais revenir bientôt. »

M. Roussel prit en effet à tâche, dès cette époque, de combattre surtout l’incrédulité populaire, pratique, celle qui s’exprime et se propage par des maximes telles que : Dieu est trop bon pour nous envoyer en enfer ; quand on est mort on est bien mort, etc. Toujours sous la forme vive d’un dialogue animé, il s’efforçait de battre en brèche, par l’Evangile et le bon sens, ces adages aussi faux que populaires. Il composa ainsi seize traités séparés, réunis ensuite sous le titre : Les dictons du peuple et la réponse de Jésus-Christ. Voici ces dictons réfutés :

Enfin, comme dernier écho d’autrefois, Napoléon Roussel publia la même année un petit recueil de huit traités contre le romanisme, sous le titre de Controverse amicale. Il ne voulait plus foudroyer les prêtres et leurs machinations, mais causer « amicalement » avec les catholiques. Le premier de ces traités porte pour titre : la Femme de saint Pierre ; le dernier, destiné à prouver que le culte rendu à Marie est opposé à l’esprit que manifeste la mère du Sauveur elle-même, est intitulé : Respect à Marie.

L’adoucissement du titre même de ces traités, mis en contraste avec ceux des premières années, nous rappelle un autre contraste bien plus frappant encore, celui de l’écrivain incisif, mordant, belliqueux, avec l’homme, l’ami, le père de famille débonnaire et inoffensif. Au temps des plus grandes luttes de Roussel contre Rome, alors que ses prédications et ses écrits de controverse faisaient tant de bruit et remuaient un si grand nombre d’âmes, alors aussi que gendarmes et préfets étaient constamment à sa poursuite, et que procès sur procès lui étaient intentés à tout propos, un homme, nouvel agent de la Société évangélique, vint le trouver. Cet homme avait une lettre à écrire ; après en avoir conféré avec M. Roussel, il fut installé par celui-ci à une table, avec papier, plume et encre, tandis que M. Roussel continuait paisiblement son propre travail. Mais le visiteur était en vain pourvu de tout le nécessaire ; assis devant son papier, il levait constamment la tête et ne pouvait plus contenir son étonnement à la vue de l’homme, au visage rasé, au regard bienveillant, calme et serein, qui était en face de lui. « Est-ce vraiment bien vous qui êtes Napoléon Roussel ? » lui demanda-t-il avec stupéfaction. Il n’en pouvait croire ses propres yeux !

M. Roussel se rendait compte de cette impression répandue dans le public. Il écrivait quelques années plus tard à un de ses meilleurs amis : « On devrait savoir qu’il y a loin, souvent, du caractère réel d’un homme à celui que les circonstances lui font revêtir dans ses écrits. J’en suis un exemple dans mes traités de controverse. On écrit souvent sous la forme qui paraît devoir le mieux atteindre le but et non sous celle qui correspond à son propre caractère. Quoi de-plus opposé que Béranger et ses chansons !

… Je crains que mon témoignage auprès de M. D. dans votre cas ait peu de poids, car moi aussi, à bien des yeux et aux siens en particulier, je suis un grand batailleur. Rappelez-vous que M. D. est un timoré pour qui je suis un épouvantail. »

Un autre grand sujet le préoccupait depuis plusieurs années. Il avait été imbu, on se le rappelle, de doctrines rationalistes à la Faculté de théologie. D les avait abandonnées à sa conversion ; il avait reçu Jésus-Christ comme le Fils unique et éternel de Dieu, son Sauveur, mort sur la croix pour nos péchés, ressuscité pour notre justification ; mais il ne pouvait oublier les luttes douloureuses qu’il avait eues à traverser avant d’en arriver à la plénitude de sa foi, et se préoccupait avec une profonde sympathie de ceux qui, par suite de leur entourage, de leur éducation première ou de leurs études mal dirigées étaient encore plongés dans les mêmes incertitudes au sujet de la personne du Christ. Il avait à cœur de leur montrer que le christianisme n’est pas une œuvre humaine, entre autres raisons par l’impossibilité absolue d’admettre logiquement que Jésus eût été un simple homme. Dans son livre apologétique : Qui est Jésus-Christ ? il met en relief l’unité constante et la sainteté parfaite de Jésus ; à tous les âges, à tous les degrés de son développement, dans toutes. les circonstances de sa vie, en présence de toutes les difficultés, comme homme, comme juif, comme fils, comme maître, comme moraliste, comme prophète, comme fondateur de religion nouvelle, Jésus a toujours été le même, un dans son esprit, dans sa volonté, dans son œuvre, et toujours parfaitement saint, saint non au dehors, mais au dedans, saint non d’une sainteté relative ou négative, mais d’une sainteté positive et absolue, saint et toujours humble, saint et, par conséquent, vrai dans toute sa vie, vrai dans toutes ses paroles.

La conclusion se tirait d’elle-même. Aussi l’auteur arrivait-il à dire que la foi est essentiellement une affaire de bonne foi, qu’en présence de Jésus parfaitement saint, toujours saint, et seul saint dans ce monde, la foi en sa divinité trouve son principal obstacle non dans notre intelligence mais dans notre volonté ; non dans notre esprit mais dans notre cœur ; non dans l’absence de preuves mais dans la présence de nos passions.

Contre les esprits égarés par Strauss et qui prétendaient que les récits évangéliques n’étaient que des mythes et que Jésus lui-même n’avait probablement jamais existé, il avait déjà publié une brochure dans laquelle il démontrait, par les procédés mêmes de Strauss, que Strauss lui-même n’avait jamais existé ; comme M. N. Perez prouvait ensuite, avec infiniment d’esprit, que Napoléon Ier, sa naissance en Corse, ses deux femmes, ses douze généraux, toutes ses victoires, toutes ses défaites, Austerlitz, Iéna, Sainte-Hélène, n’étaient que des mythes sans aucune réalité historique.

Contre les esprits forts de son temps, et de tous les temps, il a écrit à diverses époques : l’Incrédule croyant ; les Déistes sans Dieu ; Aux incrédules ; Plus de surnaturel plus de Dieu ; Aux libres penseurs ; Dieu, conscience, avenir, et d’autres encore dont il a été fait mention à leur place chronologique.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant